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EAN : 9782070406685
480 pages
Gallimard (29/11/2000)
4.29/5   26 notes
Résumé :
Trois grands thèmes irriguent l'œuvre de Walter Benjamin, s'entraînent, se recoupent, se recouvrent, sinon au fil des ans se contredisent : une philosophie du langage, d'abord, une philosophie de l'art, une philosophie de l'histoire. Trois préoccupations qui définissent le rapport de Benjamin à la tradition, son souci de restituer ce que cette dernière a refoulé, parfois éradiqué. Quel que soit le domaine auquel il s'arrête, il entend toujours dénoncer l'illusion de... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Contient, de façon synthétique :
- Une étude de Paris à travers les passages de Fourier, les panoramas de Daguerre, les intérieurs de Louis-Philippe, les rues vues par Baudelaire, les barricades d'Haussmann.
- Des essais sur André Gide, Eduard Fuchs, l'oeuvre poétique de Brecht, Baudelaire, Carl Gustav Jochmann.
- Un essai sur l'oeuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique, et sur le concept d'histoire.


1935-1940. Walter Benjamin louvoyait de plus en plus du côté de l'exploration matérialiste de l'histoire, du langage et de l'art. Ses positions ne font que se confirmer au fil du temps. Une des questions majeures qui relie les différents essais de cet ouvrage est la suivante : faut-il sauvegarder à tout prix la mémoire ? Cette question est toujours légitime. Pourquoi ne le serait-elle plus ?


Commençant d'y répondre, Benjamin étudie le domaine artistique et relève deux formes modernes d'abandon de la tradition à travers l'épanouissement du cinéma et du roman. Il faut lire avec grande attention l'essai majeur de cette période, « L'oeuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique ». Walter Benjamin semble nostalgique. Selon lui, les oeuvres d'art, en sortant du domaine du rituel, auraient perdu de cette aura liée au hic et nunc de la création.


« [Le déclin actuel de l'aura des oeuvres d'art] tient à deux circonstances, étroitement liées l'une et l'autre à l'expansion et à l'intensité croissantes des mouvements de masse. Car rendre les choses « plus proches » de soi, c'est chez les masses d'aujourd'hui un désir tout aussi passionné que leur tendance à déposséder tout phénomène de son unicité au moyen de sa reproductibilité. »


Tout mettre à la portée de tout le monde, c'est une rengaine qu'on n'a pas fini de nous chanter, et son refrain serait le progrès de la liberté individuelle sur le reste du monde. Que nenni. Pour Walter Benjamin, ce processus qui fait se mouvoir des masses entières d'êtres humains relève du fascisme, cette « esthétisation de la vie politique ». le communisme, pas loin, réclame quant à lui une « politisation de l'esthétique ». En quittant le domaine du rituel, l'oeuvre d'art entrerait dans le domaine du politique. Ne remarque-t-on pas dans le cinéma une forme de soumission de l'acteur à la puissance de la machine ? Walter Benjamin émet l'hypothèse que le spectateur de cinéma ne vient pas se faire conter une histoire –après les guerres du vingtième siècle, l'expérience est de toute façon devenue inénarrable (« Il est de plus en plus rare de rencontrer des gens qui sachent raconter une histoire. […] L'une des raisons de ce phénomène saute aux yeux : le cours de l'expérience a chuté. […] N'avait-on pas constaté, au moment de l'armistice, que les gens revenaient muets du champ de bataille –non pas plus riches, mais plus pauvres en expérience communicable ? »)- ; le spectateur se rend au cinéma pour assister au combat entre l'homme et la machine, cet instrument politique esthétisé :


« Jouer sous les feux des sunlights tout en satisfaisant aux exigences du microphone, c'est là une exigence des plus difficiles. S'en acquitter c'est, en face de l'appareil, sauvegarder son humanité. Pareille performance suscite un immense intérêt. Car c'est devant un appareil que la grande majorité des citadins doit, dans les bureaux comme dans les usines, abdiquer son humanité pendant la durée de sa journée de travail. le soir, ce sont ces mêmes masses qui remplissent les salles de cinéma pour voir comment l'acteur les rachète dans la mesure où, non content d'affirmer son humanité à lui (ou ce qui y ressemble) en face de l'appareil, il s'en sert pour triompher. »


L'homme devient tout petit, tremblotant devant la grande machinerie de reproductibilité technique des oeuvres d'art. Signe d'essoufflement. Que veut dire ce déploiement inutile de matériel ? Jusqu'où peut conduire cette capabilité technique ? « La guerre impérialiste, en ce qu'elle a d'atroce, se définit par le décalage entre l'existence de puissants moyens de production et l'insuffisance de leur usage à des fins de production (autrement dit, le chômage et le manque de débouchés). La guerre impérialiste est une révolte de la technique, qui réclame, sous forme de « matériel humain », la matière naturelle dont elle est privée par la société ». Pour Walter Benjamin, la conclusion s'impose : « Tous les efforts pour esthétiser la politique culminent en un seul point. Ce point est la guerre ».


Malheur de l'oeuvre d'art qui perd toute accroche avec la tradition. Les masses disposent désormais de l'oeuvre d'art mais celle-ci s'est détachée de l'histoire. Elle n'a plus de contenu et ne fait plus sens. Elle galvaude la politique, ses pratiquants louvoient parce qu'ils croient à un progrès automatique et ses opposants se trompent. Toute opposition au nazisme, si elle n'est pas dotée de repères transcendants, lui semble impuissante et dépourvue d'orientation. L'opposition la plus efficace que l'on puisse faire serait de résister à une politique et à une culture qui ont rendu le passé méconnaissable en le transformant en héritage culturel.


Mais nous n'allons pas en rester là. L'oeuvre d'art, rentrée dans sa période de reproductibilité technique, peut aussi devenir l'objet d'une utilisation vraiment révolutionnaire, à l'usage de l'être humain. Walter Benjamin déplorait que la transformation récente de l'expérience en indicible prive désormais toute notre civilisation de son histoire. Les guerres récentes, consécutives d'un emballement de la technique, avaient en effet augmenté l'expérience à un point qui dépassait l'humain. Pour nous venger, nous devrons cesser de subir la technique et la détourner de ses fins politiques pour la soumettre à notre besoin de faire sens. L'art, doté de nouvelles techniques démesurées dans leur quantité, pourrait être utilisé à bon escient pour rendre accessible l'ineffable. « Pour la première fois, [la caméra] nous ouvre l'accès à l'inconscient visuel, comme la psychanalyse nous ouvre l'accès à l'inconscient pulsionnel ». L'oeuvre d'art, à l'heure de la reproductibilité technique, ne vise pratiquement plus qu'au consensus offert par la distraction, mais ce que nous n'avons peut-être pas encore aperçu, c'est que par le biais de la distraction, l'homme devient capable de s'accoutumer :


« L'homme distrait est parfaitement capable de s'accoutumer. Disons plus : c'est seulement par notre capacité d'accomplir certaines tâches de façon distraite que nous prouvons qu'elles nous sont devenues habituelles. Au moyen de la distraction qu'il est à même de nous offrir, l'art établit à notre insu le degré auquel notre aperception est capable de répondre à des tâches nouvelles. »


On se laisse le temps de s'habituer à la barbarie technique, et viendra peut-être un jour où nous saurons rendre transmissible le sens de notre expérience, en lien avec la révolte de ceux qui peuplent notre passé. L'art dans sa visée politique se contente d'un rendez-vous entre les vivants, mais les vivants seuls sont creux et insignifiants. Elargissons le domaine des retrouvailles lors d'un « rendez-vous tacite entre les générations passées et la nôtre » pour retrouver l'ampleur de notre histoire, et pour perpétrer la révolte entreprise par ceux qui sont désormais morts. L'aspiration au bonheur des morts constitue notre dette de vivants.
Lien : http://colimasson.blogspot.f..
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Ce dernier tome contient la célèbre analyse "L'oeuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique", où Benjamin, fervent critique de la création artistique de son temps, ne peut que penser et analyser le formidable essor de l'industrie cinématographique. Mais sa vision du 7ème art n'est pas forcément très juste, vision biaisée par sa théorie de l'aura de l'oeuvre d'art, impliquant nécessairement le principe de perfection dans une oeuvre. Et bien qu'il sente le bouleversement perceptif engendré par le cinéma (ralenti, multiplication des points de vue, gros plan), il ne perçoit pas le travail du réalisateur comme un vérirable acte de création artistique. Il ne pense pas également l'art comme une création commune, un partage de sensibilités.
Mais ce scepticisme à l'encontre de la technique se comprend dans le contexte anxiogène de la montée fasciste des années 1930.
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Le conteur 2/05: Des analyses intéressantes, comme la différence entre la construction du récit et du roman. La manière dont l'information nous est transmise et la perte d'expérience de par l'information brute. Un écrit qui date et pourtant toujours d'actualité pour remettre en question la manière dont nous sont transmises les informations.
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Citations et extraits (72) Voir plus Ajouter une citation
Les classes révolutionnaires, au moment de l’’action, ont conscience de faire éclater le continuum de l’histoire. La Grande Révolution introduisit un nouveau calendrier. Le jour qui inaugure un calendrier nouveau fonctionne comme un accélérateur historique. Et c’est au fond le même jour qui revient sans cesse sous la forme des jours de fête, qui sont des jours de commémoration. Les calendriers ne mesurent donc pas le temps comme le font les horloges. Ils sont les monuments d’une conscience historique dont toute trace semble avoir disparu en Europe depuis cent ans, et qui transparaît encore dans un épisode de la révolution de Juillet. Au soir du premier jour de combat, on vit en plusieurs endroits de Paris, au même moment et sans concertation, des gens tirer sur les horloges. Un témoin oculaire, qui devait peut-être sa clairvoyance au hasard de la rime, écrivit alors: « Qui le croirait! On dit qu’irrités contre l’heure, De nouveaux Josués, qui pied de chaque tour, Tiraient sur les cadrans pour arrêter le jour. »
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Aucune ville n'est liée aussi intimement au livre que Paris.
Si Giraudoux a raison quand il dit que l'homme a le plus haut sentiment de liberté en flânant le long d'un fleuve, la flânerie la plus achevée, par conséquent la plus heureuse, conduit ici encore vers le livre, et dans le livre. Car depuis des siècles le lierre des feuilles savantes s'est attaché sur les quais de la Seine : Paris est la grande salle de lecture d'une bibliothèque que traverse la Seine.
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L’historien matérialiste ne saurait renoncer au concept d’un présent qui n’est point passage, mais arrêt et blocage du temps. Car un tel concept définit justement le présent dans lequel, pour sa part, il écrit l’histoire. L’historicisme compose l’image « éternelle » du passé, le matérialisme historique dépeint l’expérience unique de la rencontre avec ce passé. Il laisse d’autres se dépenser dans le bordel de l’historicisme avec la putain « Il était une fois ». Il reste maître de ses forces: assez viril pour faire éclater le continuum de l’histoire.
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Dans le culte du souvenir dédié aux êtres chers, éloignés ou disparus, la valeur cultuelle de l’image trouve son dernier refuge. Dans l’expression fugitive d’un visage d’homme, sur les anciennes photographies, l’aura nous fait signe, une dernière fois. C’est ce qui fait leur incomparable beauté, pleine de mélancolie.
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Jouer sous les feux des sunlights tout en satisfaisant aux exigences du microphone, c’est là une exigence des plus difficiles. S’en acquitter c’est, en face de l’appareil, sauvegarder son humanité. Pareille performance suscite un immense intérêt. Car c’est devant un appareil que la grande majorité des citadins doit, dans les bureaux comme dans les usines, abdiquer son humanité pendant la durée de sa journée de travail. Le soir, ce sont ces mêmes masses qui remplissent les salles de cinéma pour voir comment l’acteur les rachète dans la mesure où, non content d’affirmer son humanité à lui (ou ce qui y ressemble) en face de l’appareil, il s’en sert pour triompher.
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Videos de Walter Benjamin (31) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Walter Benjamin
Par Delphine Minoui, grand reporter, lauréate du Prix Albert Londres 2006 Tout public, à partir de 10 ans
« Lumières pour enfants », c'était le titre donné par Walter Benjamin aux émissions de radio destinées à la jeunesse qu'il assura avant la montée du nazisme. Ce titre, Gilberte Tsaï l'a repris pour les Petites conférences qu'elle programme depuis 2001 dans différents établissements culturels. Elles reposent sur le pari que ni les grandes questions, ni les espaces du savoir, ne sont étrangères au monde des enfants et qu'au contraire elles font partie de leur souci, formant un monde d'interrogations restant trop souvent sans réponses. La règle du jeu en est la suivante : un spécialiste d'une matière ou d'un domaine accepte de s'adresser à un public composé d'enfants mais aussi d'adultes, et de répondre à leurs questions. À chaque fois, il n'est question que d'éclairer, d'éveiller : en prenant les sujets au sérieux et en les traitant de façon vivante, hors des sentiers battus.
Programme de la Petite conférence #2 – « Raconter la guerre, dessiner la paix, 25 ans de reportages au Moyen-Orient » par Delphine Minoui :
Rien ne prédestinait l'enfant timide, née à Paris d'une mère française et d'un père iranien, à devenir reporter de guerre. Quand elle s'envole pour Téhéran, en 1997, c'est avec l'envie d'y raconter le quotidien des jeunes de son âge, épris d'ouverture. Mais l'après 11-septembre 2001 chamboule tout. Elle se retrouve en Afghanistan, puis en Irak, pour suivre l'invasion américaine et ses conséquences sur la région. Depuis, les soubresauts s'enchaînent : révolutions du printemps arabe, attentats de Daech, crise des réfugiés syriens, putsch raté en Turquie, retour des Taliban à Kaboul. Mais Delphine ne perd jamais espoir. Sensible à l'humain au milieu du chaos, elle navigue entre ses articles et ses livres pour faire parler la paix, encore et toujours, en racontant le combat des héros anonymes croisés sur son chemin.
Entre anecdotes et confidences, la conférence donnera à voir les coulisses du reportage, où le journaliste n'est ni un super héros ni un agent du « fake news » au service d'un grand complot, mais un témoin d'exception, porteur de lumière, même au coeur de l'obscurité.
Le terrain est la colonne vertébrale de son écriture. Correspondante au Moyen-Orient pour France Inter et France Info dès 1999 puis pour Le Figaro depuis 2002, Delphine Minoui a consacré la moitié de sa vie à cette partie du monde synonyme de révolutions, coups d'État et conflits.
À lire – « Les petites conférences » sont devenues une collection aux éditions Bayard. Delphine Minoui, L'alphabet du silence, l'Iconoclaste, 2023 Les Passeurs de livres de Daraya, Seuil, 2017 Je vous écris de Téhéran, Seuil, 2015
Conception et programmation : Gilberte Tsaï – Production : l'Équipée.
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