Un volume impressionnant de près de mille pages, pour une oeuvre à l'état fragmentaire, jamais écrite, certains indices laissant à penser que Benjamin y voyait son chef d'oeuvre à venir. L'auteur s'y attelle en 1927 et va continuer le travail jusqu'à sa mort en 1940.
Deux exposés achevés, l'un datant de 1935 et l'autre de 1939 donnent une idée du projet et de l'ambition de
Walter Benjamin. Suivent 35 dossiers, thématiques, composés à la fois des notes et commentaires de Benjamin sur le sujet, ainsi que des citations qui nourrissaient sa réflexion. Nous sommes donc en face d'éléments qui auraient du permettre à l'auteur de concevoir son oeuvre, avec dans les exposés une sorte de canevas général, qui aurait sans doute pu être infléchi en cours de rédaction, tant le matériel rassemblé était riche et pouvait donner lieu à beaucoup de développements.
Le point de départ du projet, sont les fameux passages construits en grande majorité dans les années 20 du XIXe siècle. Voies tracées entre des immeubles, couverts d'une verrière s'appuyant sur une structure métallique, à vocation commerciale, ils ont connus une très grande vogue au début du XIXe siècle, avant de passer de mode et pour beaucoup être détruit lors des grandes transformations haussmanniennes. Il en reste actuellement une vingtaine. Benjamin pointe à la fois leur caractère commercial, manifestation des transformations économiques en cours à l'époque de leur apparition, et l'utilisation du fer, nouveau à l'époque, et qui pour sa part met en évidence l'évolution technique, au service de l'évolution économique, mais aussi signe de la transformation de l'art par et à cause de la technique. Ils symbolisent le monde en mutation en train d'advenir.
Mais le projet de Benjamin est devenu plus ambitieux que la seule évocation de ces passages, il semble avoir voulu saisir le XIXe siècle dans son ensemble, la modernité en train de se construire. Son analyse au-delà des aspects historiques, matériels, se voulait une analyse philosophique, essayant de comprendre ce qui était en jeu. L'importance accordé à l'objet, sa « fétichisation » en même temps que son déclassement rapide du fait des changements accélérés provoqués des innovations techniques est un des éléments de sa réflexion. Benjamin introduisait des préoccupations métaphysiques et théologiques dans la pensée de l'histoire, d'où l'importance de la notion du mythe dans ses analyses. Il voulait introduire le XIXe siècle dans le présent, ce qui aurait permis une véritable action révolutionnaire, théologie et communisme convergeant.
Les notes et citations rassemblées, sur des thèmes tels que les fameux passages, mais aussi les expositions universelles, les rues de Paris, la photographie, le flâneur,
Baudelaire, Fourrier etc devaient servir à ce projet gigantesque. Les dossiers que les rassemblent restent comme seuls trace du projet, magnifiques et en même temps dérisoires par rapport à l'ampleur de ce qui devait être. Ce n'est pas un livre à lire en continuité, cela deviendrait vite lassant du fait de l'état fragmentaire et de nombreuses répétitions, mais à picorer petit à petit de temps en temps.