Pierre Benoit, on ne le dira jamais assez, est un de nos premiers grands romanciers d'aventure, et un des plus importants. J'en veux pour preuve la seule succession de ses publications – et de ses succès :
1918 : «
Koenigsmark ». Succès immédiat. Un des meilleurs tirages de l'édition française, de 1918 à nos jours. Présélectionné pour le prix Goncourt. Sera le premier « Livre de poche » (1953)
1919 : «
L'Atlantide ». Succès immense. Raison invoquée : après les cinq années de guerre du 1er conflit mondial, les lecteurs avaient un besoin d'aventure, d'exotisme et de passion.
L'Atlantide répond pile poil à cette demande expresse.
1920 : «
Pour Don Carlos ». Encore un succès éclatant. Jamais deux sans trois, dit-on. Il faut donc en déduire que
Pierre Benoit est un véritable auteur, que ses précédents succès n'étaient pas le fait d'un hasard, où d'une réponse ponctuelle à une exigence de lecteurs avides de dépaysement et de merveilleux dans le quotidien
1921 : «
le Lac Salé ». Toujours du succès. Comme à son habitude,
Pierre Benoit à chaque roman, change de décors, de personnages, d'intrigue. Seul point commun avec les romans précédents, le prénom de l'héroïne commence par un A : Aurore, Antinéa ; Allegria, Annabel…
Etc. etc. Jusqu'à sa mort en 1962, il continuera à garder une grande notoriété. Ses romans continuent à être lus (encore plus depuis l'expansion du Livre de poche). Cependant les vingt premières années (années 20 et années 30) sont les plus prolifiques en qualité et en quantité (une vingtaine de romans qui figurent tous parmi ses plus belles réussites. D'autres succès viendront, plus rares, de qualité moindre, avec un air de « déjà vu » …
«
Pour Don Carlos » est aussi différent de «
L'Atlantide » que «
L'Atlantide » est différente de «
Koenigsmark ». Ce curieux roman, où l'on retrouve les éléments habituels (exotisme, aventure, passion, mystère) présente également un côté ambigu concernant les relations entre les personnages : l'héroïne, Allegria, (une « pasionaria » carliste militant pour une cause opposée au roi d'Espagne Ferdinand VII, qui évince son fils Don Carlos, au profit de sa fille Isabelle) est une amazone vêtue en homme (comme le Chevalier de Maupin de
Théophile Gautier, ou comme
George Sand) qui exerce sa séduction aussi bien sur les hommes que sur les femmes, non pas par amour, mais pour les amener à sa cause. le jeune sous-préfet nouvellement nommé à Villaleon va en faire les frais, tout comme sa fiancée Lucile. Ce côté sulfureux qui parcourt le roman est-il à l'origine de son succès ? Pour une petite partie, peut-être, mais il faut reconnaître que si c'était (un peu) osé pour l'époque, aujourd'hui ça nous paraît assez gentillet. Reste un portrait de femme forte, à la fois puissante et fragile, hermétique aux passions et en même temps ultra-passionnée, capable de tout (et Allegria, comme Antinea avant elle, ne recule devant rien pour ce qu'elle considère comme son devoir et/ou son désir). A côté d'elle les deux fiancés (du moins au départ) paraissent bien fades. Ce qui n'enlève rien au charme du roman,
Pierre Benoit à qui on demande aventure, passion, mystère, exotisme et évasion, remplit parfaitement son contrat, sans avoir l'air de faire un quelconque effort pour y parvenir, tant son style fluide et agréable nous emporte… pour notre plus grand plaisir.