Délicieusement satirique, éminemment distingué, indubitablement britannique et exquisément drôle ce roman est un pur divertissement.
Dans le village de Riseholme, les matinées se déroulent selon un rituel immuable. Sous couvert des emplettes quotidiennes, les yeux et les oreilles quêtent la moindre nouvelle qui viendra émoustiller tout son petit monde. L'on s'espionne mutuellement en trottinant d'une information à l'autre, espérant jalousement avoir la primeur d'une révélation explosive.
Des cottages contigus bordent l'unique rue de ce village et l'arpenter donne l'impression de traverser un petit bourg du royaume de Grande-Bretagne. Mais ce n'est là qu'une illusion car Riseholme semble bien avoir sa souveraine, pour l'instant incontestée, en la personne de Lucia qui exerce son suprême pouvoir sur tous les villageois. Avec son mari Peppino, elle vit dans une maison restaurée dans le plus pur style élisabéthain. Un aperçu de son intérieur, divinement drôle, nous donne déjà toute l'aisance ironique et humoristique de l'auteur. Et lorsqu'il décide que Lucia, fière de ses petites touches décoratives insolites, en a fait un communiqué au Cercle littéraire l'intitulant de l'humour dans l'ameublement, on se doute qu'il ne va pas se priver de tourner en ridicule ses truculents personnages !
Lucia, fraîchement revenue de Londres, estime que ses activités à Riseholme sont bien plus enrichissantes qu'un emploi du temps londonien. Elle s'exerce au piano, rédige son courrier, envoie des cartons d'invitation n'omettant jamais le ton vestimentaire de ses réceptions, tout en veillant au côté élisabéthain, donc guindé, de tous les évènements donnés dans sa commune. Les divertissements, si peu divertissants d'ailleurs, répondent à un strict cahier des charges que Lucia supervise.
Elle fait étalage de quelques mots d'italiens, ajoutant ainsi l'art linguistique à tous ses talents. Les menus potins font étinceler ses yeux noirs et elle a la manie du contrôle poussée à son paroxysme.
Mais voilà que ce matin, son regard est attiré par la rondouillarde Mrs Quantock accompagnée d'un homme « au teint exotiquement tropical et à la barbe noire. » Il faut préciser que cette Mrs Quantock passe d'une croyance à l'autre, de la Science chrétienne au spiritisme, en passant par le yoga, et chacun de ses nouveaux dadas électrise le village. Lucia part immédiatement en croisade pour s'annexer l'inestimable brahmane et ses sujets n'ont qu'à ravaler leur rancune et lui céder la place.
Queen Lucia agit détestablement mais ses manoeuvres sont tellement désopilantes qu'on lui pardonnerait presque son caractère autocratique. Et puis de cuisantes déconfitures l'attendent, ébranlant son temple de connaissances et maîtrises artistiques.
E.F. Benson se moque de cette petite société oisive, avec un superbe talent littéraire et humoristique. L'ironie qui perce sous tous les petits détails afférents à la vie quotidienne de Riseholme est tellement raffinée que l'on s'amuse énormément de ces personnages un brin caricaturaux. Il y a Georgie qui se préoccupe de sa calvitie, usant de tous les subterfuges pour la cacher et qui époussette amoureusement ses bibelots, ses chers trésors. Une Mrs Weston, conteuse admirablement prolixe, dont les tirades interminables analysent et décortiquent chaque faits et gestes des habitants. Et tant d'autres… Leurs conversations s'amorcent rituellement par un Quoi de neuf ? Et bien sûr, il y a toujours quelque chose de neuf à commenter !
Bien loin des préoccupations actuelles, cette plongée en 1920 dans ce village anglais déride et chasse la morosité. Heureusement pour le moral, l'auteur a eu la bonne idée de continuer cette chronique communautaire et c'est avec impatience que je retrouverai l'exaspérante Lucia et sa cour si bigarrée.