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Critique de YvesParis


La crise asiatique sonne la revanche du mandarin sur le compradore. Telle est la thèse centrale de l'ouvrage de Marie-Claire Bergère, aussi à l'aise dans l'étude de la Chine du début du vingtième siècle (elle a notamment écrit en 1994 une remarquable biographie de Sun Yat Sen) que dans l'analyse des derniers soubresauts de l'économie asiatique. le mandarin est né en Chine. Il incarne l'Etat, l'Asie continentale. le compradore, lui, n'a pas de patrie. Venu du Portugal, il peuple les ports de l'Asie maritime où il joue un rôle d'« intermédiaire culturel » (p. 9). Si le mandarin est pékinois, le compradore, lui, est shanghaïen.

La croissance économique aidant, le compradore a pendant trente années été le plus grand bénéficiaire du miracle asiatique. Mais, reproduisant un comportement ancestral, il n'a pas su ou pas voulu convertir sa richesse économique en influence politique. Ainsi, les valeurs asiatiques, magistralement démythifiées par Jean-Luc Domenach ("L'Asie retrouvée", le Seuil, 1997), sont-elles moins la traduction politique d'une réussite économique qu'une « nouvelle tentative de récupération d'une Asie maritime triomphante, mais toujours muette par les hiérarchies politiques issues de la tradition continentale » (p. 139).

Confrontée à la crise, l'Asie n'a pas su répondre collectivement. Ni l'Asean (Association des nations du sud-est asiatique), trop étroite, dont sont absents la Chine et le Japon, ni l'Apec (Coopération économique de la zone Asie-Pacifique), trop vaste et dominée par les Etats-Unis, ne constituent les enceintes pertinentes au sein desquelles une réponse efficace aurait pu être ébauchée. La faillite de la région Asie renvoie les Etats asiatiques à leur responsabilité : « A défaut de nationalisme asiatique, le nationalisme des Asiatiques s'affirme avec vigueur.» (p. 145). Cette défaite du compradore, cette revanche du mandarin ouvrent dans une Asie soudainement redevenue westphalienne d'inquiétantes perspectives. le Japon, pays du compradore, est accusé de tous les maux : non seulement il n'a pas secouru les pays de l'Asean frappés par la crise, mais lui aussi est à son tour touché. La Chine, patrie du mandarin, prend une éclatante revanche. Sa détermination, moins altruiste qu'il n'y paraît, à maintenir la convertibilité de sa monnaie, lui procure une respectabilité nouvelle qu'est venue consacrer la visite de Bill Clinton en juin 1998.

Reste la question de la démocratie. Si la réussite économique légitimait bien des autoritarismes, la crise fera-t-elle le lit de la démocratie ? Pour l'heure, la crise a certes provoqué une crise d'autorité : elle a entraîné le renversement du régime trentenaire de Suharto en Indonésie, la victoire de l'opposant Kim Dae Jung en Corée du Sud, le remplacement des Premiers ministres thaï et japonais. Pour autant, la démocratie, revendiquée par le compradore, crainte par le mandarin, n'a pas triomphé. On assiste aujourd'hui en Asie à un processus d'acculturation de la démocratie qui constitue une voie moyenne entre les deux écueils de « l'anomie du multiculturalisme » et de « l'intransigeance missionnaire » (p. 180) : d'un côté le refus de principe de l'universalité démocratique, de l'autre la volonté impérialiste d'exporter vers l'Asie une démocratie « clés en mains ».

Mais sur la scène intérieure, comme sur la scène extérieure, le mandarin semble mieux armé que le compradore. Si la société s'autonomise, si une classe moyenne émerge timidement, l'Etat « englobant » (p. 188) a tôt fait de reprendre à son compte ces premières manifestations de l'émergence d'une société civile.
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