En homme qui observe la mort en face, Machiavel répond. Il détaille les usages les plus nobles de la politique et ses moyens ignobles. L’humaniste, homme de lettres et de théâtre, valorise la ruse, principalement à la guerre, qu’il sépare nettement de la tromperie. Il écarte de ses références personnelles, l’ignominie, la traîtrise, la violence pure, celle des spadassins comme des mauvais princes. Il préfère toujours, dans ses écrits politiques majeurs comme dans ses lettres publiques et privées, les instruments légaux, honorables mais fermes et collectifs, aux moyens illégaux, secrets et insidieux. Il s’insurge contre les dérapages de la calomnie, contre la violence des factions qui s’alimentent les unes les autres, contre le favoritisme. Il rejette aussi, on l’a vu, les guerres inutiles.
La raison politique machiavélienne, contemporaine de cette crise de civilisation, ébranlée par elle, reflète bien comme un miroir les deux faces du politique : l’ordre et le désordre, répétant ainsi des dualismes hérités de pensées antérieures. La corruption, à cet égard, constitue l’image inversée du monde du bien commun. Au lieu de voir des contradictions, pourrait-on parler plutôt de complémentarité entre les deux regards ? Machiavel, sourcilleux sur ce point, aurait refusé de considérer ce dédoublement comme un non-sens.
L’espèce humaine étant très encline au mal, surtout lorsqu’elle est sans loi et sans crainte, il a été nécessaire de trouver la loi pour réfréner l’audace des hommes mauvais, afin que ceux qui veulent vivre bien soient en sûreté, surtout parce qu’il n’est pas d’animal plus mauvais que l’homme sans loi. Aussi voyons-nous l’homme gourmand incomparablement plus avide et insatiable que tous les autres animaux : tous les mets et toutes les façons de les cuisiner que l’on trouve au monde ne lui suffisent pas et il cherche à satisfaire non la nature mais son désir effréné. Et, semblablement, il dépasse tous les animaux dans la bestialité de la luxure, puisque, contrairement aux bêtes, il n’observe ni les temps ni les façons convenables, mais qu’il fait même des choses qui, à y penser ou, pis encore, à les entendre, sont abominables et qu’aucune bête ne fait ou n’imagine.
Le tyran organise le secret dans le gouvernement. Il sème la discorde parmi les citoyens et cherche à abaisser les puissants qui l’entourent, faisant tuer ou ridiculisant les riches, les nobles, les savants. Il interdit les associations, de peur des conjurations. Il effarouche les humbles. Il a « en tout lieu, des informateurs et des espions », jusque dans les familles. Il impose de lourds impôts, fait diversion par des fêtes et des spectacles. Il préfère s’allier avec des étrangers, restant caché dans son gouvernement. Il fait semblant d’être religieux, se montre à l’église, donne des aumônes… Mais c’est un simulateur qui « gâte la religion ». Il se substitue à la justice.
La loi du changement est fataliste. On assiste d’abord, dans un premier temps à une naturalisation de la causalité. Elle implique que toute chose vient d’une autre : loi de la génération linéaire. Cependant le temps, « père de toute vérité » – ici saisi de façon anthropomorphique – détruit tout . Le temps de la nature, au-dessus des hommes, chasse chaque chose devant lui. Il peut apporter le mal comme le bien . Il est Dieu et Destin. Dans ce monde, tout est incertain et variable . Le changement, perceptible dans la nature, est inéluctable. Côté nature, tout change. Tout est instable. Raison et nécessité s’affrontent.