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EAN : 9782351221594
144 pages
Editions Sulliver (25/10/2016)
3.57/5   7 notes
Résumé :
«Celui qui effectue de longues marches entre les rayonnages ne peut oublier que les livres sont les seuls objets réels de ce monde.»
La bibliothèque est infinie et, là où ils ne sont pas tapissés de livres, ses murs sont recouverts de palimpsestes perpétuellement réécrits. Dans ce labyrinthe dépourvu de fil d’Ariane, un «questeur» tente de percer à jour la logique interne de l’immense édifice et celle des «copistes» – grammairiens, historiens et autres mythog... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Voici probablement le livre le plus atypique de toute cette rentrée littéraire. Celle-ci j'entends, et quelques autres auparavant… Je sais bien que vous êtes habitués à ce que l'on vous assomme de superlatifs dont les publicitaires ont la bouche absolument pleine et nous, les oreilles ; mais là, j'assume tout à fait mon affirmation : je ne dis pas le plus grandiose, le plus sensationnel, le plus époustouflant ou le plus grand roman des âges ; je dis le plus atypique.

Imaginez : pour le fond comme pour la forme, une espèce de conte philosophique façon Petit Prince mâtiné d'une nouvelle de Jorge Luis Borges (La Bibliothèque de Babel) le tout prenant place dans un paysage aussi improbable qu'étonnant, une bibliothèque aux proportions qui dépassent l'imagination. On y suit un narrateur anonyme qui pénètre dans ce monde étrange un peu à la manière d'Alice lorsqu'elle se rend au Pays des Merveilles et nous-mêmes, tels de petits Dante, déambulons comme des touristes dans les entrailles de l'Enfer accompagnés de notre Virgile-narrateur. Il y a peut-être aussi quelque chose de la pensée magique de Balzac dans La Peau de Chagrin. Vous voyez, je ne vous ai pas menti, atypique, Livre l'est. Je reviendrai plus bas sur ce drôle de titre, atypique, lui-aussi.

Il me faut certainement à ce stade dire deux ou trois mots de " l'histoire " même si l'on serait bien en peine de vouloir la qualifier d'histoire. Il s'agit à la fois d'une quête initiatique, d'une réflexion philosophique et d'une exploration archéologique dont l'objet (hautement immatériel) semble contenu dans cet écrin, qui lui apparemment est matériel, à savoir la grande bibliothèque.

Vous vous doutez bien qu'il y a de l'ésotérique là-dessous, des lectures à plusieurs niveaux (c'est le cas de le dire), des symboles, des significations cryptiques… Les mots eux-mêmes ont des doubles voire des triples sens. Bref, Bernard Thierry nous roule dans la farine d'un bout à l'autre et la première chose à entreprendre est très certainement de faire sauter le code.

Car, comme dans le cas du Petit Prince, les mots n'ont plus tout à fait leur sens habituel. La bibliothèque, il se pourrait bien qu'elle désigne le monde, l'univers. L'école signifie " la science " et les questeurs en sont les scientifiques. Mais un simple mot dans notre langage, prenons par exemple " écrivain ", peut être codé de différentes façons, ici, il s'agira soit des scribes, soit des copistes. Oui, je vous vois venir : vous allez me demander ce que signifie, dans ce code, le mot " livre " qui donne son titre à l'ouvrage. Hum… j'ai le sentiment que ce ne serait pas très honnête d'en livrer la signification ici et même une forme d'injure à votre intelligence de vous en révéler si facilement la signification sans vous en laisser chercher vous-même le sens caché…

Je vous mentirais si je vous certifiais que c'est un bouquin qui se dévore et dont le suspense haletant vous coupe toute envie de dormir. Au même titre qu'on ne dévore pas Les Essais de Montaigne, Les Caractères de la Bruyère ou le Livre de L'Intranquillité de Pessoa, on ne dévore pas Livre. (J'admets qu'il y en a bien sans doute quelques uns qui les dévorent mais la question se pose de savoir s'ils sont réellement humains…)

Oui, c'est un livre atypique, qui ne se laisse pas facilement enfermer dans une cage ni étiqueter. Un livre qu'il peut être bon de lire par petits bouts, comme s'il s'agissait des pièces d'un puzzle qu'on apprendrait à apparier. Il faut dire que la forme nous y invite grandement : un découpage en tout petits paragraphes de longueur variant de quelques mots à quelques pages et n'ayant pas forcément de lien l'un avec l'autre.

Tantôt maximes, tantôt citations (on y trouve pêle-mêle et entre autres des morceaux de texte empruntés à, ou remaniés de Paul Valéry, Montesquieu, John Milton, Jules Michelet, Milan Kundera, Khalil Gibran ou encore Dante), tantôt forme narrative traditionnelle, ce livre est… (répétez après moi) … atypique ! L'auteur a choisi un abandon total de la majuscule (vous verrez peut-être pourquoi), du chiffre 0 dans la numérotation des chapitres (vous en trouverez l'explication aux paragraphes 148 et 167) et, de façon générale, d'une ponctuation minimaliste. Ceci m'a parfois gêné à la lecture, de même que la mise en page du texte volontairement centrée.

Nous sommes tous, malgré nos dénégations, incroyablement conventionnels et il arrive que l'atypique dérange, du fait même qu'il n'est pas typique. Il séduit ou il dérange, c'est selon. Mon impression d'ensemble est mitigée car, dans la première moitié, j'ai trouvé la lecture un peu laborieuse, de temps en temps rebutante ou rébarbative puis, chemin faisant, j'ai pris de plus en plus de plaisir à errer dans cette bibliothèque où l'on tombe dans un trou comme l'héroïne de Lewis Carroll avant de subir une inversion de gravité, entre autres bizarreries…

C'est aussi (surtout devrais-je écrire) un texte qui questionne, qui nous questionne, sur le sens de la vie, sur la direction du monde en abordant des sujets aussi variés que la religion, l'histoire, la science, l'avenir de la création ou encore le fonctionnement de la conscience (à ce propos, pour celles et ceux qui ont vu le film d'animation Vice Versa des studios Pixar, des passages entiers du livre m'ont évoqué la machinerie complexe de la mémoire et des émotions qu'illustre de façon très intéressante ce film destiné aux plus jeunes).

En somme, pas forcément un extraordinaire plaisir éprouvé à la lecture mais un ouvrage intéressant, intéressant parce que dérangeant quelque part, un livre qu'on ne peut pas prendre en s'installant dans son canapé pour passer un moment agréable, de même qu'on ne lit pas, je pense, Montaigne ou Pessoa sur des coussins moelleux en attendant de se faire happer par le piment de l'intrigue.

Tout comme entre les manuscrits et les imprimés il y a les incunables, entre ce que vous connaissez de la littérature et ce que vous imaginez de la philosophie, il y a Livre de Bernard Thierry. Un livre initiatique donc, un livre, " Livre " même tout court, dont je vous laisse décider seul si vous souhaitez tourner les pages car je m'aperçois que j'ai déjà beaucoup saigné sur cet avis. Il est grand temps pour moi de refermer ma blessure et de tarir mon sang avec lequel je rougis un peu plus les murs de la grande bibliothèque. Son encre ternira vite car il n'est, une fois encore, pas grand-chose.
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Dans sa nouvelle "La bibliothèque de Babel", Jorge Luis Borges imaginait une bibliothèque gigantesque contenant tous les livres possibles, écrits ou à venir, mais pour la plupart illisibles car formés par la combinaison au hasard des lettres de l'alphabet. Cette nouvelle fameuse ne fait cependant que quelques pages et le lecteur en apprend finalement assez peu sur la bibliothèque et ses habitants. Aussi n'ai-je pas hésité lorsque j'ai découvert l'existence de cet ouvrage de Bernard Thierry, énigmatiquement intitulé Livre, qui entreprend d'élargir le thème de la bibliothèque univers à la dimension d'un roman. Ou plutôt si, j'ai hésité, le tableau allait-il être à la hauteur de l'esquisse ? Borges n'avait-t-il pas lui-même affirmé qu'une nouvelle suffit à développer une idée et qu'un roman est toujours trop long ?
Entrer dans Livre, c'est éprouver un choc. le texte ne contient pas de majuscules, il est composé de paragraphes numérotés, d'inégale longueur, de quelques lignes à quelques pages. Les seuls vingt-six caractères utilisés nous font comprendre que ce livre sort tout droit de la bibliothèque qu'il dépeint. le lecteur est d'abord désorienté par le manque de liens apparents entre paragraphes, puis à mesure qu'avance la lecture une petite musique s'élève et devient reconnaissable : elle est polyphonique, ce sont plusieurs voix qui s'expriment, celles des différents groupes de gens qui écrivent sur les murs avec leur sang, celle de la bibliothèque elle-même, "froide, changeante, parfois inquiète, souvent prétentieuse", et aussi la voix du personnage central qui forme une arche narrative qui guide le lecteur à travers la bibliothèque. L'écriture ne cherche pas à imiter le style de Borges mais on y retrouve le même mélange de poésie et d'ironie qui en fait le charme.
Par petites touches, d'un paragraphe à l'autre, nous découvrons la logique et les folies des êtres qui résident dans ce monde de lettres, sédentaires, nomades, solitaires, confréries et mystiques de tout bord, avec le zéro qu'interdisent les hommes qui ne dorment jamais ou la légende du vieux peuple qui n'a plus voulu vivre. le narrateur lui-même est un "questeur". Il appartient à une école qui s'est donné pour mission de séparer la vérité de l'erreur, du mensonge et de tout le non-sens qui flotte dans la bibliothèque ; elle s'oppose en cela à d'autres communautés, celles des "copistes", dont le but est de rassembler tous les savoirs sans distinction. Je ne crois pas me tromper en disant que nous avons là une métaphore de la science et des humanités. La quête du narrateur va l'amener à quitter son école pour s'enfoncer très loin dans la bibliothèque à la recherche de réponses, un voyage initiatique qui entraîne le lecteur dans un labyrinthe de paradoxes que je ne peux comparer à rien d'équivalent. Sous des dehors abstraits, ce dont l'auteur nous parle c'est de notre angoisse moderne dans un environnement à l'information proliférante où se multiplient fake news et théories complotistes qui "cachent le faux dans le vrai et enfouissent le vrai dans le faux". Comment arriver à des certitudes raisonnables alors que "nous vivons dans un enfer de l'information où pour notre malheur la déformation de l'information est encore de l'information" ? Kafka à l'heure des technologies médiatiques et d'internet….
Pas d'amour, de sexe ou de haine dans ce texte, mais partout se ressent l'inquiétude de la condition humaine. Il ne s'agit pas d'un roman que l'on dévore, mais plutôt d'un conte philosophique ou d'un recueil de réflexions sur le déchiffrement du monde qui emprunterait la forme du récit. Comme "Le livre de l'intranquillité" de Fernando Pessoa ou "Le prophète" de Khalil Gibran, il est à lire posément, quelques pages à la fois, cela a été déjà remarqué. Il fait partie de ces ouvrages qui modifient notre regard sur la réalité, "quand tu saisis l'un d'eux tu es toi-même, quand tu le reposes tu es un autre". Oeuvre habitée, inclassable et sans concession, d'un auteur français encore inconnu, on aura compris que Livre m'a subjugué. Je le recommande à tous ceux qui ne craindront pas de plonger la tête la première dans les couloirs du labyrinthe afin de tout savoir de ce que Borges ne nous a jamais dit sur l'infinie bibliothèque.
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Livre de Bernard Thierry est un ouvrage totalement singulier. Ici, la syntaxe ne comporte point de majuscule, les mots et les phrases se succèdent dans des formes de textes numérotés ayant pour thème commun: les livres et la bibliothèque.
Personnellement, dés le début, j'étais réellement intéressé par les textes de l'auteur puis ensuite au fur et à mesure de ma lecture, je me suis lassé, ayant l'impression de toujours lire la même chose.
Enfaite, je n'arrive pas à définir cet ouvrage ni si son contenu est bon ou moyen, je penses que c'est selon les goûts littéraires du lecteur et de son approche face à l'écrit de l'auteur.
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"le jour où tout être humain se découvre scribe le temps est venu de la surdité et de l'incompréhension universelle." Quel vertige que Livre de Bernard Thierry ! J'ai essayé au début de ma lecture de me prendre au jeu de ce vertige et de ces circonvolutions syntaxiques, mais n'ayant pas réussi à en comprendre le code, j'ai peiné jusqu'au bout. Je me suis donc parfaitement retrouvée dans cette citation extraite du livre entraînée dans la surdité et l'incompréhension universelle des mots qui défilaient sous mes yeux. Puis j'ai lu la biographie de l'auteur et là j'ai cru avoir été à mon insu un objet de laboratoire, en tout cas un objet d'observation. Enfin, je me suis révoltée et je me suis dit que "non ! le mot "livre" m'avait attirée parce qu'intellectuelle, l'objet livre m'attire et tout ce qui s'écrit dessus aussi, mais que là on m'avait prise pour la dinde de la farce... et que de livre il n'était ici point question". Puis la réflexion est venu atténuer ma colère avec cette conclusion : ce livre est un génome à décoder, composé de chromosomes et de gènes. L'auteur a voulu intellectualiser ses réflexions scientifiques mais la clef cependant n'appartient qu'à celui qui se veut scientifique. Me reste à savoir si la recherche me tente... pour le moment, la réponse est résolument non. Mais les amateurs d'énigmes et, je veux y croire, quelques amateurs des sciences de l'homme sauront trouver la clef et apprécier cette poésie éthologique.
PS : le livre a eu le mérite de me faire connaître ce qu'est l'éthologie, mais cela s'est passé après sa lecture, dommage... Cela dit, c'est peut-être une des premières clefs pour comprendre l'ouvrage... et donc, il se pourrait fortement que je relise ces pages prochainement avec une approche nouvelle. Une question me taraude quand même : est-ce que je ne suivrais pas là "à l'insu de mon plein gré" le protocole de Bernard Thierry ?
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Ce livre est un ovni de la rentrée littéraire, totalement singulier et atypique; que ce soit au niveau de la forme ou du fond.



Parlons d'abord de la forme, durant la lecture on se rend compte qu'il n'y a pas de numéro de pages et aucune majuscule. le texte est centré et découpé inégalement, pouvant aller d'une simple phrase à un texte de trois pages, ce qui donne du rythme au texte.



Dans la lignée de la Bibliothèque de Babel de Borges et de de Bibliotheca de Umberco Eco, l'auteur nous entraine dans LA bibliothèque celle que tout le monde dit parfaite. Un véritable petit univers peuplé de différentes confréries prônant divers concepts autour du livre, tantôt amis, tantôt ennemis...





Dans sa quête, qui prend la forme d'un conte philosophie ou d'une quête initiatique, nous parcourons avec le narrateur l'histoire du livre. On le suit au fil des rayonnages et des niveaux de cette bibliothèque quasi infinie et dont personne ne connait la totalité, découvrant grâce a lui les microcosmes qui y vivent et leur croyance...



Ce livre n'est pas pour tous les publics, il a plusieurs niveaux de lecture, des références qui ne sont pas forcément visibles, des jeux de mots... J'ai lu ce livre par étape, analysant et m'imprégnant des différents passages. Ce n'est pas un livre qu'on lit d'une seule traite, c'est un livre qui amène à la réflexion et à l'étude. J'ai du faire quelques recherches pour mieux comprendre cet ouvrage.



En tout cas, j'ai beaucoup apprécié cette lecture atypique, bien que je ne sois pas certaine de le relire un jour.
Lien : http://www.latheierelitterai..
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Citations et extraits (51) Voir plus Ajouter une citation
des peuples aujourd’hui éteints nous ont laissé la connaissance d’un être qui ne craint pas plus la mort que le sommeil qui nous anéantit chaque nuit. il franchit les mers et les déserts, il survole l’indus, l’euphrate et le nil, c’est le grand oiseau pourpre du soleil, le phénix. partout il va devant les temples et il émeut les dieux et les hommes de son chant profond. aucune musique ne peut lui être comparée, aucune n’atteint ses accents et ses harmonies, aucune n’égale sa mélodie suave dont les notes pleines de nostalgie ont le pouvoir de ranimer les souvenirs enfuis. quand le phénix a parcouru les quatre cent quatre-vingt-dix-neuf ans de sa longue existence, sentant décliner ses forces, il retourne là où il est né, à l’endroit où se joignent le ciel et la terre, sur les hauts plateaux d’abyssinie où veillent les géladas, ces singes-lions au fier sourire dont la poitrine porte la marque écarlate qui les désigne comme les gardiens de son sanctuaire. il rassemble de grandes inflorescences qu’il ploie et entrelace sur une roche escarpée, construisant au-dessus des brumes et des peines du monde le nid qui sera son bûcher. il s’installe sur ce lit et attend le jour prochain. aux premiers rougeoiements de l’aube, il entame une dernière fois son chant, appelant la lumière sur lui. lorsque le soleil atteint son zénith la voix du phénix s’abaisse en une douce plainte, un rayon fait jaillir une flamme et le voilà qui s’embrase, bientôt réduit en cendres. s’il meurt c’est pour vivre. à la première rosée se forme un obscur magma. il en naît une larve aux reflets cuivrés qui tisse autour d’elle un cocon dont la soie se durcit en une paroi de pierre. les anciens assurent que la nymphe se nourrit des rayons du soleil, aucun ne mentionne la durée de sa métamorphose. quand l’œuf se brise paraît un oisillon roussâtre qui va grandir lentement sous la garde occulte des géladas qui paissent sur les prairies d’altitude. après onze ans son corps se couvre de pourpre et sa gorge s’éclaire de plumes aux couleurs du soleil. le phénix a repris sa figure première. ce n’est encore qu’un adolescent de quelques mètres d’envergure quand il quitte le nid qui fut son berceau et la tombe de son père pour regagner le monde où la naissance et la mort sont séparées. nous aimons croire à la sérénité de cet oiseau au vol monotone que ne troublent ni le léopard ni les vents de sable et qui sans s’émouvoir s’immole à intervalles réguliers comme une horloge sans âme. mais l’oiseau de lumière a une ombre. le phénix est un être inquiet qui souffre d’un mal caché. chaque génération éduque la suivante, les pères enseignent les fils et qui enseigne le phénix ? le jeune oiseau ne chante pas, il n’émet qu’un fouillis de notes incohérentes, un sous-chant que les mystères de l’initiation n’ont pas visité. cette amnésie récurrente il doit l’affronter à chaque nouvelle naissance. les prêtres de baal le savaient dont on dit qu’ils avaient consigné les chants du phénix dans leurs textes sacrés. leurs manuscrits ont brûlé lors de la destruction de carthage et avec eux a disparu leur science de la divination et la prédiction du passé. polybe rapporte que scipion versa des larmes devant les flammes de la ville incendiée par son armée à la pensée du sort des grands empires auquel rome même ne saurait échapper. des dieux de carthage rien n’est demeuré, pourtant le secret de l’oiseau pourpre nous est resté, les théories platoniciennes en ont perpétué la trace. mais qui connaît vraiment ses efforts millénaires pour ne pas oublier ? la mémoire est la grande affaire du phénix. quand dans la force de l’âge il se pose près des temples et que devant le soleil son chant s’élève, ce n’est pas au ciel ou à ses dieux qu’il s’adresse mais à leurs imparfaites créatures. ses rythmes racontent ses origines, ses espérances, tout ce qu’il sait et désire transmettre à lui-même, son fils, sa descendance. la mémoire humaine est fragile, elle ne peut recueillir que des fragments de ses vastes récitatifs. il doit inlassablement répéter son chant partout sur la terre afin d’instruire les hommes. ils conserveront pour quelques générations les parcelles de son enseignement. lorsque jeune à nouveau le phénix revient voler au-dessus des temples d’uruk, memphis, ninive, babylone, ugarit, tyr, byblos, héliopolis, carthage, alexandrie, au gré des destinées humaines, il écoute leurs psaumes et leurs cantiques qui montent jusqu’à lui, il y déchiffre les cadences et les rythmes de sa musique, il réunit les lambeaux de ses souvenirs, son esprit frémit de son savoir renaissant. pendant de longues années il ne vocalise qu’en son sommeil, ce ne sont encore que des murmures mais ils font trembler ceux qui au loin entendent ces formidables babillages auxquels répondent les cris des divinités nocturnes. il faut un siècle de vie au grand palimpseste céleste pour recomposer son chant. enfin arrive le jour où il peut entamer sa mélopée et reproduire sa mémoire à travers les hommes de courte durée. le phénix sait qu'il est un revenant solitaire errant d’un âge à un autre. rien de singulier pour lui dans son existence unique et toujours recréée car tel est son destin. il est son propre fils, son héritier, son père, lui et non lui, le même et non le même, conquérant par la mort une vie éternelle. cependant il s’interroge sur son savoir. d’où lui vient cette faculté de comprendre le langage de sa musique ? comment s’assurer de l’exactitude des souvenirs retrouvés ? ses réminiscences renouvelées n’accumulent-elles pas d’imperceptibles erreurs ? si le cycle des renaissances du phénix est infini alors infini est son insensible oubli.
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les palimpsestes sont ces murs couverts de phrases qu'on a écrites puis effacées puis réécrites puis encore effacées et réécrites. si peu d'êtres humains parviennent à reproduire les signes parfaits des livres, cela n'empêche pas l'alphabet de se multiplier sur les murs. celui qui veut ajouter ses mots à ceux des palimpsestes attend la période de neutralité puis, tandis que les autres s'endorment, il se rend dans un couloir, s'arrête contre la paroi où il a appris à flotter sans mouvement et fait couler le sang de son doigt. difficile la première fois de s'entailler la peau sur le coin d'un livre. chez le scribe la plaie ne se referme jamais, il lui suffit de presser le doigt pour que le sang s'écoule aussitôt. les pensées s'échappent en grosses gouttes qui s'écrasent sur le mur et s'étirent en symboles réguliers, miracle de la coagulation par laquelle les idées s'incarnent dans la matière.

Paragraphe 32.
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c’est la circonstance solennelle où devant l’assemblée se lancent les quêtes et s’examinent leurs conclusions, un novice peut s’adresser en égal à un auditeur, seul le rituel vient tempérer ces joutes où les adversaires
s’affrontent en se servant de toutes les armes de la rhétorique. à l’approche d'une controverse la tension monte dans l’école, les conversations se font plus vives, même les plus sages deviennent impatients. qui pourrait nier les sensations procurées par le spectacle des controverses, lequel d’entre nous n’admire une critique incisive, comment s'apitoyer sur celui qu'embarrasse un argument imprévu ? arrive l’instant où tous s’assoient autour des six auditeurs dans l’hexagone central, le premier auditeur dit ces mots, lève-toi et justifie ta réduction. celui qui se dresse devant l’assemblée, crois bien qu'à cette seconde son alphabet lui sèche dans la gorge. que l’assurance de ses gestes ne t'abuse pas, même le plus arrogant appréhende le jugement de ses pairs. l’entrée en matière est toujours délicate, les regards convergent vers le justifiant, il toise ses rivaux, jette un œil vers ses alliés, il souligne l’importance du problème puis explique que personne n’en possède la clé. certains justifiants recherchent l’approbation de ceux qui écoutent. ne te laisse pas distraire, défends ta question, expose sans détours comment la quête doit la résoudre et n’hésite pas devant l’orgueil de ta position, l’ambition est indispensable à celui qui veut réduire l’information. examine chacune des difficultés que soulève ton projet, dispose tes arguments en lignes successives, entoure les points obscurs de batteries d’interrogations, protège ta méthode par des faisceaux de preuves, creuse des fossés d’ignorance que ton adversaire ne pourra combler, attire-le dans des paradoxes où sa pensée s’épuisera sans trouver d’issue.

Paragraphe 16.
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chacun de nos actes élimine des galaxies d’histoires potentielles. chaque seconde de notre avenir résulte d’une combinaison de circonstances qui ne représentait qu’une chance parmi des nombres incalculables un instant auparavant, faisant de chaque événement un accident unique et de l’univers un monstre qui n’aurait jamais dû advenir. c’est du moins ce qu’il nous paraît. mais qu’on procure la durée et tout le possible arrive, l’invraisemblable devient certain et nous habitons alors une autre sorte de monde composé d’univers dont les vaines répétitions nous condamnent à être les perpétuelles victimes d’une plaisanterie cosmique. dans quel monde probable ou improbable vivons-nous ? il est sûr que la bibliothèque possède la réponse. il faudrait un quart ou même un tiers d’éternité pour la découvrir. aurons-nous le temps. et comment saurons-nous la reconnaître au milieu de toutes les réponses possibles

Paragraphe 82.
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tu sais ce que nous disons, expliquait-il, quand tu lis un texte puis un autre, la lecture du deuxième texte est influencée par le premier, et quand tu relis celui-ci il est devenu un troisième texte. les mots restent les mêmes mais leur sens a été modifié, tu ne peux revenir en arrière, tu dois passer sans te perdre d’une bifurcation à l’autre.

Paragraphe 59.
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