C'est un crime majeur que d'engendrer un être, dont on sait qu'il sera malheureux au moins une fois dans sa vie. Le malheur, même s'il ne dure qu'un instant, c'est le malheur tout entier. Engendrer une solitude parce qu'on ne veut plus être seul, c'est criminel.
La sensualité, cette maladie qui porte en elle le germe de la destruction. Tôt ou tard, elle dissout le meilleur de vous-même, provoque le renversement de toutes les valeurs, le bien et le mal, le proche ou le lointain, le haut et le bas. Dieu est absent, parce que la puissance charnelle pénètre tout... ce qui a été moral devient immoral, un exemple de tous les naufrages. Duplicité de la nature.
Comment est-ce arrivé? Et comment et pourquoi était-ce fini tout à coup? D'abord pas de jour sans elle, puis presque plus de nuit sans elle, puis tout s'est effrité comme ça s'effrite toujours, se retire toujours de deux être humains et les tire vers deux directions opposées, très loin l'un de l'autre. […] Alors ça ressemble à deux montagnes séparées par un fleuve impétueux.
Le beau visage, dit le peintre, combien de temps sera-t-il encore beau? Est-ce qu'il échappera à la dégradation commune à toute la vie? Non. Quelque élément de bestialité va surgir une nuit sur ce visage et y laisser ses traces, d'abord une trace à peine perceptible, puis plus nette, enfin un masque devenu pour nous insupportable, et nous nous mettons à la recherche d'un autre visage, qui ne soit pas encore déformé, qui soit beau… Et ce nouveau visage nous fascinera jusqu'à ce qu'il devienne la proie de la même dégradation. C'est ce qui nous arrive avec tous les visages.
Les artistes ce sont les fils et les filles de l'odieux,de l'impudence originelle, ce sont les archi-filles et les archi-fils de la lubricité, les artistes, les peintres, les écrivains, les musiciens,
ce sont sur cette terre les êtres astreints à l'onanisme, ses centres répugnants de crispation, ses périphéries d'abcès, ses ordres de processus purulents...Je voudrais même préciser: les artistes, ce sont les grands vomitifs de notre temps, depuis toujours, ils ont été les grands, les plus importants vomitifs...
Le 17 mars 2021 a disparu le comédien Jacques Frantz.
Sa voix de basse, puissante, vibrante et expressive, était particulièrement appréciée dans l'art du doublage. C'est tout naturellement que, en 2007, il a rejoint les grandes voix de « La Bibliothèque des voix » pour immortaliser dans un livre audio l'ancien acteur shakespearien désabusé dans la pièce de Thomas Bernhard « Simplement compliqué ».
Nous partageons cet extrait pour lui rendre un dernier hommage et adressons nos pensées émues à sa famille.
- - -
Le texte imprimé de « Simplement compliqué » de Thomas Bernhard a paru chez L'Arche Éditeur, en 1988. Direction artistique : Michelle Muller.
+ Lire la suite