Komödie
Thomas Bernhard, victime permanente des verdicts ratés. On l'a décrit pessimiste (il l'est), sinistre (il ne l'est pas), haïsseur de la Terre entière et en particulier de l'Autriche ; Il aime peut-être trop l'amour pour aimer les choses terrestres.
En 1984, sa compagne ("La Tante", de trente-cinq ans son ainée) vient de
mourir. Il écrit
Maitres anciens, qu'il sous-titre "Comédie". Mais
Bernhard n'est pas un écrivain. Il déteste la littérature. Il ne se dit pas romancier, metteur en scène, faiseur de théâtre, ni même narrateur. Il écrit. Quand on lui demande ce qu'il est, il dit qu'il écrit, voilà ce que disait
Bernhard.
Poseur de bombes, personne n'échappe à son ire sardonique. Ni le Greco, ni Beethoven, ni Klimt, ni Stifter. On se les gâche tous quoi qu'il arrive. On les kitschifie, quand ils ne sont pas kitsch par eux-même, et c'est notre faute.
Seulement,
Bernhard, même quand il est narrateur, n'est que passif. Dans
Maîtres anciens, c'est un monologue de Reger, dans la salle Bordonne du Musée des Arts anciens de Vienne. Qui observe L'Homme à la barbe blanche du Tintoret. le personnage, veuf depuis peu (ja) tire à boulets rouges sur tout l'art de ces
maîtres anciens. Atzbacher (le narrateur, très peu nommé) relate l'enfer personnel de Reger, qui exprime son obsession pour son fauteuil de la salle Bordonne du Musée des Arts anciens de Vienne, et pour ce qu'il déteste chez le Tintoret, chez les amateurs d'art, les artistes, et globalement chez tous les habitants de ce monde.
Malgré ce qu'on pourrait bien imaginer, ou mal lire, Reger /
Bernhard propose des solutions. Sur l'intelligence de l'observation. Ne pas regarder les tableaux de trop près, ne pas lire trop fort, ne pas écouter trop profondément, ne pas aimer trop fort, au risque de tout se gâcher.
C'est tout un art. L'admiration étant le propre de l'imbécile, la frontière est ténue entre le critique d'art moribond et l'amant abstrayant.
C'est donc purement un objet livresque intellectuel. Mais cérébral. Mais sensoriel. Donc jamais quoi que ce soit de tangible. Ce serait du gâchis. D'où la Comédie. le rire point dans l'exagération, dans l'extrêmisme de Eger, dans le dynamitage de toutes les institutions.
Il se trouve que tantôt nous sommes des artistes de la parole, tantôt des artistes du silence, et nous perfectionnons cet art au plus haut point, c'est ce qu'a dit Eger.
Quant au style de
Bernhard, ça ne ressemble à rien d'autre. C'est un flux ininterrompu et répétitif de désamorçages d'intrigues, d'idées esthétiques et de paradigmes possibles, tout en n'apportant aucune réponse définitive. A la rigueur, on peut rapprocher
Bernhard de la tradition très autrichienne des écrivains qui méprisent leur pays (la Cacanie - comme le caca,
oui - de Musil ;
la Ronde obscène de
Schnitzler ; le Monde d'hier de Zweig).
Thomas Bernhard est un écrivain à points d'ancrage. On voit apparaitre des motifs en permanence, et quand vient une idée, elle est prolongée, enfoncée dans la gorge jusqu'à la nausée, puis annihilée, explosée.
Thomas Bernhard répète à l'envie les mêmes motifs, c'est cela qu'a dit Gepeoh ce jour-là, assis dans son canapé de la rue R******. La philosophie, l'art et l'autrichien est dégoûtant, c'est un pays apathique, pire que tous les pires pays d'Europe, un pays catholico-national-socialiste en décrépitude, a dit Eger dans le fauteuil de la salle Bordonne du Musée des Arts anciens de Vienne, a écrit Artzbacher, arrêtant Eger dans son flux de parole, c'est cela qu'a écrit
Bernhard, veuf, installé tristement dans sa ferme de haute-Autriche, or il n'est pas un temps à être lyrique, a relaté Gepeoh depuis son canapé, tout en ignorant que ce flux inexistant en la forme n'est probablement qu'un amusement de plus pour l'humour si singulier et trompeur de
Bernhard.
Il n'y a rien, strictement rien qui nous sauvera. La musique, l'amour, la mesure. le jeu peut-être. La comédie. C'est cela qu'a voulu dire
Bernhard. Pas négativiste. Désespéré. Dans l'attente de sa mort, la mort d'un tubard.