Je me suis lancé dans Pertubation sans trop savoir à quoi m'attendre. Un jeune homme suit son père, médecin, qui voit une série de patients dans une contrée perdue de l'Autriche. le père croit que voir la « misère » du monde, ses bassesses, ne peut pas nuire à son fils, même que cela pourra lui montrer la « vérité » sur sur la vie, sur les gens. Leur tournée commence d'ailleurs mal, avec le meurtre d'une aubergiste par un homme alcoolisé, maintenant en fuite. S'enchainera ensuite une série de gens plus ou moins perturbés, perturbés pouvant être ici vu comme un euphémisme. Mais le clou de cette tournée sera la visite du prince, qui ferra en fait plus de la moitié du livre.
Le prince vit dans son château (l'une des références à Kafka) et reçoit le docteur pour ses cachets, contre la démence. Dès que le médecin et son fils font leur entrée au château, le prince commence un monologue que l'on suit d'abord comme ceux que l'on a suivi avec les autres « patients », puis on s'aperçoit que ce patient n'est pas comme les autres. Ça commence tout en douceur, avec ce qu'a fait le prince ce matin, s'entretenir avec 3 candidats pour le poste de régisseur du domaine, puis le ton s'obscurcit, sans qu'on le remarque vraiment ; la machine se dérègle boulon par boulon. le prince n'est pas un optimiste, c'est le moins qu'on puisse dire, il est d'une extrême lucidité : une lucidité déconcertante, pour lui. Pareil à un insomniaque qui rumine ses pensées dans un sens et puis dans l'autre, une insomnie fiévreuse, qui consiste à tourner des idées noires jusqu'à ce que cela devient un mélange qui contamine tout le reste. Des idées sur les autres, vivre en société ; le rapport père-fils, très présent, qu'est-ce que fera sont fils de son domaine une fois que lui sera mort, etc...
Ce monologue est une véritable prouesse littéraire. À la fois dense au niveau des idées maniées par le prince (je parta
ge le rapprochement avec
Cioran), mais également dans la construction même du récit, où l'on s'aperçoit que lorsque le prince parle des autres, et bien, il parle toujours de lui-même. le prince est obsédé par lui-même. Il entend une voix, un bruit : il n'a jamais la tête vide, toujours en remue-méninge. Il se perd, littéralement, dans le labyrinthe de ses idées. C'est fabuleux de suivre se tourment intérieur, une véritable
perturbation de l'esprit qui nous perturbe également.