Si je vous dis Lamartine,
Vigny, Hugo,
Musset ou encore
Nerval, vous me dites bien évidemment : ce sont des romantiques ! Et vous avez raison. Mais encore faut-il préciser : ce sont des romantiques "majeurs". Parce que, oui monsieur, oui madame, il y a des romantiques "majeurs" et des romantiques "mineurs". Ces derniers on n'en parle guère dans les chaumières, mais ils ont leur importance, et littérairement parlant, ils ont laissé une trace. Tenez, à la première d'Hernani, rameutés par
Théophile Gautier et
Gérard de Nerval, ce sont eux qui ont fait d'une représentation théâtrale une bataille (plus ou moins rangée) auprès de laquelle Austerlitz ressemble à une querelle en cour de maternelle.
Parmi ces romantiques dits "mineurs" ou "petits romantiques", nous trouvons des noms connus :
Marceline Desbordes-Valmore, LA poétesse française du romantisme,
Auguste Maquet, qui deviendra le collaborateur principal d'
Alexandre Dumas, ou encore Lacenaire, le poète-criminel qui finira guillotiné. Et puis des poètes moins connus comme Pétrus Borel ou
Aloysius Bertrand.
Louis-Jacques-
Napoléon Bertrand, dit
Aloysius Bertrand (1807-1841) est poète et dramaturge (encore n'a-t-il écrit qu'une pièce qu'il n'a pas réussi à faire jouer). Surtout, il est l'auteur de
Gaspard de la nuit (paru en 1842, après sa mort).
Gaspard de la nuit est un recueil de soixante six poèmes en prose, sous-titré Fantaisies à la manière de Rembrandt et de Callot. Ce sous-titre n'est pas sans rappeler un recueil de
nouvelles de E. T. A. Hoffmann, paru en 1816 Fantaisies à la manière de Callot. Vu la similitude d'inspiration entre les deux poètes, ce n'est sans doute pas un hasard.
Justement quelle est-elle, cette inspiration ? Elle est romantique, forcément, elle se nourrit des chansons et ballades médiévales alors à la mode, à l'atmosphère mystérieuse venue des légendes allemandes, à celle tout aussi inquiétante du gothique anglais, aux tentations ésotériques peuplées de sabbats et de sorcières... Elle se réfère comme indiqué aux peintures de Rembrandt d'une Hollande mythique, à la fois réelle et imaginée, ou d'un Callot, auteur de Misères de la guerre aux allures fantastiques.
Il ressort de toutes ces influences une
poésie nouvelle, non plus en vers mais en prose, dont le pouvoir évocateur est la première caractéristique, la deuxième étant le rythme du poème, envoûtant comme un sortilège, et la troisième une complicité avec le lecteur qu'il emmène dans ses délires, pour parfois le lâcher dans une chute aussi saisissante qu'imprévisible.
C'est
Baudelaire lui-même qui, dans sa préface du Spleen de Paris, adoube
Aloysius Bertrand comme inventeur du poème en prose.
Pour les mélomanes, je ne saurais trop conseiller un triptyque pour piano de Maurice Ravel (1908), intitulé également
Gaspard de la Nuit. le compositeur y adapte trois poèmes : Ondine, le Gibet et Scarbo;
Et si vous n'êtes pas mélomane, ne vous inquiétez pas, vous serez quand même séduit par la petite musique, envoutante, ensorcelante, pleinement dépaysante d'Aloysius Bertrand.