Le livre de
Romain Bertrand revient sur fait colonial tel qu'il s'est inscrit dans les débats autour de la « loi de février 2005 » puis de l'appel « des indigènes de la république ».
Travail remarquable sur les discours, les mémoires et l'histoire, les inscriptions dans le champ politique, cet ouvrage parcourt le nouvel espace de débats où la « question (post)coloniale » tend à éluder la « question sociale ».
Les uns glorifient la colonisation en scindant l'histoire en violence inaugurale et malheureuse et en progrès de la civilisation sous la bannière de la république, sans traiter des rapports économiques et sociaux et de leurs violences spécifiques, dont l'inégalité citoyenne.
L'auteur nous montre comment est inventée une politique de la mémoire, étudie les rapports entre clientélisme et conviction, explicite la levée du verrou anti-OAS dans le parti se réclamant du gaullisme, analyse les politiques dites de repentance.
Les autres présentent une continuité des oppressions de manière anachronique qui, de surcroît, nie à la fois la spécification de l'oppression coloniale et les réalités actuelles des discriminations « c'est finalement se dispenser à bon compte de penser, dans le renouvellement permanent de leur fonctionnalité sociale, les fabrications contemporaines des racismes ordinaires ».
Il ne s'agit bien évidemment pas de renvoyer dos à dos les uns et les autres dans une responsabilité partagée mais de monter comment les discours participent à des reconstructions mythiques du passé et à leurs projections linéaires dans le présent.
R. Bertrand déconstruit la naissance du regard politique sur le tord républicain « cette mise en relation du passé colonial et du présent politique s'effectue par le biais d'une équivalence historiquement problématique, mais transformé en évidence indiscutable par sa réitération : celle qui établit une stricte équivalence, au regard de la constitution d'un tord républicain primordial, entre les colonisés d'hier et l'immigration discriminée d‘aujourd'hui. » avant d'analyser en détail l'appel des « indigènes de la république ».
Un chapitre sera consacré aux conséquences juridiques de la loi du 21 mai 2001 caractérisant la traite et l'esclavage comme un crime contre l'humanité. Ainsi
Olivier Pétré Grenouilleau, auteur des « Traites négrières » sera assigné en justice pour contestation de crimes contre l'humanité, pour « avoir rappelé ce que décennies de recherches africanistes ont démontré, à savoir la participation de royaumes et de réseaux africains et/ou musulmans aux systèmes de la mise en esclavage (Pap N'Diaye) ».
Pour l'auteur, dont je partage les conclusions, la définition « ethnique » d'identités victimaires tendant à se substituer à la définition sociale d'identités politiques est une régression qui permet entre autres de repousser les frontières de l'indicible.
Pour modifier les conditions qui ont rendu « probable le propos que l'on croyait impossible » il me semble utile de poursuivre et approfondir les débats entre recherches historiques et politiques de la mémoire, de prendre en compte les points de vue du genre et des opprimés ou des vaincus dans la construction d'une histoire à vocation scientifique et universelle.
De plus, je pense qu'il faut aujourd'hui réfléchir aux modalités d'abrogation de toutes les lois dites mémorielles, y compris la Loi Gayssot.
Sur les positions défendus par « les indigènes de la république », je renvoie, au delà des désaccords profonds, à deux ouvrages porteurs de riches argumentations et réflexions l'un de
Sadri Khiari et l'autre de la revue Contretemps (numéro de janvier 2006).