Ça fait déjà quelques années que j'ai visité Schattenhaufen...en 2010, je crois ; trois années après les élections présidentielles de 2007. Élections qui avaient amené ce petit village alsacien de 143 âmes, avec un net penchant pour le FN, sur le devant de la scène...
Depuis, les choses ont bien changé...oui, depuis ce fameux marché de Noël...
Mes souvenirs restent un peu confus concernant les habitants, mais je me rappelle bien Zoë qui à 26 ans, encore vierge, aspirait à l'amour consommé...Madeleine qui devait supporter sa mère acariâtre, le Maire taciturne et renfermé sur sa propre souffrance, Adonis...euh, non, Antoine qui avait ses raisons de partir si souvent en vacances, Georges qui ruminait autant que ses ruminants...et l'incontournable Aziz, bien sûr !
J'avais appris à connaître leurs histoires, comme il il y en a tant dans chaque village...des tranches de vie à la légèreté apparente ou d'autres plus cachées, secrètes...des histoires de chagrins, de regrets, et de rêves !
Mes souvenirs se font plus précis quand je repense à l'ambiance générale qui régnait à Schattenhaufen en ce mois de décembre. le ciel restait obstinément bleu...pas un seul nuage gris rempli de flocons de neige tant désirés. Mais le fond de l'air était à la tolérance, l'intelligence sociale, la cordialité et la bonne humeur !
D'un ton enlevé, avec de justes dosages d'ironie et de dérision, évitant les cliches par une pirouette, l'auteur nous raconte les préparatifs de ce marché de Noël (dont on se demande s'il va avoir lieu !), ainsi que la vie des "petits gens" dans ce village typiquement (?) alsacien...que vous ne trouverez sur aucune carte.
Je vous invite à lire le résumé-Babelio (= 4ème de couverture) qui non seulement résume l'histoire avec justesse, mais annonce aussi son verbe pétillant !
(Non, je n'ai ni abusé de la Kro', ni de crémant !)
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Les hommes aussi, d'ailleurs, se traquaient le poil. Ceux du nez, des oreilles, du dessous des bras. Eux aussi s'épilaient. Pour pas qu'on les prenne pour des bêtes, sans doute. En tondant ses moutons, Georges Schaeffer y pensait parfois, à cette histoire de poils. Surtout en été, quand il avait le pantalon retroussé. Il passait la tondeuse dans la toison de ses bêtes et il aurait pu continuer sur ses jambes. Il était aussi laineux qu'elles. Sauf que lui n'avait pas de suint. Juste une couche de sueur et de crasse qui noircissait le bac de la douche. Des superman. Qui se propulsaient ici et là, sans avoir le temps de dire ouf. Qui tournoyaient dans l'existence comme des toupies. La plante des pieds avec la pédale d'accélérateur incarnée. Et pour aller où ? De ronds-points en bretelles d'accès. De voies rapides en voies express. Des tas de routes qui ne menaient nulle part. Sauf aux parkings des supermarchés. Pour acheter du surimi. Du jambon en kit. Des œufs carrés. Les superman, tous des pauvres types. [...]. Avec des chiennes de vie. Obligés de dire oui quand ils pensaient merde. [...]. Mal dans leur peau, mal dans leur dos, mal dans leur cul. Tous propres sur eux, mais l'intérieur en ruines. Sans poils et sans forces. Des tranquillisants au petit-déjeuner. Tous seuls, dans le grand troupeau épilé. Alors les bêtes, les vraies, celles à quatre pattes poilues, ça leur plaisait aux épilés. [...]. Dans leurs voitures à l'arrêt, ils souriaient, extasiés, quand Georges faisait traverser la route à son troupeau. "Des moutons", ils disaient, avec des yeux tout brillants de plaisir. Ils auraient dit " La Sainte Vierge !" sur le même ton. Sauf que ses moutons bêlaient mieux. [...]. Ses moutons faisaient fondre les pauvres types épilés. Toucher du crin brut, frotter un museau, [...], ça leur redonnait du poil de la bête.
Qui donc se souciait de nous quand il neigeait ? Qui se souciait de Schattenhaufen, commune de 143 âmes seulement, et seulement reliée à l'humanité circonvoisine par la C 27, voie communale large d'environ deux mètres, à tout casser ? Le chasse-neige mettait toujours des heures à nous arriver. Et quand enfin il arrivait, la neige avait déjà fondu. Ou alors avions-nous tous, d'une pelle rageuse, déjà déblayé le blanc manteau des poèmes et la sombre gadoue de la réalité.
Début décembre, il faisait doux comme au printemps. Une catastrophe, se désolaient les uns. Un vrai scandale ! s'indignaient les autres. Pour autant, notre ciel demeurait pur et sans nuage. Et jour après jour, ces températures agréables exacerbaient nos crispations. On tonnait, on sacrait, on pestait. Pour un flocon de neige, on aurait tout donné. Ou presque. Mi-décembre, certains parlèrent même de malédiction. Et lancèrent au ciel des Gottverdammi par chapelets.
Qu'il neige ou pas du 15 au 22 décembre, Il s'en souciait comme d'une guigne. Les poings brandis contre ce ciel bêtement bleu Le laissaient de marbre. Et bras ballants, la plupart d'entre nous en venaient à l'admettre : même en y mettant du coeur, cracher au ciel ne le ferait pas neiger davantage. Cracher au ciel était inutile. On renonça donc vite à cette pratique. Car chez nous, on ne s'abaisse pas à faire les choses pour rien.
Chez nous, on jure pour lâcher la pression. Plus par souci d'hygiène que par réelle conviction, à vrai dire. Et moins encore dans l'espoir d'atteindre le Très Haut. Car Dieu, toujours un peu dur d'oreille et tellement au-dessus de tout ça, se révélait le plus souvent inaccessible.