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EAN : 9782246854944
291 pages
Grasset (19/08/2015)
3.68/5   1210 notes
Résumé :
La septième fonction du langage

« A Bologne, il couche avec Bianca dans un amphithéâtre du XVIIe et il échappe à un attentat à la bombe. Ici, il manque de se faire poignarder dans une bibliothèque de nuit par un philosophe du langage et il assiste à une scène de levrette plus ou moins mythologique sur une photocopieuse. Il a rencontré Giscard à l’Élysée, a croisé Foucault dans un sauna gay, a participé à une poursuite en voiture à l’issue de laquelle ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (242) Voir plus Ajouter une critique
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sur 1210 notes
L'éclate absolue!

Quel romaniste, quel linguiste, quel philologue n'a pas rêvé dans son moi le plus intime, dans son for le plus intérieur, dans son jardin le plus secret, de mettre aux prises les descendants de Jakobson dans un jeu de massacre bien ordonné et de les envoyer se faire ...lanlaire avec les fonctions référentielle, expressive, phatique, métalinguistique, conative (non, ce n'est pas une grossièreté!) et enfin poétique du langage...quitte à en imaginer une septième, de fonction, qui les sublime toutes: la fonction "magique" qui confère à son utilisateur la maîtrise absolue dudit langage.

Le pouvoir par le verbe. L'arme de séduction massive, la bombe H (HhH) des politiques aux dents longues...ou limées!!

Grâces soient rendues à Laurent Binet qui dans ce thriller parfait, tordant, bourré de malice, truffé de pastiches, sautillant gaiement d'une citation détournée à une allusion épicée, nous mène grand train dans le microcosme allumé des structuralistes en pleine déconfiture!

Voyons plutôt les protagonistes :

-à ma gauche, l'élite intellectuelle de l'époque: Barthes, fraîchement écrasé- mais est-ce bien un accident, cette camionnette conduite par un Bulgare qui roule si visiblement les rrr qu'on ne peut ignorrrrer son orrrrigine?- Foucault, chaudement sorti des back doors des saunas qu'il affectionne ( une des scènes les plus hilarantes du livre, qui n'en manque pas!!) - Kristeva, sacrificatrice aux yeux noirs, Sollers, bouffon pathétique et cocasse -ah, ah, oh oh, - sautant du coq à l'âne sans effort et sans vergogne ( zeugma)- BHL, (mais oui, BHL: "Le lecteur, glisse Binet, s'étonnera peut-être de la présence de BHL mais déjà à cette époque, il est dans tous les bons coups" , et quand il ne veut pas se faire remarquer -rareté!- il déboutonne une chemise noire, incognito...). J'allais oublier Althusser qui rêve d'étrangler sa femme...et va bientôt passer aux actes, Derrida qui fait cavalier seul, Deleuze, le sémillant sémiologue, maître Ecco, grand ordonnateur de débats rhétoriques digitophages ( comprenne qui lira...), sur fond d'attentat fasciste en gare de Bologne... Rien que du beau linge, on vous dit!!

-à ma droite, les politiques : Giscard , tout chuintant de suffisance aristocrate et auvergnate, mais pas sûr de battre encore une fois le candidat malheureux de la gauche, aux dents pas encore limées: Mitterrand, cet "homme du passé" qu'il a si bien mouché aux élections précédentes...

Voilà pour ceux que l'on a déjà "vus dans de précédents épisodes "et qu'on reconnaît au passage, pour notre plus grande délectation..

Mais il y aussi les deux enquêteurs- on vous l'a dit, c'est un polar, il y a mort d'homme- le couple classique des policiers, Double-Patte et Patachon, le petit méchant et le grand gentil, le bas-du-front -presque -national et le sémiologue distingué , assistant à Vincennes. Il y a celui qui devient un as du Rubikube et celui qui décode signes et faux-semblants avec la dextérité d'un Sherlock Holmes...

Double enjeu:
-qui mettra la main sur le billet où Barthes a consigné cette 7ème fonction mythique que tous recherchent et qui déclenche une avalanche proprement impressionnante de morts violentes dans le Landernau structuraliste?
-qui gagnera les élections présidentielles de 81?

D'accord, ce deuxième suspense n'en est plus un pour nous...mais quelle formidable idée d'avoir mêlé l'un à l'autre...et de voir les rivalités intellectuelles et politiques régies par la même sauvagerie, la même soif de reconnaissance, les mêmes dévouements zélés ou serviles...

J'avais déploré dans HHhH que Binet se soit un peu emmêlé les pinceaux dans le récit et le méta-récit, pour reprendre le jargon structuraliste à l'honneur, mais ici l'ironie ne nuit en rien à la poursuite de l'intrigue, elle s'y intègre merveilleusement au contraire: on se régale, on rit, on est épaté de tant de pertinence et d'impertinence, ravi de revisiter sur le mode parodique ces "maîtres-penseurs" des années 80, de parcourir avec alacrité et une joyeuse férocité les grands événements politiques de ce début de décennie...

Un livre formidable de drôlerie, d'intelligence et d' inventivité!!

J'ai vraiment adoré (fonction expressive ou émotive) et je vous le recommande chaudement (fonction conative), si vous voyez ce que je veux dire (fonction métalinguistique)?
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Je vous parle d'un temps que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître.... L'année 1980. Björn Borg, Mourousi, une cassette de Supertramp, une bouteille de Banga, les R16 mais surtout, une pléiade de penseurs français dominant le champ intellectuel. Branchez votre Walkman et débutez ce « Retour vers le futur » au sein des eighties…

« La septième fonction du langage » se présente à la fois comme un pastiche du genre policier, un exposé sur les différents courants de pensée de la « French theory » et une réflexion sur le roman et le langage. le 25 février 1980, Roland Barthes au sortir d'une repas avec François Mitterrand, est renversé par une camionnette alors qu'il transportait - peut-être - un document sur la septième fonction du langage, une fonction qui permet de convaincre n'importe qui de n'importe quoi. Ce document a donc une importance capitale qui suscite bien des convoitises. Un duo improbable va enquêter sur ce document disparu. Jacques Bayard, commissaire des Renseignements généraux, est chargé de mener une enquête de routine pour voir si un élément dans ce drame peut compromettre le candidat socialiste probable. Bayard a tout du beauf de Cabu, le physique et les opinions. Perdu dans les méandres de ces théories et dans la faune de l'intelligentsia parisienne, il va quérir l'aide d'un étudiant de la fac de Vincennes, Simon Herzog, qui prépare une thèse de linguistique. L'affaire se corse, l'histoire s'épaissit et le roman prend les allures du film « le grand blond avec une chaussure noire » : affrontements de services de renseignements rivaux, sociétés secrètes, énigme policière... L'enquête se mue en quête, si tout le monde cherche un document secret, tout n'est que prétexte à une initiation aux théories du langage. Car dans ce roman, le véritable héros est le langage et ses pouvoirs.

Le roman est aussi une plongée dans le milieu intellectuel du début années 80. Il y a pléthore de penseurs à cette époque : Foucault, Lacan, Bourdieu, Derrida, Althusser, Barthes, Lévi-Strauss, Deleuze, Guattari, le jeune Bernard-Henri Lévy , le couple Sollers & Kristeva, etc. On retrouve également des hommes politiques : le Président Giscard accompagné des deux Michel : Poniatowski et d'Ornano ; Mitterrand, pas encore candidat, et sa garde rapprochée : Lang, Moati, Fabius, Attali, Debray, Badinter. Laurent Binet traite toutes ces personnalités sous le trait de la caricature, les petits défauts sont agrandis au centuple. C'est souvent efficace, drôle, irrévérencieux, parfois non. Dans cette histoire, si Althusser étrangle son épouse, Hélène, ce n'est pas dans un accès de démence, mais c'est parce qu'elle a jeté par mégarde une copie de la « septième fonction ». Il est vrai qu'avec Laurent Binet, la frontière entre la fiction et la réalité est souvent floue. Il joue avec ses personnages, fictifs ou réels, vivants ou morts, et n'hésite donc pas à détourner des faits avérés d'une biographie. L'événement qui lance le roman en est la preuve. Si Barthes a bien été victime d'un accident de la circulation, l'auteur y voit une faille dans laquelle projeter ses hypothèses et un début d'intrigue. La fiction est grossie et veut apparaître en tant que telle. L'auteur joue avec ses personnages fictifs, principalement Simon, qui prend parfois conscience d'être enfermé dans un roman, sentiment si angoissant qu'il en arrive à défier son romancier/créateur. le roman est rédigé sous le patronage d'Umberto Eco dont il reprend le terme de « surnuméraire ». Les personnages ont une existence fictive mais non réelle, même s'ils sont inspirés de personnalités réelles…

« La septième fonction du langage » un roman brillant, léger et érudit, qui a le mérite de divertir son lecteur en dissertant sur l'illocutoire et le perlocutoire. C'est la nostalgie d'une époque où les intellectuels étaient à l'avant-garde de la pensée, où les débats étaient nombreux et riches.C'est aussi un rappel sur les pouvoirs du langage et ses dangers : (Renaud cite Binet qui fait parler Eco qui fait parler Machiavel...) ""Machiavel explique au Prince que ce n'est pas par la force mais par la crainte qu'on gouverne, et ce n'est pas la même chose : la crainte est le produit du discours sur la force. Allora, celui qui maîtrise le discours, par sa capacité à susciter la crainte et l'amour, est virtuellement le maître du monde.""

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Quelle déception ! Mais quelle déception !!
Et pourtant, je vous assure, tous les ingrédients étaient là pour me le faire aimer, ce livre :
- L'enthousiasme débordant de François Busnel (« Gourou de la lecture, dis-moi ce qui manque à ma PAL ? Quelle petite perle d'inventivité m'as-tu dégotée dans cette montagne immense des nouveautés de la rentrée littéraire 2015 ? Dis-moi quel sera le nouveau compagnon de mes nuits d'insomnie ? »)
- L'éloge de Baptiste Liger dans le numéro de septembre de Lire : rythme effréné, approche ludique d'un sujet au combien théoriquement pointu, duo de choc qui fait mouche, Venise, Foucault, Mitterrand, Eco, et bien d'autres... enfin, la moitié de ça aurait suffit à mettre l'eau à la bouche de la lectrice curieuse et avide que je suis ! (« Doucement Dixie, pense à tes chevilles ! »)
- La sémiologie ! Ah ! Que de souvenirs de l'époque bénie où je trainais mes Kickers bi-color rose bonbon/bleu roi et mes jeans râpés sur le perron de la Fac ! Saussure, Peirce, Jakobson... : Attendez-moi ! J'arrive pour la piqure de rappel ! (« Attention là ! J'avoue ! Rien à dire ! J'ai eu ma piqure ! Et j'ai pas moucheté !! Chapeau bas, Monsieur Binet !»)
- les 70 premières pages, où je me suis délectée de toutes les promesses de cette 7ième fonction, en frétillant à l'idée de tenir là, une « bombe » (dixit mon post du club de lecture « pioche dans ma PAL » qui a permis à Myriam de me choisir ce dernier né de Binet.)

Heureuse Lectrice ! Heureux lecteur ! Toi qui a apprécié la 7ième fonction du langage de Laurent Binet ! Comme j'aurai aimé, moi aussi, brandir mes 5 étoiles, allez ! Je me serais contentée de 4 ! (parfois, il faut avoir le triomphe modeste...) ! Comme j'aurai aimé venir vous parler avec emphase et contentement de ce précieux moment de lecture !
Nenni ! Je reste là, comme une étudiante raillée par le professeur du haut de sa chaire, blême et déconfite de s'être plantée !
Car voilà ! Tout est retombé comme un soufflet ! Trop de longueurs, trop d'insistance sur les travers des VIP de l'intellect transformés en personnages fictifs (quoi que ?) et encore tellement de choses si subjectives que je ne vais pas épiloguer.

En conclusion je dirais : le dernier Binet, c'est « à la folie » ou « pas du tout » ! D'aucuns disent que c'est souvent le signe des grands... Signe, Folie, Tout, Dernier : Vous me suivez ?
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J'ai été enthousiasmé par ce roman, qui est très drôle tout en étant documenté et même instructif. Il se présente d'abord comme un polar, la mort accidentelle de Roland Barthes étant considérée comme un meurtre qui va en entraîner bien d'autres et une enquête policière atypique.

Laurent Binet ajoute à cette trame policière une reconstitution du début des années 1980, avec comme sommet le débat télévisé entre Giscard et Mitterrand. Il nous dresse le portrait de l'intelligentsia et des figures politiques parisiennes, peint les luttes politiques sanglantes en Italie et un monde universitaire américain. Bien documenté et quasi vraisemblable, il accumule canulars et caricatures, dans un bain souvent très sex, drugs and rock&roll.
Les cercles politiques proches de Giscard et Mitterrand sont peints en quelques conversations où en peu de phrases Ponia, Fafa, Lang etc paraissent aussi vrais que nature, mais dont les raccourcis et quelques notations de contexte font une narration hilarante en simplifiant à outrance leurs motivations.
Le vrai héros du roman est peut-être le langage, c'en est au moins le sujet. Politiques et intellectuels voudraient le maîtriser grâce à une septième fonction imaginaire, sortie d'une théorie linguistique cachée que tous s'arrachent, prêts aux pires crimes pour sa possession. Les linguistes et sémioticiens sont au premier rang, les rhéteurs, orateurs, littérateurs, provocateurs (Hallier, Sollers), et débatteurs (politiques ou pros de l'éloquence) les poursuivent. Tous font l'objet de caricatures, où il y a besoin de peu de déformation (sauf pour Sollers qui est l'objet de moqueries incessantes et BHL écrasé de mépris silencieux) : beaucoup de raccourci et un peu d'exagération suffisent à me faire rire franchement. Il s'agit d'une période où j'étais jeune adulte et dont je me souviens de faits parfois anecdotiques (tout de même, est-il anecdotique qu'Althusser tue son épouse dans une crise de démence?), et je ne suis pas sûr que des lecteurs plus jeunes en profitent aussi bien. (J'ai quand même révisé : la gare de Bologne ne m'a pas immédiatement rappelé un attentat fameux, je ne l'ai vu venir qu'avec peu d'avance sur le récit).

Après le polar et le portrait de classe, une troisième couche de sens est introduite par un jeune universitaire dont le policier s'est adjoint les services, tellement le monde du structuralisme lui est étranger. Nous bénéficions de ses explications, d'extraits de cours, de lectures et de colloques (dont certains tournent de nouveau à la caricature, sans pour autant cesser d'être instructifs). Ici encore, ma position est privilégiée : je me suis assez intéressé à la linguistique et assez peu à la sémiotique pour me sentir à l'aise dans ces explications et en apprendre beaucoup, mais il me semble que de plus profanes ou plus experts en profiteront bien aussi, apprenant plus sur le fond ou riant plus du mode de présentation.

Le quatrième thème est absolument enchanteur : comme dans HHhH, Binet ne se contente pas d'écrire, il nous fait réfléchir à cette action d'écriture. Il s'interroge sur la liberté de l'écrivain. Il n'a pas peur (malgré les exhortations de son éditeur, explique-t-il ailleurs) de donner un autre sens au meurtre commis par Althusser, à en inventer d'autres parmi les personnages célèbres, dont certains ont heureusement survécu bien après (Derrida, Searle...). le jeune universitaire, héros apparent du récit, revenant sur la totale improbabilité de ce qui lui arrive, conclut que de telles coïncidences ne sont possibles que dans un roman : ce passage est extrêmement jouissif, il a d'ailleurs été recopié plusieurs fois sur ce site, allez voir. Bref, Binet s'amuse encore à penser, tricote ses personnages de couches de réel et de fiction, et nous invite, admirant cet écheveau, à nous demander : qu'est-ce que la littérature ?

J'espère que je n'en dévoile pas trop en concluant : le troisième héros est Umberto Ecco, roi du langage en théorie et en pratique, qu'on nous donne à admirer, sans trop se moquer de lui sauf un jeu de mot facile mais amusant, sur son nom.

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Alors là, je dois dire que je n'avais jamais lu un texte de cette nature ! Intelligent, original, dense et drôle à la fois, il est aussi brillamment maîtrisé que complètement déjanté !

Par où commencer pour vous le présenter ?
Disons d'abord qu'il s'agit d'un hilarant pastiche de roman policier, qui se joue de tous les codes du genre : l'enquête y est menée par un attelage hautement improbable, composé d'un commissaire réactionnaire s'intéressant assez peu à tout ce qui s'apparente à la culture et d'un maître de conférence en linguistique gauchiste enseignant à la fac de Vincennes, embarqué bien malgré lui dans l'aventure. Nous sommes en 1980, Mitterrand est à la veille de gagner les présidentielles, et les sémioticiens tiennent le haut du pavé dans les milieux intellectuels parisiens. Voilà pour le décor.
Quant à la mission confiée à nos deux compères, le commissaire Bayard et Simon Herzog, elle consiste à retrouver l'assassin de Roland Barthes. Car vous croyiez sans doute que l'auteur des Fragments d'un discours amoureux était mort accidentellement... Mais pensez-vous que se faire renverser par une voiture au sortir d'un déjeuner chez le candidat socialiste en passe de remporter des élections historiques peut vraiment être le seul fruit d'un malheureux hasard ?

Laurent Binet est quant à lui doué d'un sens du romanesque et du rocambolesque suffisamment aiguisé pour trouver matière à la plus réjouissante des intrigues policières. Roland Barthes aurait en effet été en possession d'un document potentiellement capable de donner un pouvoir insurpassable à celui qui en prendrait connaissance : il révélerait la nature de la septième fonction du langage, suggérée par Roman Jakobson dans son ouvrage de référence, Essais de linguistique générale, fonction qui permettrait à celui qui la maîtrise de prendre l'ascendant sur son interlocuteur... et sur le monde. La maîtrise du discours, à l'origine était le Verbe : tel est bien le coeur de toute forme d'organisation sociale et de toute prise de pouvoir. C'est bien pour cela que la sémiologie acquit une telle importance dans les années 70-80 : si la rhétorique, qui vise à convaincre, s'exerce depuis l'Antiquité, la sémiotique, qui permet d'analyser et de décoder toute forme d'expression et de création, prétendait enfin lever le voile sur les mécanismes à l'oeuvre et, du coup, de les neutraliser et de n'en être plus le jouet. D'où peut-être une forme d'ivresse du pouvoir des mots (tant il est vrai que le discours de certains sémioticiens est abscons), que Binet met en scène de manière totalement délirante.

Ce document, dont on comprend toute la valeur, va bien entendu exciter la convoitise tant des milieux politiques, qui y voient l'instrument permettant d'établir définitivement leur domination, que des intellectuels qui veulent toucher au plus près du secret de la maîtrise du verbe, au coeur de leur activité.

L'enquête se déroule donc dans ces deux milieux. A l'exception des deux héros, on n'y rencontre que des personnalités existant ou ayant existé, tels Foucault, Derrida, Sollers, Kristeva, BHL, Umberto Eco, mais aussi Jack Lang, Laurent Fabius, Serge Moati, Régis Debray, Mitterrand, Giscard et bien d'autres. Ce qui est d'un premier abord assez déroutant - mais néanmoins extrêmement jubilatoire - c'est que tous ces protagonistes sont traités comme des personnages de pure fiction: contrairement aux conventions généralement admises dans un roman mettant en scène des personnages publics, ils commettent des actes et se trouvent confrontés à des situations dénués de toute espèce de vraisemblance (heureusement d'ailleurs pour Sollers, qui a dû beaucoup souffrir s'il a lu ce livre, et pas uniquement dans son amour-propre !). Et pourtant, malgré tous les excès, grâce à bien des petites touches qui fonctionnent comme des signes, le portrait des différents personnages est saisissant de ressemblance, ce qui n'est pas le moindre des talents de Binet que de parvenir à cet exploit !

Ce qui est particulièrement savoureux avec ce livre, c'est la manière dont il adopte peu à peu une démarche métadiscursive. Tandis que l'intrigue se déroule, le texte s'interroge sur sa propre nature, dans une démarche digne des analyses qu'auraient pu faire les héros de ce livre (et qui n'est pas sans rappeler les écrits d'un certain Pierre Bayard, professeur de littérature... à Paris VIII-Vincennes, tiens, tiens!). Ainsi Simon Herzog finit-il par s'interroger sur lui-même : se trouve-t-il dans la vraie vie ou dans un espace romanesque ? L'auteur va-t-il le tirer du mauvais pas où il se trouve, ou bien sa dernière heure a-t-elle sonné ? Cela ne l'empêche pas de songer qu'«un personnage comme Sollers ne peut exister en vrai» !
Bref, l'auteur joue avec son lecteur avec une habileté dont les quelques mots produits ici ne sauraient totalement rendre compte.
A l'exception peut-être d'une légère baisse de régime vers le milieu du livre, dans la partie où les protagonistes se rendent aux Etats-Unis pour un séminaire, je me suis régalée de bout en bout avec ce livre offrant de nombreux niveaux de lecture. Pour conclure, je dirais qu'au-delà du contexte historique qui fait le cadre de ce roman et de la qualité réflexive de l'exercice, au-delà également de tout l'ancrage théorique qu'il nous permet de réviser, Binet réussit à faire monter une véritable intensité dramatique, ce qui n'était pas donné d'avance.
Un régal de lecture, donc, dont on ressort avec le sentiment d'être plus savant tout en s'étant énormément amusé !

Lien : http://delphine-olympe.blogs..
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critiques presse (7)
LaPresse
12 octobre 2015
Un roman aussi brillant que jubilatoire sur la sémiologie, la linguistique et autres... plaisirs.
Lire la critique sur le site : LaPresse
Liberation
07 septembre 2015
C’est très fort de réussir à mettre autant d’érudition et de finesse d’observation ethno-sociologique au service d’autant d’humour. Un livre qui aurait été écrit par un Houellebecq de bonne humeur.
Lire la critique sur le site : Liberation
LeFigaro
02 septembre 2015
Tout à la fois polar sémiologique, roman pop, récit sérieux et loufoque, il embarque le lecteur dans les méandres intellectuels et littéraires de la vie parisienne.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
LaLibreBelgique
01 septembre 2015
Le roman le plus étonnant de la rentrée. Entre érudition et film loufoque à la Tarantino.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Telerama
26 août 2015
Un irrésistible thriller.
Lire la critique sur le site : Telerama
Lexpress
21 août 2015
Avec cette parodie des thrillers ésotérico-complotistes à la Dan Brown, Laurent Binet se pose en héritier du grand Frédéric Dard et signe le roman le plus insolent de l'année.
Lire la critique sur le site : Lexpress
LePoint
10 août 2015
Avec ce San Antonio chez les structuralistes ou ce Da Vinci Code version Ferdinand de Saussure, Laurent Binet, agrégé de lettres, s'en donne à cœur joie, exposant les grandes figures de l'intelligentsia des années 1970-1980 dans des positions pas toujours avantageuses.
Lire la critique sur le site : LePoint
Citations et extraits (192) Voir plus Ajouter une citation
Simon réfléchit pendant qu’il recule : dans l’hypothèse où il serait vraiment un personnage de roman (hypothèse renforcée par la situation, les masques, les objets lourdement pittoresques : un roman qui n’aurait pas peur de manier les clichés, se dit-il), qu’est-ce qu’il risquerait vraiment ? Un roman n’est pas un rêve : on peut mourir dans un roman. Ceci dit, normalement, on ne tue pas le personnage principal, sauf, éventuellement, à la fin de l’histoire.
Mais si jamais c’était la fin de l’histoire, comment le saurait-il ? Comment savoir à quelle page de sa vie on en est ? Comment savoir quand notre dernière page est arrivée ?
Et si jamais il n’était pas le personnage principal ? Tout individu ne se croit-il pas le héros de sa propre existence ?
Simon n’est pas certain d’être suffisamment armé, d’un point de vue conceptuel, pour appréhender correctement le problème de la vie et de la mort sous l’angle de l’ontologie romanesque, alors il décide de revenir, pendant qu’il est encore temps, c’est-à-dire avant que l’homme masqué qui s’avance vers lui ne lui fracasse la tête avec sa bouteille vide, à une approche plus pragmatique.
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La dernière fonction du langage est la fonction "poétique". Elle envisage le langage dans sa dimension esthétique. Les jeux avec la sonorité des mots, les allitérations, assonances, répétitions, effets d'écho ou de rythme, relèvent de cette fonction. On la trouve dans les poèmes, évidemment, mais aussi dans les chansons, dans les titres des journaux, dans les discours oratoires, dans les slogans publicitaires ou politiques. Par exemple, "CRS=SS" utilise la fonction poétique du langage.
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Difficile d'imaginer ce que Kristeva pense de Sollers en 1980. Que son dandysme historique, son libertinage so French, sa vantardise pathologique, son style de pamphlétaire ado et sa culture épate-bourgeois aient pu séduire la petite Bulgare fraîchement débarquée d'Europe orientale, dans les années 1960, admettons. Quinze ans plus tard on pourrait supposer qu'elle est moins sous le charme, mais qui sait ? Ce qui semble évident, c'est que leur association est solide, qu'elle a parfaitement fonctionné dès le début et qu'elle fonctionne encore : une équipe soudée où les rôles sont bien répartis. A lui l’esbroufe, les mondanités, le n'importe quoi clownesque. A elle le charme slave vénéneux ; glacial, structuraliste, les arcanes du monde universitaire la gestion des mandarins, les aspects techniques, institutionnels et, comme il se doit, bureaucratiques de leur ascension.
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Oui alors évidemment, le paradoxe, c’est que la philosophie dite « continentale » a aujourd’hui beaucoup plus de succès aux USA qu’en Europe. Ici, Derrida, Deleuze et Foucault sont des stars absolues sur les campus, alors qu’en France on ne les étudie pas en lettres et on les snobe en philo. Ici, on les étudie en anglais. Pour les départements d’anglais, la French Theory a été l’instrument d’un putsch qui leur a permis de passer de la cinquième roue du carrosse des sciences humaines à la discipline qui englobe toutes les autres, parce que comme la French Theory part du postulat que le langage est à la base de tout, alors l’étude du langage revient à étudier la philo, la socio, la psycho… C’est ça, le fameux linguistic turn. Du coup, les philosophes se sont énervés et ils se sont mis à bosser eux aussi sur le langage, les Searle, les Chomsky, ils passent une bonne partie de leur temps à dénigrer les Français, à coups d’injonctions à la clarté, « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement », et de démystifications du type « rien de nouveau sous le soleil, Condillac l’avait bien dit, Anaxagore ne répétait pas autre chose, ils ont tout pompé sur Nietzsche, etc. » Ils ont l’impression de s’être fait voler la vedette par des bateleurs, des bouffons et des charlatans, c’est normal qu’ils soient en colère. Mais il faut dire, Foucault, c’est quand même plus sexy que Chomsky.
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La cité athénienne reposait sur trois piliers : le gymnase, le théâtre et l'école de rhétorique. Nous avons la trace de cette tripartition encore aujourd'hui dans une société du spectacle qui promeut au rang de célébrités trois catégories d'individus : les sportifs, les acteurs ( ou les chanteurs, le théâtre antique ne faisait pas la distinction ) et les hommes politiques.
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Videos de Laurent Binet (50) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Laurent Binet
Laurent Binet, écrivain et ancien professeur de français revient sur le poids de l'administration et la façon dont on traite les "profs" aujourd'hui qui relève de "la maltraitance". Il évoque les choix politiques qui pèsent sur l'école et altèrent la qualité de l'enseignement. Il déplore le fait que l'école privée bénéficie de "sommes énormes" en comparaison à ce qui est donné à l'enseignement public. Dans le public, il décrit un système de mutation "atroce", des profs "mal payés". Cet enseignement, alors qu'il devrait être une priorité dans un pays républicain, "le vaisseau amiral de notre société" est mis à mal par toutes ces politiques qui se succèdent depuis des années. Une situation qui malheureusement a pour conséquence terrible d'altérer le poids symbolique de l'enseignant et le rend plus vulnérable aux yeux de la société. 
Retrouvez l'intégralité de l'interview ci-dessous : https://www.france.tv/france-5/la-grande-librairie/
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