Quel est votre principal intérêt dans vos lectures ?
Quand j'ouvre un livre, je n'aime pas connaître le sujet car j'ai envie de me laisser porter par le tourbillon des pages tournantes. C'est parfois une erreur et ce fut le cas pour
Les enfants du bon Dieu.
Quand j'ouvre un livre, j'ai à coeur d'y trouver une histoire, du rythme et du style. Oui, tout ça.
Quelle est ma priorité ? Arff, je veux tout…
Comment ça tout !? ll faut choisir une préférence, me répond-on souvent ! … Rien à secouer les branches du prunier, réponds-je. Je veux tout. S'il manque une partie de mes attentes, je vais perdre l'appétit. J'ai soif et mon verre se vide à peine rempli. Ça s'appelle la frustration.
Avec
Les enfants du bon Dieu, j'ai eu du style en veux-tu en voilà. Voilà.
End of the story.
Et puis ? Bah et puis, t'es marrant toi. L'auteur ne m'a pas embarquée. Il m'a laissée sur le bord de la route comme une de ses vieilles maîtresses bourgeoises. J'aurais aimé qu'il m'aime, qu'il m'emmène avec lui sur son nuage, qu'il me raconte son histoire avec passion et désinvolture, qu'il me fasse bondir d'un nuage à l'autre de surprises en surprises, qu'il me fasse rire, qu'il me désarme en douceur pour m'accompagner dans une chute vertigineuse les ailes déployées.
Au lieu de ça, il m'a catapultée sur une étoile, seule, avec ses belles phrases qui voltigeaient autour de moi. Sans filet, débrouille toi avec tout ça, rassemble le puzzle comme une grande.
Antoine Blondin n'est pas écrivain à planter le décor facilement. Non, non, non, à toi de comprendre et de rentrer dans l'univers. Mon étoile ne m'a pas éclairée et j'ai perdu le fil, je me suis accrochée autant que possible et paf mon esprit s'évadait encore et encore. Parfois je me disais « ah ça y est il m'a vue, bringuebalante sur le croissant de lune, il va me faire redescendre ! » Oui, mais pour combien de temps avant que le décor ne s'effrite à nouveau sous mes yeux...
« Je ressuscitai des astres morts, en découvris d'autres qui n'existaient pas, encombrai le ciel par une nuit délirante.
D'où je les voyais, les étoiles ne paraissaient pas leur âge. Je leur donnais deux mille ans de moins ; ce qui flattait leur protecteur mais lui laissa estimer que je venais trop jeune dans ce monde si vieux. »
Mais qui sont tous ces gens ? Où sont-ils ? D'où viennent-ils ? Me suis-je demandé à maintes reprises ! Fichtre.
Je suis revenue plusieurs fois
en arrière, en me répétant que je découvrais ce sentier pour la première fois. Mince alors, j'étais pourtant bien passée par là à l'aller ! Absente de ma lecture, je fus.
Pour les sensations et les coups de théâtre, je repasserais plutôt à l'occasion !
Oui c'est ça, m'a-t-il répondu ! Repassez plutôt à ce moment là !
Heureusement que c'est bigrement bien écrit. Ah oui, pour ça, l'auteur a du vocabulaire, des idées originales, des métaphores de haut niveau et il sait les mettre en musique, le gaillard. Y'a du level !
Voyez-vous donc !
« L'une était coiffée comme le bruit de la mer, l'autre comme le chant de l'alouette dans les blés. L'une portait un manteau généreux, un corsage téméraire, des souliers entreprenants ; l'autre un imperméable résigné, une jupe rêveuse, des chaussures pleines de bon sens. »
« Une tendresse rare flottait dans l'air. Les gens se dévisageaient avec l'émerveillement complice des enfants qui ont mis un doigt dans la crème. Ensemble, nous goûtions un peu de printemps en cachette, avant même qu'il fût servi. »*
Mais alors, pourquoi ne pas avoir arrêté la lecture ? Parce que j'ai pris plaisir à découvrir une écriture hors du commun, un brin vieille France. L'élégance des mots et l'habilité de la syntaxe m'ont donné envie de rester jusqu'à la fin, agrippée à mon guéridon.
L'histoire, je l'ai finalement comprise. Et comme d'histoire il est question,
Antoine Blondin s'est payé le luxe de refaire une partie de notre histoire. J'imagine que pour les historiens ou amateurs du genre, l'expérience est attrayante et caustique à souhaits. Ma culture en histoire étant assez maigre, je n'ai pas été comblée par l'ironie, aussi risible soit-elle. Quelques critiques sur ce site argumentent fort bien cette partie intéressante du roman.
Je dirais de
Blondin qu'il était homme à être entouré d'hommes, nuancé par une époque machiste en donnant la part belle au sexe masculin, dans une société d'hommes pour les hommes.
Dans son livre, deux femmes ont une certaine importance, et non une importance certaine. Sa douce femme Sophie et sa docile maîtresse Albertina. Cependant, ces dames sont dépeintes rapidement et lui servent de faire-valoir. Leurs dimensions se mesurent au regard de l'intérêt donné à monsieur.
Sébastien, le protagoniste, est quant à lui, un ennuyeux professeur qui s'ennuie. Il manque cruellement d'exotisme.
Ce passage très vieille école, où il s'adresse à son épouse, m'a piquée !
« Une lassitude touchante semblait s'être emparée d'elle avec le printemps. Elle s'était mise à faire le ménage sans plaisir, sans fantaisie. Je la sentais vulnérable. »
Est-ce des lardons ou de la cochonaille ? Certes, l'auteur est pince sans rire, un zeste goguenard. Cependant, il est possible que les corvées du quotidien soient pour lui une sorte d'épanouissement pour les femmes, car les hommes en sont dispensés de base (quel dommage ! C'est tellement fun). C'est quoi le truc fantasque avec le ménage ? Ça me dépasse. La phrase a su m'amuser !
Alors pourquoi quatre étoiles réunies ? Déjà parce qu'elles ont eu la gentillesse de m'accompagner pendant ce récital ! Mais surtout, la structure du livre, basée sur un arrangement d'une grande qualité linguistique mérite cinq étoiles à mes yeux. Si, si vraiment. Certes surannée, j'ai été conquise par la plume aérée, brillante, éloquente et intelligente. J'ai admiré pareillement les deux préfaces signées de
Marcel Aymé et
André Brissaud.
Cependant, la magie du roman n'ayant pas opéré pour moi, j'accorde seulement deux étoiles à l'intérêt global de l'histoire.
J'assaisonne également cinq étoiles lumineuses pour la splendeur des illustrations ornant l'ouvrage, entre les pages, un peu ici et beaucoup là. Les lithographies sont l'oeuvre de la dessinatrice Marcelle Crépy.
Je laisse le final à cette femme qui en 1962 a su imposer ses dessins dans un livre indubitablement masculin.
Lu en mars et avril 2021