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Critique de Eric75


Avec une virtuosité certaine et un style inimitable, les frères Bogdanov racontent de livres en livres peu ou prou toujours la même histoire : Dieu est tapi derrière les équations de la physique et les constantes mathématiques.

Mais avant d'en arriver à cette conclusion, il vous faudra flâner dans un pré d'herbes folles et compter le nombre de pétales des fleurs des champs (et faire d'étranges découvertes), parcourir les ruelles étroites de Göttingen avec Sommerfeld, Hilbert et Minkowski, croiser la route de Weyl, Gödel, Einstein, Ramanujan et de beaucoup d'autres, sur tous les continents et avec d'incessants allers-retours entre les époques. En aussi bonne compagnie, le voyage n'est certes pas désagréable, mais à chaque chapitre, le lecteur un peu déboussolé et étourdi se demande où les frères veulent en venir, et quel est le but de cette étrange tournée scientifique.

Particulièrement agaçants, les cliffhangers narratifs parsèment le récit en promettant la grande révélation qui va bientôt vous tomber dessus, mais il faudra pour cela lire le chapitre suivant, puis le suivant, puis encore le suivant… et ainsi de suite… Puisque les frères ont l'air d'aimer les mathématiques, on pourrait appeler cette figure de style la série convergente de Bogdanov qui converge vers… ben rien, justement ! Ce livre met aussi en évidence le fameux réflexe de Bogdanov, qui a pour effet de faire saliver le lecteur parfaitement conditionné et l'oblige à tourner les pages dans l'attente de… mais de quoi au juste ? Voici à titre d'exemples quelques phrases situées en fin de chapitre qui devraient vous faire saliver à votre tour : « les pages qui suivent nous réservent d'immenses surprises » ; « ils ne le savent pas encore, mais ils vont changer le monde. Et ce que vous allez découvrir avec eux va à coup sûr changer votre façon de voir les choses » ; « un événement insignifiant en apparence mais qui va faire basculer leur existence à tous les deux » ; « (ils) vont bouleverser de fond en comble notre représentation de l'Univers » ; « il doit frapper un grand coup. Réussir un exploit que personne n'a jamais pu accomplir avant lui » ; « qui finira par mettre le feu à la science du XXe siècle » ; « Quelque chose dont on ose à peine rêver. Quelque chose qui touche aux fondements les plus profonds de notre Univers. Une fois de plus, préparez-vous à faire face, plus loin, à des révélations qui dépasseront sans doute tout ce à quoi vous pourriez vous attendre » ; « Et à coup sûr, ce que vous allez entrevoir dans les chapitres suivants de ce livre va vous entraîner bien plus loin que vous l'imaginez » ; « Et vous aurez parfois du mal à croire à ce que vous allez découvrir » ; « Et une nouvelle chose très inhabituelle nous attend sur le chemin »… Ouf ! J'arrête-là, il y en a encore des pages et des pages du même tonneau, je pense que vous avez maintenant compris le truc. L'ennui, c'est qu'au prochain chapitre il ne se passe jamais rien de fracassant (en tout cas, ça m'aura totalement échappé) !

En revanche, en aspergeant leur récit d'une laque pseudo-scientifique au parfum de mystère, les frères racontent beaucoup de conneries, et cela a fini par lasser les véritables scientifiques qui, sauf exception, se désintéressent de leurs travaux, sinon pour en dénoncer à chaque fois l'absence de rigueur (1).

Par ailleurs, l'argument massue des Bogdanov – que l'on retrouve dans la plupart de leurs livres – et qui est supposé révéler la « pensée de Dieu », et donc prouver l'existence de Dieu, thème obsessionnel chez les deux frères, fait plutôt rigoler. Figurez-vous que π est un nombre irrationnel, on ne peut donc l'exprimer comme le rapport de deux nombres entiers et son écriture décimale n'est ni finie, ni périodique. Pour les frères Bogdanov, cela signifie que quelqu'un, une intelligence supérieure, sûrement, a dû réfléchir longtemps à l'avance pour « définir » ce nombre et créer toutes ses décimales – sans se tromper une seule fois ! Et pourtant elles sont en nombre infini ! Donc… Dieu existe ! (il n'y a que Lui pour pouvoir accomplir une chose pareille.) le raisonnement pour π est bien entendu tout aussi valable pour la constante de structure fine, le nombre d'or, et même, sûrement… l'âge du capitaine ! Pouvez-vous seulement un instant imaginer qu'en changeant une seule décimale de tous ces nombres, alors… les équations sont FAUSSES ! le lecteur reste confondu devant la profondeur d'une telle découverte.

Malheureusement, des lecteurs de bonne foi pensent lire de la véritable science en ingurgitant ce genre de propos, comme on peut le constater ici ou là en parcourant certaines critiques aussi naïves qu'élogieuses.

Profitant de la crédulité des gogos, les frères Bogdanov me font penser à ces bonimenteurs de foire qui vous font payer l'entrée de leur spectacle pour aller voir la Femme à barbe (le petit vieux à barbe sur son nuage, en l'occurrence). Dans le même cirque au rayon des monstruosités, on trouvait aussi parfois les frères siamois, mais ma métaphore va devoir s'arrêter là, je ne veux pas écrire des choses trop désagréables.

(1) Concernant les aspects scientifiques de « La pensée de Dieu », voir l'analyse de José-Philippe Perez, Professeur émérite de l'Université de Toulouse, qui a relevé sept erreurs : http://culturediff.pagesperso-orange.fr/jpp/conferences/conference7.pdf
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