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EAN : 9782070427765
132 pages
Gallimard (29/05/2003)
3.26/5   265 notes
Résumé :
Salué dès sa publication en octobre 2001 comme l'un des livres majeurs d'Yves Bonnefoy, « Les Planches courbes » s'impose en effet au sommet d'un oeuvre sans faiblesse ni reniement. Une parole qui sait magistralement faire la place du sens et du chant s'élève, à la fois affirmée et fragile, inquiète et souveraine. Les planches courbes auxquelles le titre se réfère sont celles de la barque du passeur qui tente encore une avancée entre les deux rives du fleuve, les de... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (22) Voir plus Ajouter une critique
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La poésie d'Yves Bonnefoy s'écoule comme un murmure, un doux chuchotement. Quand on la lit, étrangement, l'on a envie de faire silence. Silence au fond de soi, au fond de son coeur, au fond de son être, porté seulement par le frissonnement que procure cette voix poétique prodiguée avec la légèreté et la grâce d'un souffle, furtive douceur d'une poésie qui se fait berceuse dans la ouate des sens.

Cela s'entend, cela s'écoute comme un chant de vie à la fois proche et lointain, comme une répercussion de notes où se jouent mémoire et temps présent, réalité et songe, une définition du monde dans un écrin de sens, dans le creuset où naissent les sensations et les émotions primales, où participe l'affect davantage que l'intellect.
Les mots s'épandent en chapelet de sons, nous faisant le don d'une musique intérieure, faisant vibrer une corde sensible en frémissant vibrato. « Aller, par au-delà presque le langage / Avec rien qu'un peu de lumière »…
La poésie d'Yves Bonnefoy est tout en réceptivité, elle puise sa sève dans le perceptif, dans l'intuitif et le sensoriel, dans l'entendement du coeur. « Couché au plus creux d'une barque / le front, les yeux contre ses planches courbes », on la vit comme un voyage sur l'embarcation des mots.

Comme souvent avec Yves Bonnefoy, le travail artistique est avant tout une exploration, et le recueil « Les planches courbes », rassemblant poèmes en prose et textes poétiques, est une entrée en méditation, une incursion au coeur du langage, du temps, de la nature, de la mémoire.
Le poète est un « faiseur de sens », le créateur d'ornements à la fois mélodiques et littéraires, il étanche à la source du verbe notre soif de beauté, de sérénité et de gravité ; il dessine une carte de l'intime à parcourir avec la pulpe des sentiments, il se fait passeur de mots qui, infusés, répandus au coeur de l'être, appellent images et impressions.

Poète du dépouillement et de la sobriété, puisant dans l'éther du langage, dans « les ruines de la parole », dans l'alchimie des mots, la connaissance imparfaite, incohérente, illusoire de ce qui nous fait et de ce que nous sommes, « navires lourds de nous-mêmes / débordants de choses fermées », regardant « à la proue de notre périple toute une eau noire / s'ouvrir presque et se refuser, à jamais sans rive. »
« Partout en nous rien que l'humble mensonge / Des mots qui offrent plus que ce qui est / Ou disent autre chose que ce qui est »…

Mais comme il est bon parfois de ne pas tout expliquer en poésie, de refuser toute interprétation extérieure qui viendrait fausser la donne de son ressenti pour se laisser, tout simplement, humblement, porter par la musicalité des mots !
Ecouter cette poésie comme voix murmurante, susurrante, bruissant comme des pas dans l'herbe fraîche un matin de rosée, ne comprendre qu'avec ses sens, qu'avec sa peau, qu'avec ce qu'impriment sur l'épiderme ces mots baignés de sensualité et de lumière, afin de mettre, subrepticement, dans le calme des nuits, « ses pieds nus dans l'eau du rêve »...
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Une brève note de lecture en 5 étoiles et 7 mots-clés :

#OBJETS : Omniprésence de ce concret (beaucoup de pierres), ces objets repères (« planches courbes ») auxquels le poète se rattache et donne « une voix » ; « Tout cela, mon ami,/Vivre, qui noue/Hier, notre illusion,/À demain, nos ombres. […] Foudre qui dort encore/Les traits en paix,/Souriante comme avant/Qu'il y ait langage. » (p. 33-34).
#TRADUCTEUR : le poète traduit ici le langage poétique des objets tout comme il a admirablement bien et beaucoup traduit des livres (de l'anglais, de l'italien).
#ESCHATOLOGIE : présence de l'interprétation sur l'au-delà et sur Dieu, bien que Bonnefoy soit athée.
#CONCEPT : On dit que Bonnefoy s'est beaucoup intéressé au « concept », qu'il critique, pour s'attacher au « mot ». En effet, il arrive fréquemment que le sens de mots se dérobe.
#SURRÉALISME : On en ressent encore l'influence bien après la rupture avec ce mouvement.
#PASSAGE : La question de la relation aux parents (ou à Dieu), de la transmission, du comment on grandit.
#MYTHOLOGIE : de nombreux renvois, notamment à des personnages comme Ulysse, Charon, Orphée.
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J'ai passé mon bac en 2007... Autrement dit, une éternité de cela. Enfin c'est l'impression que j'ai en tout cas.
Au programme de la filière l'(en plus, ça n'existe plus, c'est dire que de l'eau a coulé sous les ponts...), cette année-là, ce petit ouvrage.
Qui m'a résisté.
Dont je ne comprenais pas grand chose.
Que j'avais envie de foutre au feu.

Et aujourd'hui ?
Des passages entiers me hantent. Je les ai absorbés, digérés, pensés, interrogés.

Florilège :

«Nous sommes des navires lourds de nous-mêmes,
Débordants de choses fermées, nous regardons
À la proue de notre périple toute une eau noire
S'ouvrir presque et se refuser, à jamais sans rive.»

«Je pourrais m'écrier que partout sur terre
Injustice et malheur ravagent le sens
Que l'esprit a rêvé de donner au monde,
En somme, me souvenir de ce qui est,
N'être que la lucidité qui désespère
Et, bien que soit retorse
Aux branches du jardin d'Armide la chimère
Qui leurre autant la raison que le rêve,
Abandonner les mots à qui rature,
Prose, par évidence de la matière,
L'offre de la beauté dans la vérité.»

«Et demain, à l'éveil,
Peut-être que nos vies seront plus confiantes
Où des voix et des ombres s'attarderont,
Mais détournées, calmes, inattentives,
Sans guerre, sans reproche, cependant
Que l'enfant près de nous, sur le chemin,
Secouera en riant sa tête immense,
Nous regardant avec la gaucherie
De l'esprit qui reprend à son origine
Sa tâche de lumière dans l'énigme»

Bon, je ne prétends pas avoir tout compris aujourd'hui non plus. J'ai simplement accepté et entraperçu le pouvoir magique de la poésie.
L'alchimie des mots.
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Comme souvent, l'inscription à un programme scolaire d'un grand livre, d'un grand poète, se révèle contre-productive : dans une intention louable de mettre la vraie littérature à la portée de ceux qui ne lisent pas, ou pire, qui ne lisent que des sous-produits "culturels" frelatés, on expose le poème et le poète aux insultes des ignorants et au ressentiment des demi-habiles.

Bonnefoy, dans ce recueil, s'écarte quelque peu de la poésie moderniste, en ce qu'il laisse une place assez large à la compréhension rationnelle, à la pensée, et ne fonde pas tous ses effets sur les associations libres d'images et de sons, auxquelles les surréalistes et leurs héritiers nous ont habitués. Riche d'images et de mythes, sa poésie interroge aussi le lecteur à la façon de l'essai : il renoue ainsi avec une tradition ancienne, celle du discours en vers, que Ronsard avait su remettre à l'honneur, à l'imitation des Grecs et des Latins, dans notre littérature. La pensée et l'imagination collaborent sans que l'une prenne le pas sur l'autre.

Cela rend-il Bonnefoy plus "compréhensible" que les autres poètes contemporains ? En un sens, oui. Mais sûrement pas à des lecteurs contraints de Terminale "littéraire", ni à des amateurs pour qui penser, c'est rabâcher des évidences et des lieux communs qui font se sentir bien ensemble. Sa poésie, comme toute littérature digne de ce nom, nous demande un effort, ce qui ne peut que nous scandaliser, habitués que nous sommes aux plaisirs faciles. L'effort, évidemment, débouche sur des jouissances littéraires accrues, mais réservées à ceux qui les désirent vraiment.
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Les planches courbes, cela va d'abord être pour moi les quelques morceaux de bois assemblés de guingois au pied d'un immeuble servant de boîte à livres, sur lequel j'ai trouvé ce recueil. le charme d'une rencontre aléatoire...
Depuis quelques mois, je fais un voyage à travers la poésie française, rencontrant des lieux et des styles différents, des vers musicaux de Verlaine présentant une Venise galante fantasmée autant que la modernité de Paris ou la froide et plate Belgique, la Rome éternelle en ruines dans les alexandrins classiques de Bellay, ou le corps-paysage d'Elsa aimée comme la France chantée par le lyrisme d'Aragon. Et ici, c'est une maison natale de campagne, un ruisseau, des champs. A travers ce voyage dans ces différentes oeuvres, même si je maîtrise moins la poésie contemporaine, je vois bien que la définition de la poésie, c'est la musicalité et les images évoquées.
Je découvre Yves Bonnefoy, je ne vais pas pouvoir l'analyser de façon érudite. Mais j'ai été séduite par de belles images mélancoliques, vues comme à travers une buée, un peu effacées, ou le souvenir se mêle à la mythologie. La buée du souvenir dans les récits du retour du père, la buée derrière la vitre sous la pluie d'été, un champ de blé dont l'image se brouille en plein soleil. J'ai apprécié la sensualité qui se dégage de la lune, des étoiles, d'une robe rouge, de la forme d'un sein. Cette femme est peut-être partie, est peut-être un souvenir, est peut-être nymphe ou déesse - et on retrouve l'idée de fécondité avec Cérès... Une image très forte est liée à la barque, faite de planches courbes, la barque qui est celle de migrants traversant une mer - la première marque originelle étant, toujours dans la mythologie, celle de Charon transportant les morts...
Ce sont donc des souvenirs, en partie idéalisés, ou recréés. Quel est cet enfant, mi-réel mi-mythologique qui hante le début du texte ? Est-ce un enfant mort, pleuré par le poète comme Léopoldine ? Ou est-ce l'enfant perdu qu'était le poète lui-même dans sa jeunesse ? Car il est évoqué à travers l'image embrumée elle-aussi du père. Cet enfant, ce pourrait aussi être un dieu, voire le Dieu lui-même, l'enfant-Christ, comme dans la légende de saint-Christophe ?
Mais néanmoins, les dernières parties m'ont moins séduites, celles à tonalité théologique, car je n'ai pas les clefs pour les comprendre, découvrant l'auteur.
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Citations et extraits (114) Voir plus Ajouter une citation
Je me souviens, c'était un matin, l'été,
La fenêtre était entrouverte, je m'approchais,
J'apercevais mon père au fond du jardin.
Il était immobile, il regardait
Où, quoi, je ne savais, au-dehors de tout,
Voûté comme il était déjà mais redressant
Son regard vers l'inaccompli ou l'impossible.
Il avait déposé la pioche, la bêche,
L'air était frais ce matin-là du monde,
Mais impénétrable est la fraîcheur même, et cruel
Le souvenir des matins de l'enfance.
Qui était-il, qui avait-il été dans la lumière,
Je ne le savais pas,je ne sais encore.
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Et si demeure
Autre chose qu'un vent, un récif, une mer,
Je sais que tu seras, même de nuit,
L'ancre jetée, les pas titubant sur le sable,
Et le bois qu'on rassemble, et l'étincelle
Sous les branches mouillées, et, dans l'inquiète
Attente de la flamme qui hésite,
La première parole après le long silence,
Le premier feu à prendre au bas du monde mort.
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"Jeter des pierres"

Et nous étions là, dans la nuit, à jeter des pierres. À les jeter le plus haut, le plus loin possible, dans ce bois devant nous qui si rapidement dévalait la pente que c'en était sous nos pieds comme déjà un ravin, avec le bruit de l'eau à ruisseler en contrebas sous les arbres.

Des pierres, de grosses pierres que nous dégagions des broussailles, difficilement mais en hâte. Des pierres grises, des pierres étincelantes dans le noir.

Nous les élevions à deux mains, au dessus de nos têtes. Qu'elles étaient lourdes ainsi, plus hautes, plus grandes que tout au monde ! Comme nous les jetterions loin, là-bas, de l'autre côté sans nom, dans le gouffre où il n'y a plus ni haut ni bas ni bruit des eaux ni étoile. Et nous nous regardions en riant dans la clarté de la lune, qui surgissait de partout sous le couvert des nuages.
Mains déchirées bientôt, mains en sang. Mains qui écartaient des racines, fouillaient la terre, se resserraient sur la roche qui résistait à leur prise. Et le sang empourprait aussi nos visages, mais toujours nos yeux se levaient du sol dévasté vers d'autres yeux, et c'était encore ce rire.
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Nous mettons nos pieds nus dans l'eau du rêve,
Elle est tiède, on ne sait si c'est l'éveil
Ou si la foudre lente et calme du sommeil
Trace déjà ses signes dans des branches
Qu'une inquiétude agite, puis c'est trop sombre
Pour qu'on y reconnaisse des figures
Que ces arbres s'écartent, devant nos pas.
Nous avançons, l'eau monte à nos chevilles,
Ô rêve de la nuit, prends celui du jour
Dans tes deux mains aimantes, tourne vers toi
Son front, ses yeux, obtiens avec douceur
Que son regard se fonde au tien, plus sage,
Pour un savoir que ne déchire plus
La querelle du monde et de l'espérance,
Et qu'unité prenne et garde la vie
Dans la quiétude de l'écume, où se reflète,
Soit beauté, à nouveau, soit vérité, les mêmes
Étoiles qui s'accroissent dans le sommeil.
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Dans le leurre des mots

Aller ainsi, avec le même orient
Au-delà des images qui chacune
Nous laissent à la fièvre de désirer,
Aller confiants, nous perdre, nous reconnaître
A travers la beauté des souvenirs
Et le mensonge des souvenirs, à travers l'affre
De quelques-uns, mais aussi le bonheur
D'autres, dont le feu court dans le passé en cendres,
Nuée rouge debout au brisant des plages,
Ou délice des fruits que l'on n'a plus.
Aller, par au-delà presque le langage,
Avec rien qu'un peu de lumière, est-ce possible
Ou n'est-ce pas que l'illusoire encore,
Dont nous redessinons sous d'autres traits
Mais irisés du même éclat trompeur
La forme dans les ombres qui se resserrent ?
Partout en nous rien que l'humble mensonge
Des mots qui offre plus que ce qui est
Ou disent autre chose que ce qui est,
Les soirs non tant de la beauté qui tarde
A quitter une terre qu'elle a aimée,
La façonnant de ses mains de lumière,
Que de la masse d'eau qui de nuit en nuit
Dévale avec grand plaisir dans notre avenir.
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Videos de Yves Bonnefoy (31) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Yves Bonnefoy
Les derniers livres d'Yves Bonnefoy (1923-2016) expriment son désir de transmettre le legs de la poésie par-delà la mort. « Lègue-nous de ne pas mourir désespéré », lit-on dans L'heure présente (2011). Quant à L'Écharpe rouge (2016), c'est un « livre de famille » testamentaire en même temps que l'histoire d'une vocation : « Il se trouve que j'étais apte à me vouer à l'emploi disons poétique de la parole… » La Pléiade fut pour Bonnefoy l'occasion de porter sur son oeuvre un regard ordonnateur. Il choisit le titre du volume, Oeuvres poétiques, sans céder sur son désir de faire figurer au sommaire quelques textes brefs que l'on qualifierait spontanément d'essais. Tous les livres ou recueils poétiques, vers, prose, ou vers et prose, sont présents. Bonnefoy ne se reniait pas ; il a souhaité donner dans les appendices quelques textes rares. Il a voulu aussi que soit présente son oeuvre de traducteur, de Shakespeare à Yeats, de Pétrarque à Leopardi. Enfin il a ouvert à ses éditeurs les portes de son atelier.
« Le souvenir est une voix brisée, On l'entend mal, même si on se penche. Et pourtant on écoute, et si longtemps Que parfois la vie passe. Et que la mort Déjà dit non à toute métaphore. » L'heure présente, Yves Bonnefoy
À lire – Yves Bonnefoy, Oeuvres poétiques – Coll. La Pléiade, Gallimard 13 avril 2023.
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