Californie. Fin 2004. Un chercheur français en anthropologie a traversé l'Atlantique pour étudier le comportement de musiciens d'orchestre dans la classe de Frank Firth qu'il admire. Sur le campus où il vit, son exploration dans le monde des musiciens est chamboulée dès l'instant où il va chercher à comprendre ce qui est arrivé à Mary, cette jeune danseuse pleine de vie qui a perdu du poids bien soudainement, et qui en est morte.
Mon avis
Voilà un roman qui n'en est pas un.
Je m'explique.
C'est un roman d'un nouveau type : un roman qui slame, une prose expérimentale comme la musique dont il parle. le début, très bien, j'étais super contente, c'est que l'auteur est complexe : écrivain, anthropologue, comme A. son héros, et musicien à ses heures perdues. Puis, très vite ça part en "live", le style se découd un peu, notre héros souffre du décalage horaire et fatigue : ses mots s'empâtent car nous lisons au rythme de ses émotions.
Une lecture tout de même intéressante : nous avons hâte de découvrir ce que va finir par trouver notre chercheur. Les nouveaux américains sont un brin fêlés, comprimés par un passé d'abattoirs : esclavagisme, éradication des indiens d'origine, ils sont gavés de toutes les turpitudes de leurs ancêtres, et cherchent à se tourner vers de nouveaux moyens de rédemption.
Quel moyen a trouvé la jeune Mary au cours de son voyage d'étude au Paraguay dans la tribu chez les indiens Guayaki qui mangent leurs mort ?
Ce roman est également "autre" par sa construction : nous avons affaire à une forme épistolaire qui nous rapproche de A., de ses angoisses, de ses gueules de bois, de ses errances, de ses coups de foudre et de ses coups de rein. Nous sommes parfois tellement proches que nous tenons la chandelle quand il s'envoie en l'air avec sa petite copine très coquine (passages très "sexe" vers les pages 112-113).
C'est aussi un roman sonore puisqu'il est question de répétitions, d'improvisation au sein du groupe d'orchestre ; A. en a l'esprit tout assourdi et se retrouve régulièrement avec des maux de tête qui donnent lieu à des délires verbaux.
Au final, je dirais que c'est un roman d'un genre expérimental comme la musique dont il est souvent question.
L'histoire maintenant. Originale c'est sûr, nous sommes vraiment emportés par le mystère qui entoure le secret de Mary, mais je n'ai pas été convaincue par le martyre de Mary, je n'ai aucun goût pour les solutions extrêmes.
S'il est effectivement question de la campagne présidentielle Bush-Kerry, celle-ci n'est pas vraiment l'essentiel et ne sert de prétexte qu'à quelques jeux de mots, à dessiner aussi une ambiance utile au héros (affiches recouvertes par d'autres, etc...).
Si je n'ai pas aimé certains passages qui m'ont mise mal à l'aise (scène de zizi-pipi, de pipi avalé et j'en passe...) je salue néanmoins le courage de l'auteur (ou la folie ?) de s'attaquer à des sujets hors des sentiers battus, de semer ici et là quelques unes de ses références, mais il faut penser à ne pas trop brouiller les cartes.
A propos de références, il me semble que son personnage de Rose Budd, la clocharde au collier d'ambre, est un clin d'oeil au groupe Rosebudd, mais je me trompe peut-être ? En tout cas, cela ne m'étonnerait pas que Bonnerave aime à brouiller les pistes.
Pour conclure, un extrait que j'aime beaucoup (mais il y a d'autres passages plus ou moins bien léchés !)
Je crois qu'on peut agir, plus que sur les âmes, sur les fictions : il suffit d'en produire d'autres. Elles viendront travailler celles qui nous font souffrir, les ruiner peut-être. (p.169)
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Le parcours de l'ouvrage:
Reçu grâce au partenariat Editions du Seuil / chez les filles
L'histoire:
En pleine campagne présidentielle de 2004 opposant W.Bush à Kerry, un jeune anthropologue français débarque sur un campus américain. Il fréquente pour les besoins de son étude une école de musique expérimentale, et se mêle plus ou moins à la vie des locaux. Il est fasciné par une affiche omniprésente sur le site "We miss you mary" et se met à glaner les informations relatives à la disparition de cette jeune danseuse. L'enquête anthropologique devient quasiment une enquête criminelle.
La plume:
Très perturbante. J'ai mis un temps fou à lire cet ouvrage: l'écriture se brouille a l'instar du cerveau du narrateur qui souffre de migraines inhérentes au jet lag. le style devient très difficile à suivre, les mots, les phrases et les sujets s'emmêlent jusqu'à devenir illisible voir agacer. Ce qui me donnait une furieuse envie de sauter quelques pages et m'éloignait du fond du sujet. Car la forme peut assez souvent desservir le fond.
Néanmoins le livre conserve une structure et l'intrigue est suffisamment bien ficelée pour mériter un peu de persévérance de la part du lecteur désarçonné, et le fil se déroule malgré tout d'une façon inattendue et insoupçonnée.
Pour qui?
Des lecteurs qui aiment la littérature non conventionnelle, le style connoté trash (sans l'être vraiment), et qui savent persévérer dans une lecture, même si elle ne leur parle pas de suite.
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Tu pues "tu pues si tu", dit-elle, ou dis-je si je répète, qui répète ? La route période au matin ça peut , ça peut extrêmement métal, plutôt comme un choc comme un chocolat, elle au dictaphone ou moi des mois plus tard qui dis "je", je ne sais pas MI-GRAINE plantée en plein front dents miennes d'urgence minutieusement ou nous dans l'écart de nos deux voix mais quel écart quel décalage ? Il n'y a pas il n'y a qu'un seul filet de voix fait de différents brins, qu'un seul fuseau pour filer, MI-GRAINE une syllabe pour chaque hémisphère, pour filer à l'infirmerie à l'autre bout de la terre.
Je parle depuis cette grosse raconte sinon tu pues surveille déconne à plein moulins soeur énorme limaille que j'entendais des PROUT ! tas de trucs en même temps, en napperons souillon sophistiquée t'enfermer en tapis volant, des cancres des PROUT ! poux avec les copains mais au fond les basses tout simplement toutes grosses limaille énorme la joie aux éléphants je répète, je veux mettre des tutus aux PROUT ! aux éléphants !
Mary-Teresa s'installe mais il faut que je pisse. Silence. Depuis les toilettes à côté, tout s'étouffe dès que je ferme, mais j'entends quand même. Elle a branché un vrai fourbi sur le violoncelle et joue la forêt à elle seule, la pique reliée aux racines voisines qui pompent le son vers les hauteurs. Grâce à une pédale électronique, Tree met en boucle des petits morceaux de ce qu'elle vient de jouer : elle pousse la musique en avant et puis d'un coup ça repart vers l'amont, comme un jeune saumon. Deux secondes, juste deux secondes je ferme les yeux pas pour dormir juste pour me reposer, le violoncelle bourgeonne sous le ciel clair. Son truc elle l'a branché avec toutes ces boucles ça tourne. Tree sait se connecter à tous les arbres depuis son truc en bois. Tree, c'est toute la forêt qui résonne sous du crin de cheval, de quoi ne plus voir où sont les cieux pousse en avant et puis d'un seul coup ça avec quel plaisir ça grâce à sarment baie qui coule par ici la sortie. Pipi fini ouvrir les yeux, refermer la braguette bouton après bouton, verrou déverrouillé, bouton de porte, j'ouvre la porte. (p.60)
A : Je suis anthropologue, comme toi. Je voudrais savoir comment font les musiciens pour se dire des choses quand ils jouent, alors qu'ils ne peuvent pas se parler. Tout se passe en dessous, quoi...
[ Incipit ]
Sans domicile fixe.
Il y a sur le campus quelque chose de beaucoup plus léger qu’en ville. L’allée centrale, large et droite comme une rue, fourche à mille endroits soudains, les chemins bifurquent et les broussailles cachent ce qu’il y a derrière les courbes. On peut parcourir les pelouses à sa guise.
Beaucoup de prix Nobel sortent de l’université de Berkeley, et beaucoup de sans domicile fixe s’y installent. Le campus est un parc de plusieurs dizaines d’hectares où dans les ombres des arbres on aperçoit ces silhouettes qui lèchent leurs brûlures. Le soleil californien est réputé pour sa douceur, mais le guide "Lonely Planet", parmi une liste de conseils de santé dont la variété m’a surpris, recommande d’éviter une exposition prolongée sans écran protecteur, allant jusqu’à préciser les indices adaptés pour différentes marques de crèmes et laits corporels.
"Zone blanche" de Jocelyn Bonnerave - Extrait de lecture-concert