Dimitri Bortnikov est né à Samara, anciennement Koulbychev, sur les bords de la Volga à 1000 km à l'Est de Moscou, en 1968. Puis il a été cuisinier, aide-soignant dans une maternité, professeur de danse et légionnaire.
Son premier livre traduit par
Julie Bouvard «
le syndrome de Fritz » (2010, Noir sur Blanc, 192 p.) reçoit le Booker Prize Russe en 2002, mais je ne l'ai pas trouvé dans la liste des prix. L'action se passe dans un squat dénommé « le Territoire » rue des Thermopyles à Paris. On est en février, il fait froid et humide. Dans la première partie intitulée « le déserteur, direction Châtillon-Montrouge », un homme, Fritz, 32 ans, écrit, ou plutôt réécrit sa Russie sur un drap. Il est quelque peu déboussolé par le départ de son ami Sergio, le Tchèque. C'est tout d'abord son enfance d'enfant obèse dans une famille déjantée, avec un père accessoirement professeur d'histoire. Entre eux ce n'est pas, loin de là, le grand amour. « Nous avons eu notre période d'amour, mon père et moi. Extrêmement brève. Comment aurait-il pu en être autrement ? La période de la haine est dense ; celle de l'indifférence, infinie ». Son arrière grand-mère aveugle le protège « Légèreté des aveugles. Étrange légèreté des aveugles ». le grand-père est toujours plus ou moins, souvent plus que moins, aviné. Il ne cesse de raconter des histoires morbides. le tout se passe dans la steppe russe « ses terres boudées par l'humanité ». Rien ne se passe vraiment « La steppe, le bois et le chemin de fer : les trois étapes de ma traversée ». Reste à attendre que la vie passe. « Rien de plus extrême que le quotidien. / Un beau matin, on se réveille et on voit que la vie est finie ». Son plus grand souhait, ce serait de voir « le Roi Lear » à la télévision et de devenir le « Bouffon » du roi. « Devant le miroir de la salle de bains, j'avais juste envie de gerber. Sur ce gros tas de graisse répugnant que ce foutu miroir me renvoyait en pleine gueule ».
Pour se divertir, si l'on peut dire, il y a les visites à l'abattoir. On peut trouver plus enthousiasmant. le jeune Fritz lit aussi. Un livre sur les animaux et « L'Histoire de la Grande Guerre Patriotique », un tome dépareillé, plein de ruines. « Je plane au-dessus des décombres. Au-dessus des rues dévastées, des squelettes des maisons, des cheminées d'usine éventrées. Il n'y a pas âme qui vive dans ces villes. Ces villes russes, biélorusses, polonaises, allemandes, tchèques. […] Ruines. Décombres. Désolation. À l'époque, ce spectacle était pour moi le plus beau et le plus paisible du monde ». Ses fréquentations plus sociales, l'oncle Gueorgui, Sergueï le Dindon le fossoyeur et Nadia Patte de Poule. le premier est épileptique et personne ne veut jouer avec lui. La seconde est infirme de la main gauche. « Toute ma vie j'ai éprouvé un vif dégoût pour les infirmes, qui, eux, m'adoraient. […] Ils me savaient un des leurs. Ils flairaient en moi leur propre misère ». Et puis il y a Igor, un autre jeune, un peu plus âgé, qui roule en moto et a déserté l'armée.
A la mort de son arrière grand-mère, Fritz se retrouve seul. « Je venais de découvrir la douleur. Mais au plus profond de cette douleur, je sentais une extraordinaire liberté. La liberté de celui qui n'a plus personne ». Mais, malgré tout « la vie a continué ».
Dans une seconde partie, « Tiksi, direction Saint Denis », c'est l'armée, dans une base au fin fond de l'Arctique. Tout d'abord en Iakoutie, près de la Mer de Laptev. Il fait froid, avec des températures à -45°. Envoyé à l'hôpital, il se retrouve entre « le tankiste » et Robert, quelque peu efféminé. Mais ils sont au chaud. « Étendu dans l'obscurité, j'écoutais les prières et les délires des autres. Dieu, lui, s'en foutait, trop occupé à ses aurores boréales. La détresse d'autrui fait parfois du bien : tu te sens moins seul». Et arrive une virée en tracteur qui a pour but de retrouver la fille d'un paysan Iakoute. le tout se termine dans une scène absolument surréaliste, dans une youtre avec des babouchkas en manque d'amour. Mais il leur gratter le dos. « L'opération m'a limé les ongles à ras : ils sont devenus tout ronds, tout mignons, mieux que chez l'esthéticienne. Enfin la vieille a ouvert les yeux. Les suivantes s'impatientaient ».
Puis ce sera au bord de la rivière Djida, à de la frontière mongole. Pas mieux. « Frères humains, ce que vous pouvez être lourds ! À l'époque, le monde lui-même, qu'est-ce qu'il était lourd. Il pesait des tonnes ». « Hormis des poubelles, des kiosques à journaux et une
Maison de la Culture à vous filer la sinistrose, y avait pas de quoi combler le touriste ». Et retour au pays, où rien n'a changé. « Mon père avait disparu depuis une semaine » et le grand père, « Ah oui, il hébergeait également un porcelet sur son balcon ». « On a survécu. Point barre».
Souvenirs de la Russie, souvenirs de rien ou de quelque chose qui rappelle le néant. Mais quoi de bien plus beau dans ce squat de Paris.