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Julie Bouvard (Traducteur)
EAN : 9782882502384
188 pages
Noir sur blanc (07/10/2010)
3.61/5   22 notes
Résumé :
Paris, rue des Thermopyles. Dans un squat d'émigrés, sur le lit défait d'une pièce glacée, un homme écrit à même son drap. Il convoque fébrilement sa mémoire pour recréer sa terre d'origine : la Russie. Cette invocation passe d'abord par le regard du jeune garçon sur une campagne dure, crue, intemporelle, faite de fantasmes et de déchirures. L'enfant obèse, protégé par son arrière-grand-mère aveugle, choisit la posture du bouffon pour affronter sa famille déjantée :... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (10) Voir plus Ajouter une critique
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Ce premier livre de Dmitri Bortnikov paru en Russie en 2003 porte en germe le Repas des morts son dernier livre écrit, lui, directement en français. D'une facture classique, il marque tout autant que le cri jaillissant du second.
Confronté très tôt à la violence et la beauté tragique de la vie, Fritz est un enfant trop gros qui souffre de son surpoids, une enfance dure, marquée par l'affrontement avec son père,
«Nous avons eu notre période d'amour, mon père et moi. Extrêmement brève. Comment aurait-il pu en être autrement ? La période de la haine est dense ; celle de l'indifférence, infinie.»
Enfance adoucie par l'amour de son Arrière-grand-mère aveugle
« de tous les êtres vivants, je n'aimais que mon arrière-grand-mère. Elle était aveugle.
Un jour que mon grand-père s'était, à son habitude, métamorphosé en démon, il avait jailli dans la cour, un couteau à la main. Il cherchait sa femme.
L'écume aux lèvres, il a fait irruption chez Arrière-grand-maman. Elle est restée de marbre. Elle ressemblait à un doux bouquet de fleurs sèches.
Je l'ai enlacée, sans doute pour la protéger.»

Années d'initiation d'un enfant qui malgré les humiliations et la souffrance aime la vie à la folie. Années ponctuées de moments marquants comme ceux qu'il passe à l'hôpital, où il accompagne souvent sa mère qui y travaille comme sage-femme. Il y assiste à la naissance d'un enfant 
«Il y a eu un calme absolu. Il ne m'a pas surpris. Je savais qu'il annonçait l'enfant. Avant, quand, l'oreille collée à la porte, je l'entendais arriver ce calme-là, une violente émotion me nouait le ventre. Et voilà que j'y assistais ! L'événement se déroulait sous mes yeux, dans ses moindres détails ! Je fixais la montagne hurlante au trou béant... le hurlement paraissait jaillir de ce trou même.
(...) Une journée unique, inoubliable.... Ma vie entière avait été absorbée par la lumière de cette journée.
Oui et finalement les deux livres de Bortnikov que je viens de lire traduisent avec des accents différents le cri et la douleur qui accompagne la beauté mystérieuse et violente de la naissance et de toute une vie.
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Dans ce roman, Dmitri Bortnikov nous plonge dans la Russie des laissés-pour-compte de l'histoire, ceux qui la subissent et se démènent pour survivre, à l'instar de son personnage, Fritz, échoué dans un squat d'émigrés à Paris. Pour échapper à la folie, Fritz s'immerge dans ses souvenirs d'enfance, ceux d'un enfant obèse cherchant l'affection auprès d'une arrière-grand-mère aveugle, seul rempart contre le délire quasi quotidien d'un père et d'un grand-père alcooliques. Trouvant refuge auprès de marginaux comme lui, bon an mal an, Fritz finit par se forger une carapace jusqu'aux années de service militaire en Sibérie où seul l'alcool à haute dose lui permet de résister au froid, à la faim, à l'ineptie des tâches et à la violence subie par les appelés. Quelques rencontres avec des personnages hauts en couleur, résistant à leur façon à l'oppression d'un pouvoir invisible, apportent un peu d'humanité à ce sombre tableau.
Peu de tendresse dans cet univers masculin où les plus fragiles sont humiliés et écrasés. le langage est cru à l'image de ces hommes livrés à eux-mêmes dans une société qui a perdu toute raison et toute espérance et où la vie a peu de valeur.
Pour comprendre l'âme russe, lisez ce livre, conseille sa traductrice et amie, Julie Bouvard.
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Dimitri Bortnikov est né à Samara, anciennement Koulbychev, sur les bords de la Volga à 1000 km à l'Est de Moscou, en 1968. Puis il a été cuisinier, aide-soignant dans une maternité, professeur de danse et légionnaire.
Son premier livre traduit par Julie Bouvard « le syndrome de Fritz » (2010, Noir sur Blanc, 192 p.) reçoit le Booker Prize Russe en 2002, mais je ne l'ai pas trouvé dans la liste des prix. L'action se passe dans un squat dénommé « le Territoire » rue des Thermopyles à Paris. On est en février, il fait froid et humide. Dans la première partie intitulée « le déserteur, direction Châtillon-Montrouge », un homme, Fritz, 32 ans, écrit, ou plutôt réécrit sa Russie sur un drap. Il est quelque peu déboussolé par le départ de son ami Sergio, le Tchèque. C'est tout d'abord son enfance d'enfant obèse dans une famille déjantée, avec un père accessoirement professeur d'histoire. Entre eux ce n'est pas, loin de là, le grand amour. « Nous avons eu notre période d'amour, mon père et moi. Extrêmement brève. Comment aurait-il pu en être autrement ? La période de la haine est dense ; celle de l'indifférence, infinie ». Son arrière grand-mère aveugle le protège « Légèreté des aveugles. Étrange légèreté des aveugles ». le grand-père est toujours plus ou moins, souvent plus que moins, aviné. Il ne cesse de raconter des histoires morbides. le tout se passe dans la steppe russe « ses terres boudées par l'humanité ». Rien ne se passe vraiment « La steppe, le bois et le chemin de fer : les trois étapes de ma traversée ». Reste à attendre que la vie passe. « Rien de plus extrême que le quotidien. / Un beau matin, on se réveille et on voit que la vie est finie ». Son plus grand souhait, ce serait de voir « le Roi Lear » à la télévision et de devenir le « Bouffon » du roi. « Devant le miroir de la salle de bains, j'avais juste envie de gerber. Sur ce gros tas de graisse répugnant que ce foutu miroir me renvoyait en pleine gueule ».
Pour se divertir, si l'on peut dire, il y a les visites à l'abattoir. On peut trouver plus enthousiasmant. le jeune Fritz lit aussi. Un livre sur les animaux et « L'Histoire de la Grande Guerre Patriotique », un tome dépareillé, plein de ruines. « Je plane au-dessus des décombres. Au-dessus des rues dévastées, des squelettes des maisons, des cheminées d'usine éventrées. Il n'y a pas âme qui vive dans ces villes. Ces villes russes, biélorusses, polonaises, allemandes, tchèques. […] Ruines. Décombres. Désolation. À l'époque, ce spectacle était pour moi le plus beau et le plus paisible du monde ». Ses fréquentations plus sociales, l'oncle Gueorgui, Sergueï le Dindon le fossoyeur et Nadia Patte de Poule. le premier est épileptique et personne ne veut jouer avec lui. La seconde est infirme de la main gauche. « Toute ma vie j'ai éprouvé un vif dégoût pour les infirmes, qui, eux, m'adoraient. […] Ils me savaient un des leurs. Ils flairaient en moi leur propre misère ». Et puis il y a Igor, un autre jeune, un peu plus âgé, qui roule en moto et a déserté l'armée.
A la mort de son arrière grand-mère, Fritz se retrouve seul. « Je venais de découvrir la douleur. Mais au plus profond de cette douleur, je sentais une extraordinaire liberté. La liberté de celui qui n'a plus personne ». Mais, malgré tout « la vie a continué ».
Dans une seconde partie, « Tiksi, direction Saint Denis », c'est l'armée, dans une base au fin fond de l'Arctique. Tout d'abord en Iakoutie, près de la Mer de Laptev. Il fait froid, avec des températures à -45°. Envoyé à l'hôpital, il se retrouve entre « le tankiste » et Robert, quelque peu efféminé. Mais ils sont au chaud. « Étendu dans l'obscurité, j'écoutais les prières et les délires des autres. Dieu, lui, s'en foutait, trop occupé à ses aurores boréales. La détresse d'autrui fait parfois du bien : tu te sens moins seul». Et arrive une virée en tracteur qui a pour but de retrouver la fille d'un paysan Iakoute. le tout se termine dans une scène absolument surréaliste, dans une youtre avec des babouchkas en manque d'amour. Mais il leur gratter le dos. « L'opération m'a limé les ongles à ras : ils sont devenus tout ronds, tout mignons, mieux que chez l'esthéticienne. Enfin la vieille a ouvert les yeux. Les suivantes s'impatientaient ».
Puis ce sera au bord de la rivière Djida, à de la frontière mongole. Pas mieux. « Frères humains, ce que vous pouvez être lourds ! À l'époque, le monde lui-même, qu'est-ce qu'il était lourd. Il pesait des tonnes ». « Hormis des poubelles, des kiosques à journaux et une Maison de la Culture à vous filer la sinistrose, y avait pas de quoi combler le touriste ». Et retour au pays, où rien n'a changé. « Mon père avait disparu depuis une semaine » et le grand père, « Ah oui, il hébergeait également un porcelet sur son balcon ». « On a survécu. Point barre».
Souvenirs de la Russie, souvenirs de rien ou de quelque chose qui rappelle le néant. Mais quoi de bien plus beau dans ce squat de Paris.
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Dimitri Bortnikov est un immigré russe qui vit à présent à Paris. « le syndrome Fritz » narre les souvenirs d'un clandestin. Malade, cloué au lit, il divague, se rappelle et interpelle ses souvenirs, retrace le parcours d'une vie multiple, dense et dure. Un parcours chaotique, mais riche, vivant, écorché, passionné…

Fritz est un enfant seul et taciturne. Obèse, moqué, il prend la manie de devenir le « Bouffon », se cacher derrière un personnage grotesque pour pallier aux moqueries de son grand-père alcoolique ou au violences de son père qui le méprise. Ironie de la vie, la seule à l'aimer profondément est une vieille grand-mère aveugle. Repoussé par les siens qu'il fuie, Fritz se lie à des figures de marginaux, une jeune fille à la main difforme ou encore un déserteur à qui il souhaiterait tant ressembler. Plus que jamais la maison, son foyer, lui apparaît comme hétérogène.

Enfant dépressif, lunaire, il arpente sa solitude comme un fantôme. La campagne froide et austère qu'il habite semble à son tour l'habiter, le hanter. Il décrit « quand j'étais môme, on jouait au cadavre, on se couchait sur l'eau et on se laissait porter par le courant. Aujourd'hui, rien n'a changé. La même rivière m'emporte. Celle qui n'a pas de nom« .

L'écriture de cette partie dédiée à sa jeunesse est poétique, douce, fragile comme l'enfance chétive de l'enfant gras qu'il est; en contraste et en équilibre. Morose, il écrit « A la brune, lorsque tout est silence méditatif / Je tresse des couronnes de lunes d'eau« .

Mais en grandissant, l'enfant gras et malmené se déleste de ses kilos. Il quitte l'étouffante vie familiale, pour un monde plus brutal, mais plus franc, celui de l'armée et de l'extrême orient russe. L'écriture se métamorphose elle aussi, comme sa seconde peau, elle mue à son tour. Plus dense, moins poétique, plus violente, moins morbide, elle s'accroche à la passion, la douleur, la rage de survivre d'une jeunesse farouche et avide: « La tragédie rien à foutre! On était trop jeunes et trop affamés pour elle. Nous on voulait vivre. C'était ça, ce que clamaient nos veines tranchées, nos mâchoires éclatées, nos furoncles sanguinolents. On suppliciait nos corps parce qu'on crevait la dalle de vivre, la nuit surtout. Et quand on perdait la boule, personne n'y croyait ».

Véritable volonté de puissance, force d'affirmation, la dernière partie tranche avec la précédente par son positionnement et son style. C'est là la force de l'écriture de Bortnikov, qui s'adapte avec talent aux exigences de la narration et à l'évolution du récit. Seule note négative, la fin, qui, originalement peut être, ne boucle pas le récit.

Un livre excellent, dont la force de l'écriture plaira à beaucoup d'amateur de la puissance de la littérature russe.

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Dans un récit qui paraît hautement autobiographique, un homme, ancien soldat se remémore sa vie depuis un appartement parisien vétuste. Fritz va nous conter, depuis son enfance jusqu'à la fin de son service militaire son parcours, typique d'un Russe moyen, de la banlieue, d'une certaine paysannerie, d'un certain milieu social oublié de l'élite.

Il raconte comment, enfant, il était gros et bête, un clown cachant ses larmes, seul échappatoire d'un quotidien morne dans une famille détruite par l'alcool, génération après génération. Arrive Nadia, qui sera sa seule amie dans ce monde déliquescent mais surtout l'approche de la beauté avec le corps d'Igor, ouvrier à l'abattoir qui aime pavaner torse nu et dont la chaire couverte de sang de porc évoque des sentiments à Fritz qu'il ne saura jamais dompter.

Il raconte ensuite une adolescence blessée par le service militaire, qui se déroula pendant deux longues années sous le froid mordant de l'arctique, où la réunion des hommes créé quelques liens singuliers. Ses activités, lorsqu'il n'est pas alité, sont principalement de casser des tas de merde à la pioche ou de nettoyer les toilettes. S'il ne s'agit pas de se mettre au garde à vous des heures durant à l'extérieur, évidemment. Des amis ? Pas vraiment, si ce n'est quelques âmes fracturées par la vie et par l'arme, qui crient la nuit et essayent de coucher avec les infirmières pendant la journée. Finalement, rien n'a changé de son enfance.

Mais à travers tout ça, ce que Fritz raconte, c'est une Russie oubliée, une Russie pauvre où la violence et l'alcool servent d'uniques échappatoires au manque d'avenir. Une Russie sans âme ni espoirs, qui se contente de ce qu'elle trouve sur son chemin. Un peuple créé pour mourir au front, illettré et inintéressé. Malgré tout, à travers son héros, Bortnikov fait preuve d'une immense sensibilité envers les épreuves et ceux qu'il rencontre sur son chemin. de façon subtile et touchante, un paysage s'éclaire sous la neige et la boue, une population est là, qui vit et qui ne peut s'empêcher de rêver, d'aimer et d'être empathique.
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Citations et extraits (21) Voir plus Ajouter une citation
Sous le soleil de plomb, la ville n’était plus qu’un mirage de brume. Je marchais le plus possible à l’ombre, enjambant des chiens abrutis de chaleur, carpettes vautrées dans la poussière. Mon corps s’était transformé en une gigantesque motte de beurre grésillant sur une poêle. Sueur et graisse coulaient sur mon visage, me donnant l’air d’un sioux fardé pour me combat.
Je marchais plus d’une heure, suivant la trajectoire du soleil.
Parvenu au péage, je sentais sur ma peau l’haleine brûlante de la steppe. De rares voitures passaient en vrombissant, et la route se remettait à fondre dans la brume suffocante. La steppe, le bois et le chemin de fer : les trois étapes de ma traversée. p 69
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Campé au milieu de nulle part, il me fixait, souriante solitude.
Nos deux regards enlacés. Nous nous mouvions au rythme d'une danse immobile. Longtemps, nous sommes restés ainsi, envoûtés, et la couleur de nos yeux s'est fondue en une.
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Je plane au-dessus des décombres. Au-dessus des rues dévastées, des squelettes des maisons, des cheminées d'usine éventrées. Il n'y a pas âme qui vive dans ces villes. Ces villes russes, biélorusses, polonaises, allemandes, tchèques. […] Ruines. Décombres. Désolation. À l'époque, ce spectacle était pour moi le plus beau et le plus paisible du monde. […].
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Rien de plus extrême que le quotidien.
Un beau matin , on se réveille et on voit que la vie est finie. p 19
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Nous avons eu notre période d'amour, mon père et moi. Extrêmement brève. Comment aurait-il pu en être autrement ? La période de la haine est dense ; celle de l'indifférence, infinie.
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Videos de Dmitri Bortnikov (10) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Dmitri Bortnikov
Traverser le Styx avec Dmitri Bortnikov et Julie Bouvard. Modération par Camille Thomine - samedi 1er octobre 2022, 16h30-17h30 - Château du Val Fleury, Gif-sur-Yvette. Festival Vo-Vf, traduire le monde (les traducteurs à l'honneur)
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