Notes de lecture par
Gabriel Okoundji, Cultures Sud avril 2010
Oui, il existe des poétesses à l'écriture fertile et
Catherine Boudet en est l'exemple même. En quatre années seulement, outre l'ouvrage objet de notre recension, elle nous a déjà donné à lire deux autres recueils merveilleusement bâtis : Résîlences et
le Barattage de la mer de lait.
Dans ce deuxième recueil notamment, avec une rare et précieuse éloquence, sur le rythme puissant d'un récit-poème inattendu comme l'éclair, l'auteure visite le mythe hindou de la genèse du monde. Mythe réinterprété avec succès, sans extravagance, dans l'univers des îles de l'océan indien confrontés à la « déshistoire » du monde insulaire. Et ce livre est un bonheur !
Catherine Boudet pour qui « écrire est un acte de survie », poursuit son cheminement dans l'exigence d'une écriture qui ne pactise point avec le superflu. Ses poèmes ont la préciosité des pierres de lune. À l'image de ce texte, p. 40 :
« Les odeurs de ma terre pousseront encore dru dans le foin de mes veines/Même si je carbonise les mots à force de dire que ce n'est pas grave/même si je défie la conque des anciens volcans/même si je fais semblant de dire que le jour est ailleurs/que je n'aime que le vent/la volonté carnivore de lui survivre je la porte gravée en un tatouage qui défait la nuit/je revêts sa grande peau de loup/et je l'érige/cariatide ».
Car la poésie de
Catherine Boudet, à travers son flux et reflux, est une mer. Une mer des passions, une mer bataillant au plus fort de l'inquiétude dans la turbulence des ressacs :
« Donne-moi la main car la mer pleure ce soir une douceur tellement belle que mon coeur se fane sur ta peau… » (p. 18)
«... Je me rappelle, il y a dix ans, quand nous avions Jésus, Allah. Aujourd'hui, tu as mis un voile sur tes cheveux, un voile sur ton amitié, il n'y a plus Jésus, et Allah me fait mal ». (p. 43)
Et dans la turbulence des ressacs, on entend l'hymne à l'amour. Un amour en liesse dans les alcôves du bonheur qui toutefois n'innocente pas les coeurs purs. Et pour un « coeur mafane » (quelle jolie trouvaille !), Il n' y a pas d'amour qui ne soulève le tumulte de l'âme car – les poètes le savent –, l'être humain demeure fragile en son point d'équilibre.
Ainsi notre poétesse s'écrie d'une voix audible à la vérité :
«... ça fait peur d'aimer, ça rend le coeur sauvage et fou ça fait peur d'aimer… » (p. 20)
«... immense jour sans bleu sans nuit sans toi sans espérance au jour le jour le silence lancinant de l'absence dans la chair tendre du jour une évidence le songe de toi en carence » (p. 21)
Au bout de la peine, s'ouvre grandement la porte de la désillusion qui annonce le découragement :
« Et je sais à présent que sur le corps des anges
On ne construit ni temple ni palais
Mais des deuils en nacelles
Des amours qui se fanent au coeur lisse des rêves… » (p. 31)
Mais au fait, face à la turbulence des ressacs existentiels, à quoi bon la poésie ? À quoi bon la parole cristalline des poètes ? C'est par cette interrogation que s'ouvre la très belle préface d'
Ananda Devi qui ne manque pas de fertilité. Interrogation qui fait harmonieusement écho au poème « Attention, vertige » (p. 37). Mais le mot juste en réponse à cette question posée depuis le grand
Hölderlin est-il trop proche ou trop éloigné de la langue des poètes ? Ah tiens ! Voilà que me revient en mémoire le poème « Souvenir », écrit par le même
Hölderlin, lors de son séjour sur les bords de la Garonne. le denier vers de ce poème dit : « Seul demeure ce que fondent les poètes ».
Catherine Boudet à qui la poésie a communiqué une « Boîterie de l'âme », s'inscrit dans la démarche qui mène à l'horizon de ce vers. Une poétesse à suivre donc, parole de Mwènè !
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