Butler s'efforça de réprimer le tremblement de sa main en pressant contre son flanc l'avant-bras au bout duquel se profilait un pistolet. Ainsi lui apprenait-on à le faire autrefois, au cours d'un entraînement militaire spécial précédant son départ pour le Viêt-Nam.
L'acte qu'il allait accomplir le terrifiait.
Pour qu'il s'y résolût, il fallait l'aiguillon d'une terrible nécessité : le manque de drogue.
Le quartier de New-York choisi par lui après beaucoup d'hésitations était désert à cette heure. Les gens sérieux rentraient chez eux après le cinéma ou le théâtre ; les noctambules n'avaient pas encore quitté les boîtes de nuit.
Embusqué à l'angle de deux rues, il vérifia une dernière fois que le passant qui s'approchait était seul, et la voie libre derrière lui.
- Arrêtez-vous et jetez-moi votre portefeuille !...
(extrait du chapitre I)
Il est vrai que le voyage semblait devoir se terminer heureusement. N'ayant plus rencontré d'obstacle sérieux depuis l'embuscade des Lahus, les soldats s'étaient mis d'accord pour attribuer cette clémence du Ciel à la stature de leur nouveau chef, à sa bravoure et à la faveur dont il jouissait auprès des Dieux. Cette interprétation n'était pas entièrement fausse. En fait, comme le pressentait Stephens, une légende se tissait autour de Butler, en Birmanie et jusqu'en Thaïlande. Malgré la convoitise excitée par le trésor, personne parmi les pirates de la montagne ne se risquait plus à affronter pareil adversaire et la caravane, maintenant intangible, poursuivait sa marche sous la protection de ses vertus. Il tenait parole et ne se droguait plus. Les fumées de l'encens glorieux qu'il sentait s'élever jusqu'à lui à chaque détour du sentier ajoutaient une ivresse euphorique au sentiment de ses responsabilités nouvelles, le maintenant ainsi dans un état d'exaltation lucide.
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