Et voilà encore un tome des Passagers avalés d'un seul coup de gueule, comme le ferait un boa avec sa proie.
Le navire négrier « Marie Caroline » transporte Isa, Hoel, Mary et son anglais de compagnon sur les côtes du Dahomey, futur Bénin. le commandant du navire souhaite acquérir de la « bonne marchandise » auprès du roi local et nos héros vont devoir au fort français Saint Louis de Grégoy attendre le temps des transactions. Ils n'ont pas le temps de s'ennuyer. Les filles font immédiatement l'objet d'un pari de la part des nobles colons du fort ; il s'agit de les emballer toutes deux. Mais le malheureux candidat Estienne de Viaroux qui doit s'y coller se heurte à deux os difficiles à ronger. Furax, Viaroux emploie des méthodes qui deviennent dangereuses ; le sang coule et Isa rend coup pour coup avec sa ruse habituelle. Elle en profite pour plaquer tous ces généreux esclavagistes qui voient dans ce commerce bénéfice de bon aloi. Elle est décidément la tête pensante de la bande.
L'aventure quitte donc un instant la mer pour l'Afrique occidentale. Tout dans l'histoire est délicieux, depuis le détail des tractations et des jeux de pouvoir entre les européens et le roi du Dahomey jusqu'aux machinations d'Isa qui essaie de sauver Hoel de son dramatique sort, en passant par les notes d'humour cruel permanentes et le réalisme de la description d'un temps où l'esclavage des noirs était dans l'ordre de la nature.
Délicieux dis-je ? Voire ! Il y a aussi le choc. Un instant on débat sur la morale de l'esclavage entre gens civilisés, et puis ce dessin : une pièce surpeuplée, suffocante, femmes noires presque nues enchainées par le cou à des poteaux, gamins nus partout, moustiques, miasmes. Insupportable et révoltante vision.
Bourgeon ne cherche pas à nous épargner l'horreur. Il ne dessine pas pour ne rien dire. C'est un cri humaniste qu'il porte au travers d'Isa qui porte en elle les conceptions d'une femme européenne de notre siècle. En écoutant attentivement, je suis sûr qu'on aurait pu entendre l'héroïne s'écrier « Je suis Charlie » en janvier dernier.
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Plus j'avance dans cette série, plus je l'apprécie. Il faut dire que les auteurs s'améliorent de tome en tome, alors même que le 1er volet était déjà excellent. L'histoire est de plus en plus prenante et devient carrément addictive. Les personnages sont de plus en plus intéressants. On retrouve Isa telle qu'on l'aime, combattive et audacieuse. Mary prend un peu d'épaisseur dans ce tome au fur et à mesure qu'elle découvre la dureté du monde. Il faut dire que dans ce 3ème volume, on s'intéresse de près à la traite négrière et certains passages sont très durs.
Les seconds rôles ne sont pas en reste et constituent une bien belle galerie. Ainsi on rencontre le formidable Aouan, j'ai adoré ce personnage de caractère. Et j'ai adoré détesté Viaroux. Un bon méchant c'est important dans une histoire et Viaroux est un très bon méchant, totalement abject sous un aspect bien lisse et propre.
De tome en tome, « les passagers du vent » est en train de s'imposer à moi comme une de mes séries préférées.
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Accostage au Dahomey, trafic de bois d'ébène, moiteurs et touffeurs tropicales...
Le commerce triangulaire montre son vrai visage: du côté du roi du Dahomey: tortures, violences, insupportables, têtes coupées, fourmis grouillantes...mais du côté des marins français, habilités à ce type de commerce: cynisme, cruauté et perversion qui ne laissent rien à envier aux potentats locaux..
Dans le microcosme colonial, l'arrivée de la belle Isa fait l'effet d'une bombe: ce ne sont que paris sordides pour "accrocher" la jeune femme au palmarès de leurs conquêtes...ou de leurs viols...Mais c'est sans compter avec l'intelligence vengeresse d'Isa..
Qui s'y frotte, s'y pique!.
"M'âme Isa" fait aussi la conquête d'un magnifique noir , Aouan, qui lui tient la dragée haute: "Femmes blanches pas bien belles...M'âme Isa pas bien belle.." mais qui la protège et l'aime sans en convenir! Un beau personnage!
La saga gagne en cruauté et en épaisseur: les personnages , lentement, se trempent ou se dégradent...Folie chez Smolett, futilité chez Mary, réalisme un peu borné chez Hoël...Lucidité et solitude chez Isa...L'esclavage est un baptême du feu...
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(Côte de Dahomey, futur Bénin. Étienne de Viaroux et Isa visitent le village autochtone)
Viaroux porte un mouchoir à ses lèvres: Nous voici en plein marché. Tout ce grouillement... J'espère que vous n'êtes pas incommodée par l'odeur?
Isa: Rassurez-vous, Monsieur! Votre parfum est bien un peu violent mais on finit par ne plus y penser!
Viaroux, vexé: Je... Je parlais de l'odeur du nègre...!
Le niveau du plafond de cette pièce limite sans doute, l'élévation de vos pensées, Monsieur Bernardin ! … C'est par milliers que nous arrachons, chaque année, hommes, femmes et enfants à leur terre et à leur famille, afin qu'ils arrosent de sueur et de sang des produits dont nous n'avons peut-être même pas besoin ...
Nos marins risquent leur vie pour permettre aux colons d'enrichir le Royaume. Ils n'ont que faire des élucubrations de quelques sages nantis qui attendent d'avoir fait fortune dans le "bois d'ébène" (*) pour trouver brusquement ce commerce immoral.
(*) bois d'ébène: esclaves noirs déportés aux Amériques
Un jour un nègre il trouve un crâne sur le sable. Il dit : "Eh ! Crâne ! Qui t'a conduit ici?"
"La parole" qu'il dit le crâne. Le nègre prend le crâne et il l'apporte au roi. "Regarde roi ! Ce crâne il parle !" Le roi dit : "Si c'est vrai tu es riche. Mais si tu mens, tu meurs !" Alors le nègre dit : "Eh crâne ! Qui t'a conduit ici ?" Mais le crâne ne dit rien...Alors le roi, en colère, fait couper la tête du nègre et s'en va...
Quand ils sont à nouveau seuls sur le sable, le crâne regarde la tête coupée, il se marre, et il demande : "Eh ! Crâne ! Qui t'a conduit ici ? Et le nègre, répond : "La parole."
- Dans les pays chaud, un petit baiser, c'est juste un truc pour se rafraîchir le gosier.
- Ben si tu as besoin de te rafraîchir le cul, demande de l'eau douce au capitaine ! On vient juste de faire plein !
François Bourgeon, au naturel