Je remercie Babelio et La Chambre d'Échos pour l'envoi de ce livre de
Sarah Bouyain dans le cadre de la dernière grande opération « Masse critique ».
Métisse façon est un recueil de nouvelles sur le métissage colonial.
Le dictionnaire nous dit seulement du métissage qu'il s'agit d'un mélange de races, un croisement entre sujets de la même espèce. Au sens figuré, c'est une forme d'acculturation, d'assimilation de tout ou partie des valeurs d'un autre groupe humain, d'adaptation par contact à une culture étrangère. Métisser, c'est unir… Seulement, voilà : dans la réalité que nous décrit
Sarah Bouyain, une réalité qu'elle connaît bien, puisque qu'elle est née d'un père burkinabé et d'une mère française, le métis et plus exactement ici la femme ou la fille métisse, est toujours à moitié blanche ou à moitié noire, jamais totalement à sa place, toujours entre deux cultures…
L'auteure nous donne à lire des portraits de femmes et de jeunes filles qui se suivent et s'entrecroisent du Burkina Faso à la France ; chacune dit, à sa manière, son mal de vivre…
L'âge des héroïnes va tantôt décroissant, tantôt à rebours, comme si le but ultime était de transmettre une mémoire. J'ai été frappée par la tonalité pessimiste de chaque histoire, de chaque souffrance pourrais-je même dire.
Les métisses d'Afrique sont trop africaines pour espérer une quelconque reconnaissance de leurs pères ; le métissage est passée par des femmes prises de gré ou de force par des blancs… Les métisses des autres pays ne seront jamais africaines quels que soient leurs efforts d'acculturation…
Les nouvelles sont déconcertantes… Elles m'ont plongée dans des vécus et des imaginaires qui m'ont bouleversée.
Une femme âgée, Absatou, demeure toute la journée assise sur sa terrasse tandis que les gens du quartier viennent déposer des ordures devant le portail de sa maison. Lui en veut-on d'être partie de Bobo Dioulasso ou bien d'y être revenue ? Sa seule amie vient-elle lui rendre visite pour de bonnes ou de mauvaises raisons ? En fait, on ne lui pardonne pas sa peau plus claire…
Jeanne est une vieille métisse qui vit dans le désordre et le fouillis. Elle accueille pourtant la très jeune Bintou qui « a piqué la grossesse avec un touriste » blanc… Les souvenirs remontent à sa mémoire, sa vie à l'orphelinat quand sa propre mère, « une femme peule réquisitionnée pour la détente du lieutenant-colonel » était morte…
Le troisième récit est une quête des origines, une suite de rencontres inabouties… Une jeune femme française, Rachel, née de la brève rencontre de sa mère avec un étudiant africain, part à la recherche de ce père dont elle ne sait que le nom et la ville d'origine. Nous la retrouvons dans le même quartier de Bobo Dioulasso, où elle s'applique à devenir « la fille africaine minute » pour s'approprier une culture qu'elle ne connaît qu'au travers des récits coloniaux de son grand-père. C'est sa façon d'être «
métisse façon » qui donne son titre au recueil, ses efforts pour se coiffer et se vêtir à l'africaine, pour adopter un accent… Elle est hébergée chez Esther, une métisse aussi, dont le père était l'ancien commandant du cercle (tiens donc ! Drôle de hasard…).
Bintou a confié sa fille à Jeanne et a quitté l'Afrique ; au fil d'une longue errance, elle est devenue auxiliaire de vie à Grignicourt, en France. Elle va servir de lien entre la vieille dame mourante chez qui elle travaille et sa petite-fille dont, sans le savoir elle va changer la vie…
L'avant- dernière histoire finit de faire le lien. Cassandra, une fillette métisse, petite fille de l'un des premiers couples mixtes de la Côte d'Ivoire joue beaucoup avec les enfants de l'orphelinat où enseignait sa grand-mère, cet établissement où finissait les enfants de pères blancs inconnus, de pères fantasmés… Elle assiste à une réunions d'anciennes orphelines métisses au rythme d'une comptine qu'elle chante dans sa tête.
La dernière nouvelle, très caricaturale, est celle qui m'a le plus dérangée. Salimata, arrivée depuis peu en France tente de se rendre invisible quand sa mère l'envoie faire les courses. Elle est fascinée par un groupe de trois femmes africaines particulièrement arrogantes et voyantes…
Ce recueil de 140 pages mérite une lecture approfondie car il dit une profonde souffrance qui se répercute en écho de portraits en portraits. Ces personnages féminins sont émouvants, choquants, toujours en porte à faux… Les relents colonialistes sont toujours vivaces même si je replace ce livre dans le contexte de son époque : il a été publié en 2002.
Il est encore long le chemin du métissage à l'altérité…
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