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Pierre Flachat (Traducteur)Albert Kohn (Traducteur)
EAN : 9782070719716
742 pages
Gallimard (11/05/1990)
3.89/5   63 notes
Résumé :
À l'encontre de ceux qui voient la modernité du roman dans une subjectivisation extrême, Broch (de même que l'autre grand Viennois Musil) conçoit le roman comme le forme suprême de la connaissance du monde et le charge d'ambitions intellectuelles comme aucun romancier n'a osé le faire avant lui. Broch est un des plus grands démystificateurs des illusions lyriques qui ont obsédé notre siècle. Dans Les Somnambules, son œuvre la plus importante, l'Histoire des Temps Mo... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Hermann Broch nous convie, avec ses Somnambules, à une puissante réflexion sur le système social dans lequel nous vivons. Je pense que le véritable objectif de l'auteur est le petit essai qui s'intitule "dégradation des valeurs" et qui est distillé en 10 chapitres distincts au cours de la troisième partie du roman.

Dans cet essai, l'auteur défend la vision selon laquelle tout système tend à devenir absolu, jusqu'au boutiste, à phagocyter tous les autres et qu'au cours de ce processus, en devenant de plus en plus rationnel, jusqu'à l'ultra-rationalisme il est l'acteur de sa propre implosion car au bout du bout de tout système, il y a l'individu, et que l'individu, aussi absolu et rationnel soit-il sera toujours la proie d'une certaine forme d'irrationalité.

En clair, en passant du système moyenâgeux, totalitaire en ce sens où toute activité humaine avait pour finalité la religion et le salut apporté par le Christ, à un système initié à la renaissance par ses propres excès et l'irrationnel qui le conditionnait, l'Europe occidentale est passée par toutes les étapes d'une dégradations des valeurs dont la première étape fut l'atomisation du système sous l'impact du protestantisme, prélude à une hyper spécialisation dans chaque domaine.

Dès lors, chaque domaine possède sa logique propre qui n'est plus contenue dans un système global et équilibré. le militaire va au bout de sa logique, le capitaliste aussi, l'artiste de même, etc., sans qu'aucun ne comprenne plus la finalité du domaine de l'autre.

Mais à l'extrémité ultime de chacune de ces logiques pourtant fort rationnelles, il ne peut y avoir que de l'irrationnel. Prenons par exemple le capitaliste ; une fois qu'il a tout acheté, tout capitalisé, son système ne peut qu'imploser, car il devra nécessairement commettre des actions non justifiables par l'esprit rationnel, comme par exemple acheter un tableau de plusieurs millions de dollars, etc.

Pour amener cet essai que j'ai très succinctement et très imparfaitement tenté de résumer, l'auteur écrit un gros roman, terreau où il fait germer les situations qu'il souhaite analyser dans son essai.

Le roman est divisé en trois parties, les deux premières se focalisant d'abord sur Joachim von Pasenow, officier militaire de carrière en 1888 puis sur August Esch, comptable en 1903. La troisième partie, qui se déroule en 1918 et qui est longue à elle seule comme les deux autres réunies, nous présente un troisième personnage en la personne de l'alsacien Wilhelm Huguenau, lequel est un commerçant doublé d'un déserteur qui va interagir avec Esch et Pasenow.

Vous aurez compris que pour le propos, l'auteur a choisi des professions bien rigides et rationnelles (militaire, comptable, businessman) et dont pourtant les représentants ont des élans d'irrationalité.

Le titre fait vraisemblablement référence au fait que les protagonistes glissent dans leurs vies bien huilées comme sur des rails (la rationalité) mais qu'ils vont tous dévier, de façon peu compréhensible, à un moment de leur existence, tels des somnambules marchant au devant d'eux quitte à descendre dans l'abîme.

Ce livre n'est pas véritablement captivant quant au roman bien que très agréable par moment. de mon point de vue, ce livre vaut surtout pour la qualité de la réflexion philosophique à laquelle il nous invite et qui en fait une oeuvre rare, du calibre ou pour le moins comparable à de gros romans de langue allemande comme La Montagne Magique ou L'Homme Sans Qualités, du moins c'est là mon avis de somnambule, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Les Somnambules, premier roman d'Herman Broch, se présente comme un triptyque, avec des récits indépendants (bien que certains des protagonistes d'un volume réapparaissent dans les volumes suivants) où un personnage principal incarne une période charnière de l'histoire du Reich dans un processus global de déclin des valeurs traditionnelles des sociétés européennes.

Ainsi dans 1888, Pasenow ou le Romantisme, nous est dévoilé la figure de Joachim von Pasenow, qui s'est un peu vu contraint de choisir la carrière des armes, car traditionnellement c'est à l'ainé que revenait la gestion du domaine et des terres familiales, à son frère Helmuth en l'occurrence, "tombé pour l'honneur, pour l'honneur de son nom" lors d'un duel. C'est dire assez que Joachim a baigné dans une atmosphère traditionnaliste, sous la coupe d'un père autoritaire et inexorable, qui lui souhaite voir faire un mariage avec une Elisabeth von Baddensen, dont la famille possède une centaine d'arpents de terre, dont elle héritera un jour sous le titre de baronne. le patriarche le presse donc de demander son congé du service actif afin de reprendre le flambeau de l'ainé valeureux et de songer à cette union qui scellerait une belle alliance. Mais Joachim regimbe un peu, être officier lui semble plus prestigieux que l'état de gentleman-farmer et il préfère à la compassée Elisabeth, les charmes faciles de la bohémienne Ruzena. Pressé de plus en plus par ce père dont les projets virent à la manie, il cherche conseil auprès d'Eduard von Bertrand, un ancien "camarade sous l'uniforme du Roi", qui a abandonné le devoir de sa charge pour la vie aventureuse et mercantille d'importateur de coton, décision que juge sévèrement Joachim, ainsi que son air dégagé, sa mise et ses manières déliées qui lui semblent affecter le cynisme. Malgré cette réprobation et ce léger mépris qu'il éprouve pour von Bertrand, ce dernier exerce un indéniable ascendant sur Joachim, et ses conseils avisés semble régler naturellement et fort avantageusement ce qui parait inextricable dans la vie de Pasenow, avec un désintéressement tellement manifeste qu'il en devient suspect pour Joachim. La personnalité rigide et paradoxalement fantasmagorique de Pasenow que von Bertrand qualifie de romantique lui font se demander si son si fidèle ami ne joue pas le rôle d'un Méphistophélès dans son existence...

Le singulier antihéros de 1903, Esch ou l'Anarchie est un petit-bourgeois luxembourgeois qui s'est fait licencié sous le prétexte fallacieux d'erreurs dans la comptabilité de son entreprise, manoeuvre pour donner le change sur les malversations de son supérieur hiérarchique. August Esch vit terriblement mal cette situation, lui que chaque injustice révolte, à telle enseigne qu'il démissionne aussi sec d'une bonne place qu'il vient à peine de décroché aux entrepôts de Cologne lorsque qu'il apprend que celui qui lui a facilité son embauche, militant syndicaliste infirme, a été raflé lors d'une réunion durant une grève et emprisonné, iniquité dont il tient Eduard von Bertrand, que le lecteur connait déjà, maintenant président de la Mittelrheinische personnellement pour responsable. Pour tout dire Esch, en bon comptable consciencieux et probe, à une conception de la vie en partie double, la rédemption résulte du sacrifice, un martyr doit racheter la faute, pour maintenir les plateaux de la balance de la justice immanente bien alignée, quitte à se lancer dans des opérations fort hasardeuses. Ainsi il s'embarque dans une entreprise assez croquignole, l'organisation de compétition de lutte féminine bidon, pour permettre à une jeune femme, qui ne parle pas un traitre mot d'allemand et qui ne lui est aucunement attachée, d'échapper à sa condition de partenaire offerte et passive des jeux dextres d'un jongleur lanceur de couteaux. Et ainsi du reste, relations amoureuses, relations d'affaires, vie et trépas, les bons comptes font les bons amis, aux cieux comme ici-bas. La conduite et les agissements du brave August suivent malgré cette rhétorique apparemment rigoureuse une logique somme toute plutôt évanescente et des voies pour tout dire anarchiques. August Esch a tout du personnage Kafkaïen, en moins bureaucratique mais en plus impétueux.

Le délitement des valeurs à l'oeuvre dans les Somnambules trouve son complet accomplissement dans l'âme boutiquière du personnage principal de 1918, Huguenau ou le Réalisme. Wilhelm Huguenau est un déserteur alsacien, donc ressortissant allemand à l'époque des faits, qui après une longue et prudente marche à travers les lignes ennemies arrive un beau jour dans une petite ville de l'Électorat de Trèves sur les bords de la Moselle. le spectacle des terres agricoles en friche suite à l'absence des hommes partis pour le front, lui fait flairer la bonne affaire et en homme qui "sent le vent' il y voit une occasion de faire sa pelote. Il décide de faire passer une annonce dans une feuille de choux locale en se déclarant acquéreur de terrains. C'est là qu'il rencontre August Esch, le comptable du volume précédent, qui se débat tant bien que mal comme rédacteur du Messager de l'Électorat de Trèves, métier qui par définition doit composer avec l'imprévu ce qui est aux antipodes du train-train précis, rassurant et codifié de la comptabilité, qui met ses nerfs à rude épreuve et qui fait de lui une figure qui détonne dans le calme de cette ville provinciale. Huguenau change son fusil - lui qui s'en est si peu servi, d'épaule, et décide de faire main basse sur le journal avec une manoeuvre frauduleuse dont il a le secret. Ce dernier volet, qui constitue près de la moitié du volume total de pages de la trilogie, se présente comme une synthèse de cette dernière, avec sa structure narrative plus complexe et ses chapitres digressifs et conceptuels intitulés Dégradation des valeurs qui théorisent le propos initial du triptyque, l'émergence d'un individualisme forcené de l'homme moderne symptomatique de la démonétisation des valeurs traditionnelles qui a débuté avec la Renaissance. C'est dans cet aspect protéiforme qu'on peut voir dans l'oeuvre d'Herman Broch une filiation avec l'Homme sans qualités de Robert Musil qui lui est contemporain.

Ce premier roman d'un des deux plus grands romanciers viennois de son temps est important dans l'aspect novateur de sa forme narrative et dans l'analyse de cette décomposition des valeurs dans la société et chez l'homme européen, vacillant entre les deux abymes de l'irrationalité et de l'ultra-rationalité et qui va le conduire vers le totalitarisme que l'auteur pressent et annonce. Une oeuvre importante et visionnaire.


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La lecture parfois éprouvante de cet imposant roman me laisse un sentiment mitigé.

La construction en trois parties situées à trois époques différentes (1888, 1903, 1918) est intéressante. Elles illustrent trois étapes de l'évolution de la société vers un monde dont Broch ne partage pas les valeurs, un monde générateur de solitude et d'angoisse. Il est significatif que ce roman ait été publié en 1931, à un moment où le modernisme triomphant commence à avoir du plomb dans l'aile. La modernité a révolutionné les sciences avec Einstein, Bohr, la physique quantique. Elle a révolutionné la géopolitique avec le leadership pris par les Etats-Unis aux dépens de l'Europe. Elle a révolutionné les arts dans la peinture, la musique, le roman… Mais elle a accouché de la première guerre mondiale, de ses millions de morts et du premier usage des gaz de combat. Elle a accouché des désordres économiques en Allemagne puis dans le monde entier. Il est d'ailleurs intéressant de faire un parallèle avec la période actuelle, marquée par de profonds bouleversements et elle aussi souvent ressentie comme une période de crise.

Pour en revenir au roman, il faut pourtant noter que tout critique qu'il soit sur la modernité, Broch fait lui-même preuve d'un modernisme assez radical dans la forme de son livre. Il a l'ambition de faire oeuvre totale : multiples récits, de plus en plus éclatés, passages en vers ou sous forme de pièce de théâtre ou encore de correspondance, réflexion sur l'histoire, l'architecture, la religion. Dans les parties narratives, j'ai apprécié l'écriture souvent ironique et pleine d'humour distancié de Broch.

Le roman comporte aussi de longs passages philosophiques consacrés à la ‘dégradation des valeurs'. Et c'est là que ça se gâte ! Ces parties sont assez indigestes et difficilement compréhensibles, à tel point que je me demande si ce galimatias abscons n'est pas volontaire de la part de Broch, qui chercherait ainsi à placer le lecteur dans un état de confusion et de perplexité symbolisant l'état de l'homme dans la société moderne.

J'en tire la conclusion qu'il est très difficile de faire cohabiter dans la même oeuvre forme littéraire et forme philosophique.
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Hermann Broch est sans conteste un des plus grands auteurs de langue allemande du XXième siècle. Auteur, philosophe, essayiste; Hermann Broch signe avec les Somnambules son oeuvre la plus accomplie. Il y évoque la crise d'identité liée à la perte de valeurs qui fondaient une société face à l'éclosion d'un nouveau monde qui réfute ces valeurs.
C'est une trilogie où l'on suit des personnages en bute à ces bouleversements : Pasenow qui incarne l'idéal romantique allemand, Esch ou les tentations à l'anarchie et Hugueneau qui représente la volonté du réalisme face au chaos.
L'histoire se déroule en Allemagne et l'auteur glisse au coeur de son roman des passages philosophiques sur l'effondrement des valeurs et des implications sur l'individu de la perte de ses repères.
Ce roman foisonnant et riche s'inscrit dans un mouvement de pensées qui traversera aussi les oeuvres de Joseph Roth, Thomas Mann, Hermann Hess, Alfred Doblin, etc...
Un auteur à redécouvrir.
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Livre lu à la faculté où je m'étais prise de passion pour la littérature allemande et autrichienne.

J'en ai gardé un très bon souvenir, quelque peu diffus cependant après les années écoulées. J'ai en mémoire un moment de belle littérature.
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Citations et extraits (72) Voir plus Ajouter une citation
La prévalence du style architectural parmi les caractéristiques d'une époque est un des sujets les plus étranges. Après tout, quelle situation privilégiée tout à fait remarquable, les arts plastiques ont-ils reçue à l'intérieur de l'histoire ! Ils ne sont certainement qu'un très mince échantillon dans la foule des activités humaines dont une époque est remplie et, certainement même pas un échantillon très intellectuel, et cependant ils surpassent tous les domaines intellectuels en puissance caractéristique, ils surpassent la poésie, surpassent même la science, même la religion. Ce qui dure à travers les millénaires, c'est l'œuvre d'art plastique, elle reste l'indice de l'époque et de son style.
Cela ne peut pas tenir seulement à la durabilité des matériaux. Parmi les choses qui proviennent de ces derniers siècles, on a conservé du papier écrit, en masse, et cependant, toute statue gothique est plus " moyenâgeuse " que toute la littérature du Moyen Âge. Non, ce serait une très misérable explication ; si une explication est possible, il faut la trouver dans l'essence du concept même de " style ".
Car le style n'est certainement pas une chose qui se limite à la construction ou à l'art plastique : le style c'est quelque chose qui traverse de la même manière toutes les expressions vitales d'une époque. Il serait absurde de parler de l'artiste comme d'un être d'exception, de quelqu'un qui mène une existence particulière à l'intérieur du style et qui produit celui-ci, alors que les autres en sont exclus.
Non, s'il existe un style, toutes les expressions vitales en sont pénétrées. Le style d'une période est tout aussi présent dans sa pensée que dans toute action qui est implantée par les hommes de cette période. Et c'est seulement cette donnée, nécessairement telle, parce qu'il ne peut en être autrement, qui permet d'expliquer un fait surprenant : pourquoi ce sont précisément les actions qui se manifestent dans l'espace qui ont pris une signification si extraordinaire, une signification évidente, au vrai sens du mot.
Peut-être serait-il oiseux d'y réfléchir, si derrière ne se cachait pas le problème qui seul légitime toute philosophie : l'angoisse du néant, l'angoisse du temps qui conduit à la mort. Et peut-être toute cette inquiétude inspirée par la mauvaise architecture et qui fait que je me recroqueville dans mon logement, peut-être toute cette inquiétude n'est-elle rien d'autre que cette angoisse. Car, quoi que l'homme fasse, il le fait pour anéantir le temps, pour le supprimer, et cette suppression s'appelle l'espace. Même la musique, qui est uniquement dans le temps et qui remplit l'espace, transmue le temps en espace, et la théorie qui possède la plus grande vraisemblance, c'est que toute pensée s'accomplit dans l'espace, et que le processus de pensée représente un amalgame d'espaces logiques à multiples dimensions, indiciblement compliqués. Mais s'il en est ainsi, on peut également admettre que toutes ces manifestations qui se rapportent immédiatement à l'espace reçoivent en apanage une signification et une évidence sensible, qui n'appartiennent à aucune autre activité humaine. C'est ce qui éclaire également la signification particulière et symptomatique de l'ornement. Car l'ornement détaché de toute forme utilitaire, bien que celle-ci soit à l'origine de son développement, devient l'expression abstraite, la " formule " de toute la pensée spatiale, devient la formule du style lui-même, et, par là, la formule de toute l'époque et de sa vie.
Et c'est en cela que me semble résider cette signification, que je serais tenté de qualifier de magique, c'est par là, qu'il devient significatif qu'une époque complètement dévolue au trépas et à l'Enfer doive nécessairement vivre dans un style qui n'est plus capable de produire d'ornement.

Troisième partie : 1918, HUGUENAU OU LE RÉALISME : Chapitre XXIV, Dégradation des valeurs (3).
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Cette époque, cette vie, qui se désagrègent, possèdent-elles encore une réalité ? Ma passivité augmente de jour en jour, non pas que je m'use au contact d'une réalité qui serait plus forte que moi, mais parce que partout je me heurte à l'irréel. J'ai absolument conscience que c'est seulement dans l'action que je dois rechercher le sens et l'éthique de ma vie, mais je devine que ce temps n'a plus de temps à consacrer à la seule activité véritable, à l'activité contemplative du philosophe. J'essaye de philosopher, mais où trouver la dignité de la connaissance ? Ne s'est-elle pas depuis longtemps éteinte, face à face avec l'évidence de la désagrégation de son objet ? La philosophie elle-même ne s'est-elle pas dégradée elle-même en vaines paroles ? Ce monde sans essence, monde sans stabilité, monde qui ne peut plus trouver ni conserver son équilibre que dans une vitesse accrue, a fait de son allure forcenée une pseudo-activité pour l'homme, afin de projeter celui-ci dans le néant ; — oh ! existe-t-il plus profonde résignation que celle d'une époque qui n'est plus capable de philosopher ? La méditation philosophique elle-même s'est transformée en un jeu esthétique, un jeu qui n'existe plus, elle s'est fourvoyée dans la rotation stérile des engrenages du mal, c'est une occupation pour bourgeois qui trompent l'ennui de leurs soirées : rien ne nous reste plus que le nombre, rien ne nous reste plus que la loi !

Chapitre LXXII.
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Dans cette anxiété souveraine qui s'empare de chaque homme au sortir de l'enfance, à l'heure où le pressentiment l'envahit qu'il faudra marcher seul, tous ponts coupés, au rendez-vous de sa mort sans modèle, dans cette extraordinaire anxiété qu'il faut bien déjà nommer un effroi divin, l'homme cherche un compagnon afin de s'avancer avec lui, la main dans la main, vers le porche obscur, et pour peu que l'expérience lui ait appris quel délice il y a sans conteste à coucher auprès de son semblable, le voici persuadé que cette très intime union des épidermes pourra durer jusqu'au cercueil. Aussi, quelque rebutantes que soient certaines apparences, car l'on opère entre deux draps de toile grossière et mal aérés ou parce que l'on peut croire qu'une fille ne considère peut-être dans l'homme que le moyen d'assurer ses vieux jours, qu'on veuille bien ne jamais oublier que tout membre de l'humanité, même s'il a le teint jaunâtre, même s'il est anguleux et petit et marqué en haut à gauche d'un défaut de dentition appelle de ses cris cet amour qui doit pour l'éternité le ravir à la mort, à une peur de la mort qui redescend chaque soir avec la nuit sur la créature dormant dans la solitude.
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Pour le marchand du Moyen Âge, le principe " les affaires sont les affaires " était sans valeur, la concurrence était pour lui quelque chose de prohibé, l'artiste du Moyen Âge ne connaissait pas " l'art pour l'art ", mais seulement le service de la foi, la guerre du Moyen Âge ne réclamait la dignité d'une cause absolue que lorsqu'elle était faite au service de la seule valeur absolue : au service de la foi. C'était un système total du monde reposant dans la foi, un système monde relevant de l'ordre des fins et non pas des causes, un monde entièrement fondé dans l'être et non dans le devenir, et sa structure sociale, son art, ses liens sociaux, bref toute sa charpente de valeurs étaient soumises à la valeur vitale de la foi, qui les comprenait toutes ; la foi était le point de plausibilité constituant l'aboutissement de toute chaîne de questions ; c'était elle qui, imprégnant la logique, lui conférait cette nuance spécifique et cette force de stylisation qui s'exprime sans cesse, tant que la foi demeure vivante, dans le style de l'époque et non seulement dans le style de la pensée.
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Voici la grande question : comment l'individu (...) peut-il concevoir l'idéologie et la réalité de la mort et s'y conformer ? On peut répondre que cela en tout cas n'est pas vrai pour la grande masse, et qu'elle y a seulement été contrainte : c'est peut-être exact en ce moment, où il existe une lassitude de la guerre, mais il y a eu et il y a, même encore aujourd'hui, un véritable enthousiasme pour la guerre et pour les armes à feu. On peut répondre que l'homme moyen dont la vie s'écoule entre la mangeoire et le lit ne possède en général aucune idéologie et qu'il était donc possible de le gagner sans difficulté pour l'idéologie de la haine.
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