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Benoît Coeuré (Traducteur)
EAN : 9782070728930
116 pages
Gallimard (22/01/1993)
4.29/5   26 notes
Résumé :
la lente avancée du bateau à travers la nuit était comme le passage d'une pensée cohérente à travers le subconscient.Des deux côtés, baignant dans l'eau d'encre, se dressaient les énormes coffres sculptés de sombres palazzi remplis d'insondables trésors- de l'or assurément, à en juger par la faible lueur électrique jaune qui sourdait parfois par les fentes des volets.
L'atmosphère de tout cela était mythologique, cyclopéenne pour être précis: j'étais entré d... >Voir plus
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Acqua Alta est le plus beau livre que j'ai jamais lu sur Venise, une ville qui m'a toujours fascinée, quelque soit la saison, sous le soleil, sous la pluie, la brume, le vent, vide, affolée…. Brodsky en cent pages nous en fait une esquisse sublime au réalisme magique de son image imprégnée dans son âme à travers dix-sept hivers qu'il y a passé durant divers séjours.
Brodsky et Venise un couple insolite, le premier poète russe, prix Nobel de Littérature 1987 , le deuxième un songe baroque aux palais oubliés par le temps, immergés dans l'eau, l'eau son sang où bat son coeur.
C'est ma cinquième lecture de ce petit bijou littéraire, mais cette fois-ci lu dans sa version italienne publiée en 1989 dans une édition non commerciale , première édition publique dans le monde auquel l'auteur y a fait quelques ajouts , et son titre un peu différent de l'original anglais « Watermark », en français « Acqua Alta », en italien «  Fondamenta degli incurabili », la danse des titres 😊. le titre italien se réfère au nom d'un hôpital à Venise, qui accueillait principalement des gens malades de la syphilis mais aussi des personnes aux maladie incurables. Ce titre choisi par l'auteur renvoie au sens figuré à la mémoire d'une souffrance lointaine ressentie proprement par le poète lui-même, où le destin psychologique et physique sont liés à un mal constant celui de l'exil.
Brodsky est mort à NewYork en janvier 1996, mais il repose désormais à Venise sur l'île de San Michele, un amour à la vie, à la mort. Qu'il repose en paix, Venise est toujours intact, et les promoteurs n'y ont encore pas fait de ravages comme il en avait la peur il y a trente ans.

« …l'amour est une liaison entre une réflexion et son objet ».
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Acqua Alta est un court essai de Joseph Brodsky, l'un de ses derniers, publié en 1992 et écrit directement en anglais.

Brodsky y fait une déclaration d'amour à cette ville, qu'il évoque d'une manière précise et en même temps fluide, fluide comme l'eau, élément principal de Venise, et visiblement très important pour Brodsky. Même si l'auteur évoque des lieux emblématiques, voire touristiques de la ville (le texte se clôt au café Florian) la Venise de Brodsky n'est pas forcément celle des touristes : il préfère y aller en hiver, lorsque la foule, la chaleur, le soleil, les couleurs éclatantes ne sont plus là. D'une certaine manière, Venise ressemble plus dans ces moments-là à la ville natale de Brodsky, Saint-Pétersbourg.

Brodsky traque la beauté de Venise dans l'espace, en arpentant ses rues, ses places, en prenant le bateau, mais aussi dans le temps, en explorant par exemple les pièces inoccupées d'un palais vénitien. Il y a les livres qui évoquent Venise, comme par exemple, un roman d'Henri de Régnier, et il y a aussi les tableaux, tant l'oeil semble primordial dans ce lieu. Tout cela dans une belle écriture, d'une manière discursive, et néanmoins ordonnée.

Un très beau voyage.
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Publié en 1992, ce long poème en prose forme une peinture amoureuse, parfois érotique, de Venise, sirène sinueuse aux odeurs d'algues glacées, depuis la première arrivée de Joseph Brodsky en gare de Venise lors d'une nuit froide de décembre, juste après son expulsion d'Union Soviétique en 1972, inaugurant une longue série d'incursions dans la ville chaque hiver pendant dix-sept années.

Loin des hordes de touristes qui envahissent Venise à partir du printemps, cette méditation sur la beauté de pierre et d'eau de la ville, sur l'immobilité somptueuse des édifices et des statues face à l'anarchie des flots laisse entrevoir les correspondances avec Saint-Pétersbourg, la ville d'origine du poète.

«La lente avancée du bateau à travers la nuit était comme le passage d'une pensée cohérente à travers le subconscient. Des deux côtés, baignant dans l'eau d'encre, se dressaient les énormes coffres sculptés de sombres palazzi remplis d'insondables trésors – de l'or assurément à en juger par la faible lueur électrique jaune qui sourdait parfois parmi les fentes des volets. L'atmosphère de tout cela était mythologique, cyclopéenne pour être précis : j'étais entré dans cet infini que j'avais contemplé sur les marches de la stazione et voilà que je passais au milieu de ses habitants, devant une troupe de cyclopes endormis reposant dans l'eau noire et qui, de temps en temps, se dressaient et soulevaient une paupière.»

L'oeil de Brodsky capte les couleurs changeantes de Venise, depuis les brumes du matin lorsqu'elle prend «des allures de porcelaine», en passant par l'exploration crépusculaire des innombrables pièces en enfilade d'un palazzo, jusqu'aux profondeurs de la nuit où la ville tout entière «est comme un orchestre gigantesque avec les pupitres faiblement éclairés des palazzi, le choeur incessant des vagues et le falsetto d'une étoile dans le ciel d'hiver», dans cette ville qui ne doit pas devenir un musée puisqu'elle est déjà une oeuvre d'art.

Porté par la pensée mouvante comme les eaux de Venise et par l'oeil qui capte les beautés de la ville, "Acqua alta" est aussi une méditation sur le temps qui passe et la mémoire, les relations entre inanimé et vivant, entre vie et mort.

«L'oeil acquiert dans cette ville une autonomie comparable à celle d'une larme. La seule différence est qu'il ne se détache pas du corps, mais le soumet tout entier. Au bout d'un certain temps - le troisième ou le quatrième jour – le corps commence à se considérer lui-même comme le simple support de l'oeil, comme une sorte de sous-marin dont le périscope tantôt s'étire, tantôt se rétracte.»
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Pour Joseph Brodsky, Venise est une femme à l'odeur d'algue glacée. Comme il nous le raconte, il découvrit pour la première fois cette ville en hiver, alors que l'odeur de ces algues planait sur les canaux, durant une ballade en gondole aux côtés d'une femme sur laquelle le jeune Brodsky projetait alors tous ses fantasmes, se condamnant à la perdre rapidement de vue, puisqu'il ne la distinguait qu'à travers des rêves de palais cyclopéens peuplés de dorures. En cherchant à atteindre cette femme, il se perdit en lui-même, en ses propres reflets dans l'eau glaciale, et Venise tout entière devint l'objet de son amour, renouvelé au fil des hivers.

C'est d'ailleurs à l'hiver de sa vie que Brodsky publie cette oeuvre, sa dernière, après une vie mouvementée qui l'aura vu changer de langue d'écriture, du russe à l'anglais.

Ici, l'eau de Venise participe de sa langue, relie les différentes périodes de sa vie, et rétablit l'unité en lui d'une façon très paradoxale, car l'eau diffracte et éclate les reflets. Comme la mémoire. Brodsky se retourne sur les innombrables visites à Venise ayant succédé à son périple initial, et retrace la topographie de la ville à grand coups d'ellipses et de métaphores, d'une façon pas très éloignée de celle de Mandelstam évoquant Saint-Pétersbourg dans le Timbre Égyptien : Brodsky partage son art du rapiéçage, dans la mesure où il brouille le temps et l'espace au sein d'une narration néanmoins fluide, semble-t-il impulsée par les idées qui traversent spontanément son esprit. Livré aux méandres et aux rapides de sa pensée, il prend le risque de ne pas être cohérent. Par exemple, quand il prétend ne pas être un esthète mais un simple observateur, j'ai envie de lui répondre : « mon oeil ! », tant l'amour du beau suinte de chaque page de ce livre. Il tient aussi des réflexions que d'aucun trouveraient frivoles, voire condamnables, comme quand il nous dit que si l'on est intelligent, on est un peu décadent à 28 ans (humpf !)

Mais c'est peut-être le manque de pertinence qui permet d'être impertinent, de sortir des canaux trop souvent empruntés par les gondoles touristiques. Il en vient à se vanter de dériver vers le superficiel, de s'intéresser surtout à la surface de la ville (en particulier la surface aqueuse), plus durable selon lui que les intérieurs éphémères, où, incarné par la poussière, le temps se substitue aux habitants et à leurs objets. Un objet étant « ce qui rend l'infini intime ». Ainsi Brodsky a-t-il l'ambition de prendre l'eau pour objet, de se fondre dans quelque chose « d'aussi grand que le temps ». Car l'eau donne forme au temps, et c'est pourquoi elle engloutira un jour Venise, au rythme où vont les choses. Mais voilà, lui était éphémère, et proche de la mort au moment de déclarer son amour à cette ville et à ses eaux. de plus, il n'était pas si superficiel, comme en témoigne son érudition intimidante, dont il joue : j'oserais dire qu'il en fait un peu parade comme au carnaval. Les contradictions traversent ce livre et poussent finalement Brodsky à passer aux aveux en comparant l'incohérence de son oeuvre à celle des rêves, et les rêves à l'Italie, via Anna Akhmatova : « l'Italie est un rêve qui ne cesse de revenir pour tout le reste de la vie ». Mnémosyne accomplit son rôle en lui désignant cette poétesse tutélaire comme symbole de la femme retrouvée. Brodsky peut s'endormir à jamais, dans le cimetière de Venise où il repose maintenant.
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Voilà un livre original, un séjour à Venise hors du commun, une ode, un poème d'amour et de tendresse à une bien aimée, Venise, la cité sortie des eaux. La plume de Joseph Brodsky intelligente et pleine d'humour nous livre un récit magistral qui nous éblouit. On lit ... on relit... c'est l'étonnement puis l'émerveillement. Avec Brodsky on erre, l'hiver, "parce que l'hiver est plus fort"," dans les rues étroites et sinueuses comme des anguilles". On pousse les portes des palazzi, des "chiesa" et à nos côtés il convoque les plus grands noms : la lumière de Giorgione et Bellini, les drapés de Tiepolo et le Titien, la musique de Vivaldi...
"Cette ville est celle de l'oeil : il darde, bat, oscille, plonge, tangue. Sa gélatine à nu s'attardé avec une jubilation atavique sur le reflets des palazzi, des talons aiguilles, des gondoles... Cette ville colle à la peu comme une algue glacée"
Plongez dans Venise et laissez votre oeil vous guider vous ne serez pas déçus !
Un pur bonheur.
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Citations et extraits (25) Voir plus Ajouter une citation
Je suppose toutefois que lorsque l'on revient au lieu de son amour année après année, à la mauvaise saison, sans garantie d'être aimé de retour, on démontre une certaine fidélité. Car comme toute vertu, la fidélité n'a de valeur que tant qu'elle relève plus de l'instinct ou de la manie que de la raison. En outre, à un certain âge, et dans un certain genre d'activité, être aimé de retour n'est pas vraiment indispensable. L'amour est un sentiment désintéressé, une rue à sens unique. C'est pourquoi il est possible d'aimer les villes, l'architecture "per se", la musique, les poètes disparus ou, si on a des dispositions pour cela, une divinité. Car l'amour est une relation entre la réflexion et son objet. C'est cela, finalement, qui vous attire sans cesse dans cette ville. Les objets, en tout cas, ne posent pas de questions : tant que l'élément existe, leur réflexion est assurée - sous la forme d'un voyageur qui revient ou sous la forme d'un rêve, car les rêves sont la fidélité des yeux clos.
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Voyager sur l'eau, même pour de courts trajets, a quelque chose d'essentiel. Vous savez que vous ne devriez pas vous trouver là, tant par les yeux, les oreilles, le nez, le palais ou la paume que par les pieds qui trouvent étrange de fonctionner comme un organe des sens. L'eau remet en question le principe d'horizontalité, surtout la nuit, quand sa surface ressemble à une chaussée... Sur l'eau, votre sens de l'autre se fait plus subtil, comme s'il était affiné par un danger que vous courez l'un et l'autre et aussi bien que l'un par l'autre. Perdre le cap est une notion aussi bien psychologique que nautique.
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Les soirs d’hiver, la mer, gonflée par un vent d’est contraire remplit à ras bord les canaux et parfois les fait déborder. La ville se retrouve dans l'eau à la cheville et les bateaux, attachés comme des animaux aux murs, pour citer Cassiodore, piaffent. Ayant goûté de l'eau, le soulier du pèlerin sèche sur le radiateur de la chambre d'hôtel; l'indigène plonge dans son placard pour y pêcher sa paire de bottes en caoutchouc. Acqua alta dit une voix à la radio, et le trafic humain descend au-dessous de l'étiage.
Les rues se vident; boutiques, bars, restaurants et trattorias baissent leur rideau. Seules les enseignes restent allumées, s’autorisant enfin un peu de narcissisme tandis que le pavé fait un instant, superficiellement, concurrence aux canaux.
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C’était une nuit de vent, et avant même que ma rétine ait enregistré quoi que ce soit, je fus submergé par une sensation de bonheur total : mes narines étaient frappées de ce qui en a toujours été pour moi le synonyme, l’odeur des algues glacées. Pour certains, c’est l’herbe fraîchement coupée ou le foin ; pour d’autres les senteurs de Noël : aiguilles de pin et mandarines. Pour moi, ce sont les algues glacées – en partie à cause de la sonorité de l’expression elle-même, quasiment une onomatopée (en russe, algues est un mot superbe, vodorosli), en partie à cause de la vague incongruité et du drame subaquatique que suggère cette notion. Il est des éléments dans lesquels on se reconnaît ; à l’époque où je respirais cette odeur sur les marches de la stazione, cela faisait beau temps que drames cachés et incongruités étaient devenus mon fort.
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Ah, the good old suggestive power of language! Ah, this legendary ability of words to imply more than reality can provide! Ah, the lock, stock, and barrel of the métier. Of course, the "Embankment of the Incurables" harks back to the plague, to the epidemics that used to sweep this city half clean century after century with a census taker's regularity. The name conjures the hopeless cases, not so much strolling along as scattered about on the flagstones, literally expiring, shrouded, waiting to be carted---or, rather, shipped away. Torches, fumes, gauze masks preventing inhalation, rustling of monks' frocks and habits, soaring black capes, candles. Gradually the funereal procession turns into a carnival, or indeed a promenade, where a mask would have to be worn, since in this city everybody knows everybody. Add to this, tubercular poets and composers; add to this, men of moronic convictions or aesthetes hopelessly enamored of this place---and the Embankment might earn its name, reality might catch up with language. And add to this that the interplay between plague and literature (poetry in particular, and Italian poetry especially) was quite intricate from the threshold. That Dante's descent into the netherworld owes as much to Homer's and Virgil's---episodic scenes, after all, in the Iliad and the Aeneid---as to Byzantine medieval literature about cholera, with its traditional conceit of premature burial and subsequent peregrination of the soul. Overzealous agents of the netherworld bustling around the cholera-stricken city would often zero in on a badly dehydrated body, put their lips to his nostrils, and suck away his life spirit, thereby proclaiming him dead and fit to be buried. Once underneath, the individual would pass through infinite halls and chambers, pleading that he has been consigned to the realm of the dead unjustly and seeking redress. Upon obtaining it---usually by facing a tribunal presided over by Hippocrates---he would return full of stories about those he had bumped into in the halls and chambers below: kings, queens, heroes, famous or infamous mortals of his time, repentant, resigned, defiant. Sounds familiar? Well, so much for the suggestive powers of the métier. One never knows what engenders what: an experience a language, or a language an experience. Both are capable of generating quite a lot. When one is badly sick, one imagines all sorts of consequences and developments which, for all we know, won't ever take place. Is this metaphoric thinking? The answer, I believe, is yes. Except that when one is sick, one hopes, even against hope, to get cured, the illness to stop. The end of an illness thus is the end of its metaphors. A metaphor---or, to put it more broadly, language itself---is by and large open-ended, it craves continuum: an afterlife, if you will. In other words (no pun intended), metaphor is incurable. Add then to all of this yourself, a carrier of this métier, or of this virus---in fact, of a couple of them, sharpening your teeth for a third---shuffling on a windy night along the Fondamenta, whose name proclaims your diagnosis regardless of the nature of your malady.
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Videos de Joseph Brodsky (4) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Joseph Brodsky
Joseph BRODSKY – Poète russe, Citoyen américain (DOCUMENTAIRE, 1989) Un documentaire de Christophe de Ponfilly et Victor Loupan diffusé le 6 mars 1989 sur France 3. Participants : Mikhail Barychnikov, Susan Sontag, Derek Walcott, Alexandre Guinzbourg et le poète en personne.
Dans la catégorie : Littérature russeVoir plus
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