AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Lucilou


"Jane Eyre, oh, c'est pas un peu cucul la praloche?", "oh ces pavés du XIX°siècle, ça a mal vieilli", "non mais en fait, tu nous fais l'éloge du Harlequin façon 1840".
Non. Non. Et encore non. Non mais!
Je ne comprends pas pourquoi cette image rose vichy colle encore tant au chef d'oeuvre de Charlotte Brontë. Voilà pourtant plus haut ce qu'à peu près certains m'ont dit alors que j'entreprenais de vanter les qualités de l'orpheline la plus célèbre de la littérature anglaise...
Je dois tout de même avouer en préambule de cet avis que oui, il se pourrait bien que dans le clan Brontë, j'ai une préférence marquée pour Emily. Qu'en effet, je préfère "Les Hauts de Hurlevent" aux autres ouvrages de la fratrie. Qu'évidemment Heatcliff est plus troublant, plus fascinant que Rochester. Mais quand même, j'aime beaucoup Jane Eyre et ça m'embête de l'entendre traiter d'héroïne colombine.
Jane est une orpheline élevée à contrecoeur par sa tante -du moins, l'épouse de son oncle, ainsi qu'elle tient à le préciser- et soumise aux brimade et à la maltraitance de ses cousins. La gamine, qui n'est ni très jolie, ni docile finit par se révolter et s'en prend à son affreux cousin. Elle gagne alors un aller sans retour pour une pension pour jeunes filles qui ressemble à l'enfer autant qu'à l'école où étudièrent Charlotte et ses soeurs. Quand on sait que deux petites Brontë y moururent dans d'atroces conditions, cela fait froid dans le dos... Si Jane ne traverse pas cette période sans brimades, elle y expérimente les douceurs de l'amitié et la cruauté du deuil. Ces différentes étapes, dignes d'un roman d'apprentissage, en feront une jeune femme mûre, raisonnable et ayant à coeur de faire taire les éclats de passion qui lui viennent parfois.
Engagée comme gouvernante dans l'inquiétant manoir de Thornfield, elle ne tarde pas à faire la conquête de son élève, la petite Adèle et à rencontrer le maître des lieux. Rochester n'est pas beau et il a beau être à cheval le jour de sa rencontre avec Jane, il n'a rien d'un prince charmant. S'il n'a pas la blondeur aristocratique d'un Apollon, il a bien plus en vérité: un charme luciférien, du magnétisme, des yeux ardents. Héros ténébreux s'il en est, le seigneur des lieux emprunte beaucoup à lord Byron...
L'histoire d'amour est tourmentée, intense et se verra couronnée par un mariage dont Jane peine à réaliser l'imminence.
Et puis, il y a ces bruits la nuit qu'elle croyait avoir rêvé, oublié.
Ces cris qui glacent le sang.
Ce voile de mariée qu'on croirait cousu par les fées qu'elle retrouve déchirée. Et l'orage. Et la chute de l'arbre sous lequel ils s'étaient dits qu'ils s'aimaient. le mariage n'aura pas lieu. Les noirs secrets du domaine, les fantômes auront raison de lui et quand Thornfield brûlera dans un feu d'enfer, Jane reprendra la route... Pourtant après bien des épreuves, quand elle sera plus forte, elle retrouvera celui qu'elle ne cessera jamais d'aimer, changé à jamais.
Il y a plusieurs choses d'absolument géniale dans Jane Eyre: l'une des premières est le talent avec lequel Charlotte Brontë s'empare des poncifs du roman gothique (la jeune orpheline, le feu purificateur, le château effrayant, l'aristocrate brutal aussi attirant qu'inquiétant, les fantômes) pour proposer une histoire d'amour magnifique, profonde, tourmentée mais sans une once de mièvrerie. Par ailleurs là où les romans gothiques et sentimentaux ne faisaient de leurs héroïnes que de blondes victimes angéliques, Charlotte Brontë nous offre Jane: une héroïne toute neuve, pas très jolie et parfaitement imparfaite. Si au cours de son enfance, elle subit, cela la révolte et elle s'attache ensuite à être actrice de son destin, de sa vie. Pour l'époque, ce n'était pas rien. de plus, le roman est écrit à la première personne et c'est Jane qui se raconte, qui nous raconte son histoire. Ainsi, nous sommes plongées dans ses pensées intimes, ses sentiments et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle ne les censure pas. Elle ne cache ni sa révolte, ni ses colères, ni ses sentiments et n'hésite pas à dénoncer les conditions de sa vie d'orpheline puis de femme. Ce n'est peut-être pas encore du féminisme mais cela s'en rapproche. Jane Eyre donne la voix aux héroïnes, enfin!
Enfin, il y a la complexité des personnages: Jane bien entendu mais surtout Rochester qu'on déteste autant qu'on aime, Sire Rivers -qui me met toujours très très mal à l'aise-, Mme Reeds...
Et puis la beauté de la langue, ce romantisme un peu sauvage, un peu mystique où la nature se déchaîne en de sublimes tempêtes, de concert avec la brutalité des sentiments qui écrasent et étouffent les personnages. Jane Eyre est certes un roman d'amour magnifique, mais un roman d'amour brutal, violent où la rédemption se fait attendre. C'est aussi un roman singulier sur l'individu et sur la difficulté à être soi-même dans une société corsetée. Un roman pluriel donc où la passion éclate comme un orage. Garanti sans pétales de roses ni bain moussant.
Commenter  J’apprécie          212



Ont apprécié cette critique (19)voir plus




{* *}