Criminal, Tome 3 : Morts en sursis

La mort sonne parfois deux fois.
Une seconde chance en enfer.
Walter Hyde et Clevon Brown font la paire et la loi dans le milieu de la pègre. Proches dans la vie et le business, les deux mafieux voient leurs deux fils grandir ensemble sans que la couleur de la peau ne fasse de différence. Jack Brown est un athlète noir désireux de faire carrière dans la boxe. Sebastian Hyde vise la succession paternelle. Tous les coups sont permis et donnés. Jack en pince pour Danica Briggs, devenue serveuse dans un bar clandestin mais entre eux, un passé lourd a plombé leurs existences.
Un loup parmi les loups.
Teegar Lawless est revenu traumatisé de la guerre du Vietnam. A travers son regard, les morts semblent se superposer aux vivants. Il fuit sa famille et s'enferre dans l'alcool, la drogue et le sexe, le tout frelaté. Lawless doit une somme d'argent emprunté avant guerre à Barber, le caïd du coin qui tient un casino illégal. Avec les intérêts, la dette s'élève à quinze mille dollars et Lawless ne roule pas sur l'or. S'il ne veut pas que toute sa famille y passe, il va devoir tenter un gros coup car il dispose de quinze jours avant que ses deux jeunes fils ne soient liquidés.
Trouver la femme.
Danica Briggs croyait au grand amour avec Sebastian Hyde mais le père, pourri jusqu'au tréfonds de l'âme, a vite mis fin à l'idylle en la faisant avorter sauvagement. Une négresse pour belle-fille était impensable pour Hyde père mais Danica a fini par ourdir un plan de vengeance qui va entraîner des meurtres en chaîne.
Ed Brubaker est un scénariste américain multi primé. Avec la série Criminal, il livre un ensemble d'histoires qui se répondent d'un volume à l'autre sans pour autant respecter la chronologie. Dans le 3e volume, il conçoit son récit en trois parties, vu par trois personnages différents. La dernière partie, en narrant l'histoire tragique de Danica, apporte la cohérence à l'ensemble. Brubaker mouline les poncifs du genre et rend une copie plausible, percutante et poisseuse. le dessin de Sean Phillips est puissamment charpenté, ossu d'ombres et la mise en couleur de Val Staples accentue les atmosphères glauques, verdies de néons blafards.

Malgré les allures de one-shot des deux premiers volets, chaque nouveau tome produit par le duo Ed Brubaker et Sean Phillips contribue à développer l'univers de "Criminal".

On retrouve à chaque fois cet environnement très terre-à-terre, au sens moral ambigu et rythmé par les magouilles et alliances fragiles. L'ambiance est sombre et pessimiste, le quotidien est celui du Milieu et le casting, sorti des bas-fonds d'une grande ville américaine, passe son
temps à flirter avec les règles du Milieu : celles qui permettent de rester en vie !

Les récits ont beau être totalement indépendants, le lecteur croise cependant chaque fois certains personnages des tomes précédents. Ce troisième album permet ainsi de retrouver le très attachant Jake «La Grogne» Brown dans la fleur de l'âge, avant qu'il ne devienne le barman boiteux de l'Undertown. Mais il permet également de découvrir le passé de Teegar Lawless, le père du personnage central de tome précédent : Tracy Lawless. On croise même Rick, le petit frère, dont Tracy voulait venger la mort dans le tome deux.

Il faut également souligner la construction maitrisée de cette histoire et la narration irréprochable de Brubaker. Les dialogues réalistes et cette narration en voix-off qui puise dans les pensées les plus sombres des protagonistes, font souvent mouche et installent cette série comme l'une des références en matière de polar US. La construction en trois chapitres, un par protagoniste, qui finissent par se rejoindre autour d'une trame commune est diablement efficace. Un récit choral qui invite à suivre séparément le passé de la Grogne, de Teegar Lawless et de Danica, la femme qui lie toutes ces destinées au fil des pages.

Le dessin est réaliste, l'encrage solide, le jeu d'ombres approprié et la colorisation de Val Staples colle parfaitement au décor et contribue à faire ressortir la noirceur du récit et des personnages. Sean Philips ("Sept", "Sleeper", ...) continue donc à livrer de l'excellent boulot.

Du polar haut de gamme !