Iouri Bouida commence à être un de mes auteurs familiers, ayant attaqué son cinquième livre sur un sujet qui sort de son univers particulier. C'est une minutieuse biographie critique d'un écrivain russe né à Saint-Pétersbourg en 1914, exilé en Amérique... et imaginaire. Il nous a concoctés un portrait d'homme de lettre fascinant sur mesure, au centre d'une vaste réflexion sur la création.
Ratissant large dans le monde littéraire,
Yermo lui sert de base de référence pour ses réflexions et critiques littéraires. Par exemple, parlant de
Dante pour l'oeuvre duquel
Yermo se passionne, il cite deux auteurs qui se montrent impitoyables envers l'auteur de
la Divine Comédie. Pour Bounine un bonhomme “au visage émacié , avec son bonnet de bonne femme”, de même que pour
Nabokov un “
Dante au visage aigu coiffé d'un bonnet de bain “. Tous deux connaissant fort mal
Dante, ce qui est apparemment le propre des auteurs russes. À partir de là d'une étonnante érudition, il développe cet mal compréhension, qui n'est apparemment pas seul propre aux écrivains russes.
Yermo « dont le premier mot prononcé en venant au monde était une langue que personne ne connaissait. Une langue qu'il va passer toute sa vie à essayer de comprendre», semble son alter-ego, mais à mon avis il n'en est pas, à part certaines de ses pensées notamment sur la langue, qu'il lui attribue, vu qu'il confesse « Moi, mes "citations" m'ont forcé à créer une langue imbécile, puis à la fouetter pour qu'elle aille plus vite : le cheval a besoin d'être fouetté jusqu'au moment où il atteint un nouveau sens. de toute façon, je n'ai pas d'autre cheval *!». Poussant le bouchon encore plus loin, insérant des extraits des romans de
Yermo, ou des citations de ses biographies fictives, il nous plonge dans des mises en abyme vertigineuses.
La quatrième de couverture parle d'un hommage à
Nabokov, dont je doute fort , car Bouida n'aimait pas
Nabokov. À ce propos , il dit , « «Il n'a écrit qu'un seul bon livre,
Lolita, surtout la dernière partie. Moi, j'ai voulu parler des rapports d'un homme et de sa femme folle. La réalité soviétique m'en empêchait. Je l'ai donc exilé aux Etats-Unis, où je ne suis jamais allé. Et, comme j'avais peur de coïncider avec lui, je l'ai distancié. J'ai écrit cela au moment où la vogue des écrivains émigrés devenait un peu grotesque. Soudain, c'était comme si nous avions caché nos plus grands trésors littéraires. Nous ne pouvions lire
Nabokov, certes, mais nous pouvions lire
Dante.»
« Parler des doubles et des miroirs, c'est parler de la création artistique et de l'artiste» dit
Yermo, attestant ainsi que ce texte est bel et bien une vaste réflexion sur la création et sur l'écrivain. Un roman virtuose à multiples tiroirs où Bouida en vrai imposteur utilise
Yermo à toutes les sauces pour son propre plaisir dans ses courses équestres *😁! Parfois la sauce tourne un petit peu à l'aigre faisant de
Yermo une caricature. Est-elle voulue ? Je n'en suis pas sûr , car la texture du texte change. Mais Bouida étant pour moi un grand écrivain, on peut passer sur ce bémol……Et puis il y a aussi Venise, cette ville magique dont tous les poètes , écrivains russes raffolent, Brodsky, Tarkovski …et
Yermo !
Ce n'est pas le meilleur que j'ai lu de lui mais sans aucun doute il intéressera ses aficionados, nombreux sur ce site 😁!
« En Russie, seul l'humour fait trembler le diable ».