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EAN : 9782070210909
31 pages
Gallimard (30/11/-1)
3.89/5   9 notes
Résumé :
"Erewhon" - anagramme de Nowhere : nulle part - est essentiellement un recueil d'essais humoristiques et satiriques reliés par une fiction romanesque. «C'est donc une Utopie, affirme Larbaud, plus exactement : un voyage dans un pays imaginaire ; et par là - par sa forme - il descend en ligne directe des "Voyages de Gulliver", de Swift.».
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Erewhon, anagramme de nowhere, dit assez devant quel type d'ouvrage nous sommes : il s'agit d'un roman utopique et satirique - donc à portée philosophique, et aux moyens humoristiques, dans la digne lignée des Voyages de Gulliver de Jonathan Swift.

Le narrateur est un colon assez fat, partit chercher fortune dans un pays reculé en y élevant du bétail. On nous préviens dès le début que cette recherche se solda par un échec, mais qu'il y fit de grandes et inestimables découvertes pouvant lui être bien plus profitables. Pour cela, il lui faut se procurer une conséquente somme d'argent, que la publication du témoignage de son voyage pourrait être à même de lui fournir, à condition qu'il reste suffisamment évasif sur les détails géographiques pour éviter qu'un mal attentionné lui coupe l'herbe sous le pied. En rapprochant les éléments biographiques de la vie de Samuel Butler, on peut estimer que le lieu imaginaire ressemble furieusement à la topographie si particulière de la Nouvelle-Zélande. le narrateur n'est pas à proprement parlé sympathique : c'est un être très satisfait de lui-même, ridicule dans ses prétentions de colon à se faire missionnaire auprès de cette peuplade d'un pays inconnu, qu'il prend pour les tribus perdues d'Israël, tout en étant très cynique dans l'espoir avoué d'en tirer profit et lucre. Il est en somme l'incarnation du regard condescendant et pudibond de l'homme dit civilisé, conformiste, digne échantillon britannique du Colonial Empire, sûr de sa force, de son droit, de la supériorité de sa morale et de ses principes sur ces hommes dans leur primitif état de nature. Il est vrai qu'il se trouve en face de curieux us et coutumes dans cette contrée, étrange univers à la morale inversée où être porteur d'une montre est hautement blâmable, le fait d'être malade durement condamné de prison, tout comme la pauvreté, où l'aveu d'une mauvaise humeur vous attire d'aimables condoléances, où les actes que l'on qualifierait de délits sont considérés comme un accès de maladie morale qu'on soigne avec humanité, où être victime est répréhensible comme constituant un trouble à l'ordre publique, et le fait d'être blond aux yeux bleus vous offre un brevet d'authentique aristocrate!

Ce roman contient donc une critique sous-jacente de la société britannique de son époque, de son hypocrisie, de son matérialisme âpre et de son utilitarisme peu scrupuleux, grâce à l'exposition d'un univers onirique et absurde. C'est aussi une mise en garde contre les prophètes de toutes espèces et les philosophies insidieuses, de l'absurdité, de la stérilité et de la destruction qui menacent dans l'aveugle obéissance aux raisonnements abstraits.
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Cet ouvrage est un conte philosophique, ou plutôt une compilation de contes ayant chacun une thématique propre : religion, éducation, argent, technique, ...

C'est d'ailleurs comme ça que Butler a écrit Erewhon (en passant c'est l'anagramme non pas de "Nowhere" comme c'est usuellement interprété mais plutôt de "Now here", car il s'agit bien d'une critique de la société de l'époque de l'auteur, ici et maintenant, l'empire anglais de l'ère victorienne), l'intrigue n'a été ajoutée qu'après coup pour servir de liant, et c'est là le point faible, mais c'est tout à fait accessoire.

Le livre des machines (qui couvre 3 chapitres et une quarantaine de pages) est vraiment le point d'orgue du livre, ce qui lui donne toute sa force et son actualité. Il s'agit là aussi de la reprise et de l'extension d'un article que Butler avait écrit quelques années plus tôt (en 1863), "Darwin parmi les machines", une sorte de prolongement de la théorie de Charles Darwin sur l'évolution et la sélection naturelle, mais appliquée aux machines.
Ces pages (qui ont pu faire sourire à l'époque et maintenant encore) ont une portée philosophique et sociologique majeure. Butler est une sorte de visionnaire qui a perçu avant tout le monde (au niveau matériel et pas seulement métaphorique comme Mary Shelley) le fonctionnement et la direction prise par ce que Jacques Ellul nommera "le système technicien". A l'heure des robots et de l'IA, il faut lire ou relire ces chapitres (le reste a aussi son intérêt, notamment sur l'argent, la religion, l'art), cela donne du recul et un surplomb sur ce qui est en train de se passer.

Sur le plan de la philosophique de la technique (thématique majeure en philosophie, mais que la quasi totalité des philosophes contemporains sous-estiment ou en sont restés à la fausse hypothèse de la technique comme outil neutre), toutes les bases des mécanismes de l'évolution de la technique sont présentes et bien illustrées par des exemples concrets, c'est frappant pour qui a lu Gilbert Simondon (du mode d'existence des objets techniques), on retrouve les 3 niveaux et leurs interactions : composants, machines, systèmes. Je ne sais pas si Simondon qui écrit dans les années 1950 avait lu Erewhon...
On peut aussi dire que Samuel Butler est un précurseur du philosophe davantage connu Günther Anders (l'obsolescence de l'homme, écrit lui aussi dans les années 1950).
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Conte philosophique dans la lignée de Swift qui joue sur la dystopie pour mieux critiquer et questionner les travers de la société britannique d'alors. Les idées originales et fortes développées durant ce délicieux livre prime bien évidemment sur l'histoire qui, elle, reste un prétexte.
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Citations et extraits (31) Voir plus Ajouter une citation
Voici donc ce que j'appris. Dans ce pays, si un homme tombe malade ou contracte une maladie quelconque, ou s'affaiblit physiquement d'une manière quelconque avant soixante-dix ans, il comparaît devant un jury composé de ses concitoyens, et s'il est reconnu coupable il est noté d'infamie et condamné plus ou moins sévèrement selon les cas. Les maladies sont classées en crimes et délits comme les violations de la loi chez nous : on est puni très sévèrement pour une maladie grave, tandis que l'affaiblissement de la vue ou de l'ouïe quand on a plus de soixante-cinq ans et qu'on s'est toujours bien porté jusque-là, n'est sujet qu'à une amende ou, à défaut de paiement, à la prison.

Mais si un homme contrefait un chèque ou met volontairement le feu à sa maison, ou s'il vole avec effraction, ou s'il commet toute autre action qui est considérée comme un crime chez nous, dans tous ces cas, ou bien il est mis à l'hôpital et très bien soigné aux frais du public, ou bien, s'il en a les moyens, il fait savoir à ses amis qu'il vient d'être pris d'un violent accès d'immoralité, exactement comme nous faisons quand nous sommes malades, et alors ses amis viennent le voir, pleins de sollicitude, et lui demandent avec intérêt comment cela l'a pris, quels ont été les premiers symptômes, et ainsi de suite, questions auxquelles il répond avec une entière franchise ; car une mauvaise conduite, bien que regardée comme quelque chose d'aussi digne de pitié que la maladie l'est pour nous, et comme l'indication certaine d un dérangement grave chez la personne qui se conduit mal, est pourtant considérée uniquement comme le résultat d une malchance antérieure ou postérieure à la naissance.

Mais le plus étrange de cette affaire c'est que, tout en attribuant les fautes morales à de la malchance soit dans le tempérament qu'on a, soit dans le milieu où on a été élevé, ils refusent d'admettre la malchance comme circonstance atténuante dans certains cas qui en Angleterre n'éveilleraient que de la sympathie ou de la pitié. Tout espèce de guignon, ou même le fait d'avoir été victime d'autrui, est considéré comme une faute contre la société, attendu que ces choses mettent mal à leur aise les personnes qui en entendent parler. Ainsi donc, le fait de perdre sa fortune, ou de perdre un ami très cher qui vous rendait de grands services, est puni presque aussi sévèrement qu'un délit physique.
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Il est curieux de lire les avertissements que les plus sages d'entre eux donnent à ceux qui songent à changer d'existence. Ils leur parlent comme nous parlerions à un prodigue, et avec à peu près autant de succès.

« Naître », leur disent -ils, « est une trahison, un crime capital, dont le châtiment peut fondre sur vous à n'importe quel moment après que la faute a été commise. Il se peut que vous viviez soixante-dix ou quatre-vingts ans ; mais qu'est-ce cela, comparé à l'éternité dont vous jouissez ici? Et même si la peine était commuée, et qu'on vous permît de vivre toujours, vous finiriez par être si horriblement las de la vie que la plus grande marque de clémence qu'on pourrait vous donner serait de vous exécuter.

« Considérez les innombrables risques que vous courez ! naître de parents mauvais, et être instruit dans le vice ! ou naître de parents sots et être nourri de billevesées et d'idées fausses ! ou de parents qui vous considéreront comme une espèce de bien meuble, de propriété, dépendant bien plus d'eux que de vous-même ! Et puis, vous pouvez tomber sur des parents tout à fait antipathiques, qui ne pourront jamais vous comprendre, et qui feront tout leur possible pour vous contrecarrer (comme la poule qui a fait éclore un caneton) et qui ensuite vous traiteront de fils ingrat parce que vous ne les aimerez pas. Ou bien encore vous pouvez tomber sur des parents qui ne verront en vous qu'un être à hébéter pendant qu'il est encore jeune, de crainte qu'il ne leur donne des ennuis plus tard en se permettant d'avoir des désirs et des sentiments personnels.
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J'avoue qu'une fois elle eut presque raison de moi. Elle me demanda ce que je penserais si elle me disait que mon Dieu, dont je venais de lui expliquer la nature et les attributs, n'était que l'expression de la plus haute idée que l'homme puisse se faire de la bonté, de la sagesse, et de la puissance ; qu'afin de donner une idée plus vive d'une notion si grande et si glorieuse l'homme l'avait personnifiée et lui avait donné un nom ; que c'était une conception indigne de la Divinité que de la regarder comme une personne, car ainsi elle ne pouvait plus échapper aux nécessités de l'humanité ; que la seule réalité que les hommes devraient adorer c'était le Divin, partout où ils pourraient le découvrir ; que « Dieu » n'était que la façon dont l'homme exprimait son sentiment du Divin ; que de même que la justice, l'espérance, la sagesse, etc., étaient toutes contenues dans la bonté, de même Dieu était l'expression qui englobait toute bonté et toute puissance bonne ; que les gens ne cesseraient pas davantage d'aimer Dieu s'ils cessaient de croire à Sa personnalité objective qu ils n'auraient cessé d'aimer la justice lorsqu'ils auraient découvert qu'elle n'était pas véritablement une personne ; et même qu ils ne L'aimeraient véritablement jamais jusqu'au jour où ils Le verraient de cette façon.
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La vie, à ce qu'ils affirment, deviendrait intolérable si les hommes n'étaient guidés dans toutes leurs actions que par la raison seule. La raison entraîne les hommes à tracer des limites hâtives et trop précises, et à définir les choses au moyen du langage ; du langage qui, de même que le soleil, fait d'abord croître et dessèche ensuite. Il n'y a de logique que dans les opinions extrêmes, mais elles sont toujours absurdes. Le juste milieu est illogique, mais un juste milieu illogique est préférable à l'absurdité patente des idées extrêmes. Il n'est pas de sottises ni de déraison plus grande que celles qui, en apparence, peuvent se défendre irréfutablement par la raison même, et il n'y a guère d'erreurs auxquelles les hommes ne peuvent être aisément amenés, lorsqu'ils fondent leur conduite sur la seule raison.
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« Inculpé qui comparaissez ici, vous avez été accusé d*un grand crime : celui d'être atteint de phtisie pulmonaire ; et, après un procès impartial fait en présence d'un jury composé de vos concitoyens, vous avez été jugé coupable. Je n'ai rien à dire contre la justice du verdict ; les preuves contre vous sont accablantes, et il ne me reste qu'à prononcer un jugement qui remplisse les intentions de la loi. Ce jugement sera sévère. Ce n'est pas sans douleur que je vois un homme si jeune encore, et dont l'avenir s'annonçait si brillant, conduit à cette situation déplorable par une constitution physique que je ne puis que considérer comme radicalement viciée. Mais votre cas à vous n'est pas digne de compassion : ce n'est pas là votre première faute : vous avez vécu une vie de crimes, et n'avez mis à profit l'indulgence avec laquelle on vous a traité plusieurs fois déjà, que pour enfreindre encore plus gravement les lois et les institutions de votre pays. L'année dernière vous avez été reconnu coupable de bronchite aiguë ; et je constate que, malgré que vous n'ayez que vingt-trois ans, vous avez été condamné jusqu'à quatorze fois pour des maladies d'un genre plus ou moins odieux ; enfin, il n'y a pas d'exagération à dire que vous avez passé la plus grande partie de votre existence dans les prisons.
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