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Citations sur Le Désert des Tartares (208)

Juste à cette époque, Drogo s'aperçut à quel point les hommes restent toujours séparés l'un de l'autre, malgré l'affection qu'ils peuvent se porter ; il s'aperçut que, si quelqu'un souffre, sa douleur lui appartient en propre, nul ne peut l'en décharger si légèrement que ce soit ; il s'aperçut que, si quelqu'un souffre, autrui ne souffre pas pour cela, même si son amour est grand, et c'est cela qui fait la solitude de la vie.
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Le soir même le lieutenant Morel conduisit en cachette Drogo sur le chemin de ronde pour lui permettre de voir le désert. Et Drogo pu contempler le monde du septentrion, la lande inhabitée à travers laquelle, disait-on, les hommes n'étaient jamais passés. Jamais, de par-là, n'était venu l'ennemi, jamais on n'y avait combattu, jamais rien n'y était arrivé.

Plus tard, seul dans sa chambre, Drogo comprenait ce qu'était la solitude et il pensait aux factionnaires qui, à quelques mètres de lui, marchaient de long en large, tels des automates, sans s'arrêter jamais pour reprendre haleine. Ils étaient des dizaines et des dizaines à être réveillés, ces hommes, tandis que lui était étendu sur son lit, tandis que tout semblait plongé dans le sommeil. Des dizaines et des dizaines, se disait Drogo, mais pour qui, pour quoi ?
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Le temps passait, toujours plus rapide ; son rythme silencieux scande la vie, on ne peut s' arrêter même un seul instant, même pas pour jeter un coup d'oeil en arrière. " Arrête ! Arrête ! " voudrait-on crier, mais on se rend compte que c'est inutile. Tout s'enfuit, les hommes, les saisons, les nuages ; et il est inutile de s'agripper aux pierres, de se cramponner au sommet d'un quelconque rocher, les doigts fatigués se desserrent, les bras retombent inertes, on est toujours entraîné dans ce fleuve qui semble lent, mais qui ne s'arrête jamais
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Cela semblait hier, et pourtant le temps avait tout de même passé, à son rythme immuable, identique pour tous les hommes, ni plus lent pour ceux qui sont heureux, ni plus rapide pour les malchanceux.
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Drogo comprit qu'une génération entière s'était entre-temps écoulée, qu'il avait maintenant dépassé le sommet de son existence, qu'il était maintenant arrivé du coté des vieux
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Jusqu’alors, il avait avancé avec l’insouciance de la première jeunesse, sur une route qui, quand on est enfant, semble infinie, où les années s’écoulent lentes et légères, si bien que nul ne s’aperçoit de leur fuite. On chemine placidement, regardant avec curiosité autour de soi, il n’y a vraiment pas besoin de se hâter, derrière vous personne ne vous presse, et personne ne vous attend, vos camarades aussi avancent sans soucis, s’arrêtant souvent pour jouer. Du seuil de leurs maisons, les grandes personnes vous font des signes amicaux et vous montrent l’horizon avec des sourires complices ; de la sorte, le cœur commence à palpiter de désirs héroïques et tendres, on goûte l’espérance des choses merveilleuses qui vous attendent un peu plus loin ; on ne les voit pas encore, non, mais il est sûr, absolument sûr qu’un jour on les atteindra.

Est-ce encore long ? Non, il suffit de traverser ce fleuve, là-bas, au fond, de franchir ces vertes collines. Ne serait-on pas, par hasard, déjà arrivé ? Ces arbres, ces prés, cette blanche maison ne sont-ils pas peut-être ce que nous cherchions ? Pendant quelques instants, on a l’impression que oui, et l’on voudrait s’y arrêter. Puis l’on entend dire que, plus loin, c’est encore mieux, et l’on se remet en route, sans angoisse.

De la sorte, on poursuit son chemin, plein d’espoir ; et les journées sont longues et tranquilles, le soleil resplendit haut dans le ciel et semble disparaître à regret quand vient le soir.

Mais, à un certain point, presque instinctivement, on se retourne et l’on voit qu’un portail s’est refermé derrière nous, barrant le chemin de retour. Alors, on sent que quelque chose est changé, le soleil ne semble plus immobile, il se déplace rapidement ; hélas ! on n’a pas le temps de le regarder que, déjà, il se précipite vers les confins de l’horizon, on s’aperçoit que les nuages ne sont plus immobiles dans les golfes azurés du ciel, mais qu’il fuient, se chevauchant l’un l’autre, telle est leur hâte ; on comprend que le temps passe et qu’il faudra bien qu’un jour la route prenne fin.

A un certain moment, un lourd portail se ferme derrière nous, il se ferme et est verrouillé avec la rapidité de l’éclair, et l’on n’a pas le temps de revenir en arrière. Mais, à ce moment-là, Giovanni Drogo dormait ignorant, et dans son sommeil, il souriait, comme le font les enfants.

Bien des jours passeront avant que Drogo ne comprenne ce qui est arrivé. Ce sera alors comme un réveil. Il regardera autour de lui, incrédule ; puis il entendra derrière lui un piétinement, il verra les gens, réveillés avant lui, qui courront inquiets et qui le dépasseront pour arriver avant lui. Il entendra les pulsations du temps scander avec précipitation la vie. Aux fenêtres, ce ne seront plus de riantes figures qui se pencheront, mais des visages immobiles et indifférents. Et s’il leur demande combien de route il reste encore à parcourir, on lui montrera bien encore d’un geste l’horizon, mais sans plus de bienveillance ni de gaieté. Cependant, il perdra de vue ses camarades, l’un demeuré en arrière, épuisé, un autre qui fuit en avant de lui et qui n’est plus maintenant qu’un point minuscule à l’horizon.

Passé ce fleuve, diront les gens, il y a encore dix kilomètres à faire et tu seras arrivé. Au lieu de cela, la route ne s’achève jamais, les journées se font toujours plus courtes, les compagnons de voyage toujours plus rares, aux fenêtres se tiennent des personnages apathiques et pâles qui hochent la tête.

Jusqu’à ce que Drogo reste complètement seul et qu’à l’horizon apparaisse la ligne d’une mer démesurée, immobile, couleur de plomb. Désormais, il sera fatigué, les maisons le long de la route auront presque toutes leurs fenêtres fermées et les rares personnes visibles lui répondront d’un geste désespéré : ce qui était bon était en arrière, très en arrière, et il était passé devant sans le savoir. Oh ! il est trop tard désormais pour revenir sur ses pas, derrière lui s’amplifie le grondement de la multitude qui le suit, poussée par la même illusion, mais encore invisible sur la route blanche et déserte.

A présent, Giovanni Drogo dort à l’intérieur de la troisième redoute. Il rêve et il sourit. Pour la dernière fois, viennent à lui, dans la nuit, les douces images d’un monde totalement heureux. Gare à lui s’il pouvait se voir lui-même, tel qu’il sera un jour, là où finit la route, arrêté sur la rive de la mer de plomb, sous un ciel gris et uniforme, et sans une maison, sans un arbre, sans un homme alentour, sans même un brin d’herbe, et tout cela depuis des temps immémoriaux.
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Il parut à Drogo que la fuite du temps s'était arrêtée. C'était comme si un charme venait d'être rompu. Les derniers temps, le tourbillon s'était fait toujours plus intense, puis, brusquement, plus rien, le monde stagnait dans une apathie horizontale et les horloges fonctionnaient inutilement.
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Ce fut un matin de septembre que Giovanni Drogo, qui venait d'être promu officier, quitta la ville pour se rendre au fort Bastiani, sa première affectation.
Il faisait encore nuit quand on le réveilla et qu'il endossa pour la première fois son uniforme de lieutenant. Une fois habillé, il se regarda dans la glace, à la lueur d'une lampe à pétrole, mais sans éprouver la joie qu'il avait espérée. Dans la maison régnait un grand silence, rompu seulement par les petits bruits qui venaient de la chambre voisine, où sa mère était en train de se lever pour lui dire adieu.
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A présent, il éprouvait même une sorte de profonde amertume, comme lorsque les heures les plus décisives du destin passent à côté de vous sans vous toucher et que leur grondement va se perdre au loin, nous laissant seuls, au milieu d'un tourbillon de feuilles mortes, à regretter la terrible mais grandiose occasion perdue.
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...il s'aperçut que si quelqu'un souffre, sa douleur lui appartient en propre, nul ne peut l'en décharger, si légèrement que ce soit ; il s'aperçut que si quelqu'un souffre, autrui ne souffre pas pour cela, même si son amour est grand, et c'est cela qui fait la solitude de la vie.
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