Essai où il est brillamment question de littérature.
D'Italo Calvino j'ai lu 4 romans : le baron perché, le chevalier inexistant, le vicomte pourfendu et Si par une nuit d'hiver, un voyageur. Je les ai tous aimés avec une préférence pour les deux premiers, particulièrement séduit par l'imaginaire de cet auteur, ses récits métaphoriques, la légèreté et la concision de son style. Aussi voyant à la bibliothèque, cet essai préparatif à six conférences étayant sa vision de ce que devrait être sa (la) littérature pour le troisième millénaire, je n'ai pu résister.
Surprise ! Quelle profondeur dans la réflexion, et quelle étendue dans la connaissance de la littérature, en pas moins de quatre langues, qu'Italo Calvino parcourt au galop suivant des axes différents. Il suggère rien moins que la littérature se doit d'être la pierre philosophale capable de transmuter le lourd mercure de la pensée en ce messager ailé des dieux et que l'art du récit tantôt marchant à pas comptés, tantôt chaussant ses bottes de sept lieux, devient littérature quand celle-ci coule le temps sur le papier.
Le temps littéraire est celui que tout un chacun peut expérimenter un beau jour début de printemps en prenant le soleil sous un ciel moutonneux. Peu importe la couleur des nuages et leurs reflets bleutés, seul compte l'intervalle de lumière entre deux ombres qui se capte par tous les pores. La rêverie n'a point tant pour objet la forme des nuages que la vitesse et la direction de leur déplacements pour anticiper la prochaine onde de chaleur bienfaisante. Invariablement le temps de la lumière apparait plus court que celui des sinueuses divagations du passage d'un nuage dont l'apport principal est l'excitation dans l'attente d'une nouvelle exposition aux rayons du renouveau.
Car la littérature se doit de viser à la fois à l'universalité et à l'immortalité. Et Italo Calvino de tracer pour nous les chemins les plus appropriés dans cette quête dans l'espoir d'atteindre ce but chargé d'absolu. Il nous partage simplement une immense érudition. Hautement recommandé pour tout grand lecteur qui rêve secrètement d'un jour pouvoir élégamment transmettre ses pensées par écrit et les ancrer durablement dans l'esprit de celles et ceux qui le suivent. Des pistes déjà empruntées par d'illustres écrivains pour frapper d'éternité les signes de leurs déambulations sur les parois du labyrinthe de la grande pyramide de la pensée humaine et nous offrir ainsi des clés pour décrypter les mystérieuses énigmes du sphinx qui lui fait face. Et c'est magie que de le faire en empruntant la plume de Maât pour conserver en parfait équilibre la légèreté de l'âme.
Epoustouflant savoir accumulé au cours d'une vie.
A relire,
avant de soi-même, ...
"In Calvino veritas"
Commenter  J’apprécie         736
En de nombreux domaines l'excès d'ambition est critiquable, mais non pas en littérature. La littérature ne peut vivre que si on lui assigne des objectifs démesurés, voire impossible à atteindre. [...] la littérature doit relever un grand défi et apprendre à nouer ensemble les divers savoirs, les divers codes, pour élaborer une vision du monde plurielle et complexe.
S'il est un écrivain peu enclin à limiter ses ambitions, c'est bien Goethe : en 1780, il confie à Charlotte von Stein son intention d'écrire "un roman sur l'univers". [...] Vers la même époque, Lichtenberg écrit : "Je crois qu'un poème sur le vide de l'espace pourrait atteindre au sublime." L'univers et le vide : je reviendrai sur ces deux termes, entre lesquels nous voyons osciller le point d'arrivée de la littérature, et qui tendent à se confondre.
Multiplicité
Les nouvelles de Kafka sont souvent mystérieuses; celle-ci (Der Kübelreiter : A cheval sur le seau à charbon) l'est particulièrement. Peut-être s'agissait-il seulement de raconter que la recherche d'un peu de charbon, par une froide nuit en temps de guerre, se transforme en désert, en vol magique, au simple balancement d'un seau vide. Mais ce seau vide qui vous élève au-dessus du niveau où se situe l'aide des autres, comme aussi leur égoïsme, ce seau vide qui est marque de privation comme de désir et de recherche, - et qui vous entraîne assez haut pour empêcher l'exaucement de la plus humble de vos prières - ce seau ouvre la voie à des réflexions sans fin.
Légéreté
Comme disait Hofmannsthal : "La profondeur doit se cacher. Où cela ? A la surface. [...]
La parole relie la trace visible à la chose invisible, à la chose absente, à la chose désirée ou redoutée, comme une fragile passerelle jetée sur le vide.
Aussi le juste emploi du langage, selon moi, est-il celui qui permet de s'approcher des choses (présentes ou absentes) avec discrétion, attention et prudence, en respectant ce que les choses (présentes ou absentes) communiquent sans le secours des mots.
Exactitude
Je ne veux nullement dire par là que la rapidité soit une valeur en elle-même : le temps du récit peut être aussi retardateur, ou cyclique, ou immobile. Le récit est en tout cas une opération portant sur la durée, un sortilège appliqué à l'écoulement du temps, qu'il contracte ou dilate.
Pour trancher la tête de Méduse sans s'exposer à devenir pierre, Persée prend appui sur ce qu'il y a de plus léger, les nuages et le vent ; et son regard se pose sur ce qu'une vision indirecte est seule en mesure de lui révéler, c'est-à-dire sur une image capturée dans un miroir. En ce mythe, je aussitôt tenté de voir une allégorie du rapport entre le poète et le monde, une leçon de méthode pour qui se mêle d'écrire.(...) Entre Persée et la Gorgone, le rapport est complexe : il ne prend pas fin avec la décapitation du monstre. Du sang de Méduse naît un cheval ailé, Pégase ; la pesanteur de la pierre peut se renverser en son contraire ; d'un coup de sabot, Pégase fait jaillir sur le mont Hélicon la fontaine où se désaltèrent les Muses. (...) Un romancier peut difficilement représenter son idée de la légèreté, en l'illustrant d'exemples de la vie contemporaine, sans la poser en insaisissable objet d'une quête interminable.(...) Chaque fois que le règne de l'humain me paraît condamné à la pesanteur, je me dis qu'à l'instar de Persée je devrais m'envoler dans un autre espace. Il ne s'agit nullement de fuite dans le rêve ou l'irrationnel. Je veux dire qu'il me faut changer d'approche, qu'il me faut considérer le monde avec une autre optique, une autre logique, d'autres moyens de connaissance et de contrôle.Les images de légèreté que je cherche ne doivent pas, au contact de la réalité présente et future, se laisser dissoudre comme des rêves...
Toute sa vie, il a repoussé les limites du roman avec fantaisie et malice. Voici l'histoire d'Italo Calvino, l'un des plus grands écrivains italiens du XXe siècle, né il y a un siècle.
#italocalvino #litterature #cultureprime
_____________
Retrouvez-nous sur :
Facebook : https://fr-fr.facebook.com/franceculture
Twitter : https://twitter.com/franceculture
Instagram : https://www.instagram.com/franceculture
TikTok : https://www.tiktok.com/@franceculture
Twitch : https://www.twitch.tv/franceculture
Et abonnez-vous à la newsletter Culture Prime : https://www.cultureprime.fr/