Andréa Camilleri est, selon l'éditeur, un best seller en ltalie et son originalité tient avant tout à la langue qu'il a choisie d'utiliser dans ses histoires: un mélange d'Italien, de Sicilien et de patois sicilien. Sa langue est si particulière - c'était la langue de son père- qu'il avait pensé nécessaire d'ajouter un lexique à la fin de ses premiers romans, pour les lecteurs italiens. Mais il s'aperçut assez vite que les lecteurs n'en avaient pas besoin même s'ils ne connaissaient pas les mots de patois. le contexte suffisait la plupart du temps à éclaircir les mots obscurs. Les traducteurs ont fait de gros efforts pour donner un équivalent de cette langue aux lecteurs français, en ayant recours à des termes de patois français. Et en ce qui me concerne, cette transposition m'a paru plutôt réussie, non pas en comparaison de la langue originale que je ne lis pas(à mon grand regret), mais parce-que je me suis souvent régalé de mots ou d'expressions totalement nouveaux et croustillants.
J'ai découvert Camilleri d'abord par ses romans policiers et j'ai été rapidement conquis, par sa langue (du moins l'équivalent français de sa langue) mais surtout par son style d'auteur dramatique: pas de longues descriptions, les changements de scène se font souvent sans crier gare comme à la télé canadienne quand on passe du film à l'annonce publicitaire, sans jingle: vous vous demandez pendant quelques secondes s'il s'agit du film ou de la pub.. avant de comprendre. Dans les polars de Camilleri c'est un peu la même chose.
Un exemple:
(conversation téléphonique)
— Et alors ?
— Et alors le regretté défunt nous a quittés entre dix-neuf heures et vingt-deux heures, la veille du jour où on l'a retrouvé.
— Rien d'autre ?
— Rien d'autre. Ah, si, j'oubliais : l'ingénieur est mort, c'est sûr, mais il a réussi à se le tirer, son petit coup. Il y avait des traces de sperme vers les parties basses.
(chapître suivant)
— Monsieur le questeur ? Montalbano à l'appareil. Je voulais vous dire que le docteur Pasquano vient tout juste de m'appeler. Il a fait l'autopsie.
— Montalbano, épargnez votre salive. Je sais tout : vers quatorze heures, j'ai été prévenu par Jacomuzzi qui était présent et qui m'a informé. C'est formidable !
(etc..)
C'est une façon de faire que je trouve intéressante.. Quant aux enquêtes policières avec leur héros récurrent, le commissaire Montalbano, elle m'ont paru suffisamment intéressantes pour vouloir essayer les romans non-policiers de l'auteur.
C'est le cas du
Grand cirque Taddei, un ensemble de nouvelles, qui évoquent la Sicile à l'époque du fascisme. Et là - est-ce à cause du changement de traducteur ? - c'est un véritable festival d'expressions originales, de mots invraisemblables et pourtant si expressifs. Même si les histoires n'étaient pas intéressantes, il faudrait lire ce livre rien que pour la langue: des carabasses, des petites reposées, des coqueluchons.. On se défuble de sa robe, on s'arrête pique-plante et j'en passe. Et on comprend tout quand même, sans aucune difficulté, du moins en ce qui me concerne.
Et les nouvelles ? Ce sont des histoires de village, plus précisément du village imaginaire de Vigata, des histoires où l'on rit bien des infortunes d'untel ou des mésaventures d'une autre. Et toutes ces histoires ont un rapport avec la dictature fasciste de Mussolini. Mais cela n'est jamais dramatique, même si on devine les drames entre les lignes.
La mafia aussi est presque toujours en fond de décor, cette mafia qui fait partie du quotidien des villageois et à laquelle ils sont adaptés, tant bien que mal.
Et enfin, aussi surprenant et paradoxal que cela paraisse puisqu'on est en Sicile, pays des femmes en noir, des silences funèbres, des maisons fermées, le sexe est très présent dans toutes ces histoires. Mais que l'on se rassure, ce ne sont pas des histoires cochonnes, c'est juste un peu gaillard et toujours raconté avec finesse et humour.
Les chutes, puisque c'est essentiel dans des nouvelles, ne sont pas toujours inattendues mais sont quand même de vraies chutes de nouvelles.
Au final, il s'agit d'un tableau croustillant de la société sicilienne, avec une bonne dose d'exotisme, de l'humour, un style très original. Pour toutes ces raisons je vous suggère d'essayer cet auteur, qui ici, sur Babelio, ne semble pas encore très connu.