Divine surprise ! Lors de la dernière masse critique de Babelio, j'ai reçu le livre de
Viviane Campomar,
les Etoiles de Tchernobyl, éditions le chèvre-feuille étoilé.
Viviane Campopmar est scientifique, poète et littérateur, ce qui ne semble pas évident au premier coup-d'oeil, mais elle parvient à concilier l'ensemble avec bonheur pour notre plus grande joie.
Les étoiles de Tchernobyl, un opus de 76 pages qui donne la parole à des témoins de la catastrophe de 1986, trente années plus tard, propose deux lectures différentes de cet événement qui a marqué la planète.
Des anciens, starojily, refusent de quitter le village de Pripiat, tandis que leurs enfants sont évacués sur Kiev, en principe pour trois jours disent les autorités, puis au bout d'une semaine, « (...) un responsable du parti vint nous prévenir que nous ne pourrions pas retourner chez nous, que la zone autour de la Centrale restait contaminée durant plusieurs semaines encore et que ces mesures n'étaient que prophylactiques (...)»
L'écriture de Viviane Campomar est simple et fluide, sans fioritures, elle parvient à matérialiser par ses mots, la différence entre deux Russies (deux URSS devrais-je dire) . Celle des anciens qui ont connus la guerre - le village de Pripiat a été exterminé par les Nazis - et qui, en dépit de toutes les critiques, sont reconnaissant envers l'Etat et le Parti de la renaissance de la Russie.
La Centrale en est le symbole, elle qui a apporté la lumière et le progrès dans la région et jusqu'à Kiev.
«
La Centrale faisait partie de ces réussites, n'avait-on cesser de leur seriner : elle offrait de l'électricité en autonomie absolue à toute cette région qui avait tant souffert de la seconde guerre mondiale. Un bien précieux, cette électricité. Toutes ces villes, et peut-être même Kiev , éclairées le soir par la seule magie d'une usine unique.»
En face, les enfants n'ont pas ces références, ils comprennent leurs parents, mais subissent plutôt les contraintes de ce régime qui leur ment et les réduit à une migration sociale, géographique et professionnelle, sans explications, sans compensations.
«(...) j'avais conscience de mentir, ne croyant pas moi-même à ces paroles lénifiantes et officielles qu'en bonne soviétique, je faisais miennes.» dit Macha l'infirmière, la fille de Mitia et Dacha lorsqu'elle présente le drame à ses enfants.
Vivivane Campomar propose une vision sans fard du mensonge d'état, qui rappelle la notre, quand les autorités françaises professaient, sans crainte du ridicule, et avec toute l'onction de certains membres de la communauté scientifique, que le nuage de Tchernobyl n'avait pas traversé notre territoire.
Séparés de leurs enfants Dacha et Mitia vivent à Pripiat, avec leurs rêves et leur ignorance, insouciants du danger et sûrs de leur bon droit : « Mitia et Gricha venaient d'entamer une bouteille de Vodka de qualité trouvée dans les réserves abandonnées du village, qu'ils ne se seraient jamais payée et pensaient garder pour les grandes occasions, mais plus rien à perdre désormais, quelles occasions pourrait-il y avoir désormais.»
A Kiev, leurs enfants et Alexeï, continuent à vivre, incapables de faire le deuil de parents promis à la mort mais encore vivants, peut-être, bien que disparus à tout jamais à leurs yeux : «Alors même qu'on nous évacuait, la mort nous suivait, ombre fidèle et malveillante, qui se riait de notre terre nourricière qu'elle avait entièrement pourrie.»
Les deux lectures des événements alternent :
…tantôt Mitia et Dacha dont un narrateur rapporte l'histoire.
« Il ne lui avait pas parlé (…) il l'avait enveloppé de ses bars (…) Ils avaient regardés (…) Chaque soir Dacha sort (…) Ils n'étaient que deux couples de starojily (…) Là, le caractère utilisé est une police Garamond, large et espacée, à l'image des deux starojily, perdus dans leur inconscience du danger et se raccrochant à des rêves du passé.
…tantôt Macha, leur fille déplacée à Kiev, qui s'exprime en bookman old style une police droite, verticale, ramassée, austère. Macha est un « je » et un « nous » … « J'ai tout de suite compris (…) Mon impuissance incommensurable (…) J'avais trente ans et j'étais infirmière à l'hôpital de Pripiat. (…) Je compris alors que nous étions des pestiférés (…) Je ne leur avais laissé qu'un message insignifiant (…) »
Cette façon de rapporter les témoignages renforce l'opposition entre les deux visions de l'URSS, celle du passé, glorieux mais disparu, celle d'un avenir réel mais incertain.
Le récit, court, lu avec avidité, intérêt et étonnement agit comme un puissant déclencheur de questions et nous rappelle à notre conscience de citoyens pour ne pas oublier.
Qu'est devenu Pripiat aujourd'hui ? Il y-a-t-il toujours des habitants ? Les liquidateurs, ces soldats du Césium, ont-ils tous disparus ? Pourquoi ne parle-t-on jamais de Tchernobyl ? le danger du nucléaire est-il maitrisé ?
Outre l'intérêt de son contenu, ce livre est également un bel objet. Un petit livre faussement carré de 12 cm par 13, agréable à regarder et à toucher, conçu et mis en page par
Marie-Noël Arras avec une illustration de Danièle Maffray.
Merci aux éditions du Chèvrefeuille étoilé pour la qualité de la fabrication de ses livres !
Si vous le pouvez, lisez le livre de
Viviane Campomar.
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