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Critique de aleatoire



Pierre qui roule...

Je ne sais pas vous, mais lorsque je pose un acte, je doute de sa validité, du sens qu'il peut revêtir. Je me dis qu'il pourrait être tout autre et qu'il aurait cependant la même importance, le même sens ou plutôt le même non-sens...


Chez Camus, c'est autre chose, à la relecture, le Mythe de Sisyphe est toujours aussi vertigineux et son évidence apparaît dans une flamboyance sans appel.
Tout commence par la question fondamentale du suicide, selon que la vie vaut ou non d'être vécue.
Sur cette question essentielle, le philosophe (existentialiste athée) met en garde contre les risques d'une pensée, (souvent mise en action par un simple "souci") trop introspective "c'est commencer d'être miné" et d'une lucidité exacerbée (dont Char écrivait qu'elle est "la blessure la plus rapprochée du soleil"). Il se réfère à deux postures possibles : celle de la Palisse ou celle du Quichotte, l'idéal étant un mix des deux, savant équilibre de l'étude rationnelle et du lyrisme.
Le suicide est donc un aveu d'incompréhension devant l'habitude, l'agitation quotidienne ainsi que devant le scandale de la souffrance et de la finitude qui génère ce sentiment d'absurdité qu'une logique poussée à son extrême entraîne jusqu'à l'irréversible abdication.
Il souligne une anomalie, le monde est "épais", une pensée anthropomorphique ne permet pas "d'unifier" ; un animal, une pierre nous sont étrangers ; la nature, un paysage "plus lointains qu'un paradis perdu" peuvent nous nier. Ainsi, "cette épaisseur et cette étrangeté du monde" participent de l'absurde.
Tentation de l'inutile, devant les apories toujours repoussées du travail scientifique et d'une physique dont les issues s'apparentent à l'oeuvre d'art.
Nul réconfort métaphysique ; que serait une liberté donnée par un être supérieur pour qui "n'a pas le sens de la hiérarchie" ? pas plus que celui de l'opportuniste pari pascalien.
Camus comprend mal également le revirement dostoïevskien d'un Kirilov se tuant pour être déifié, face aux espoirs d'une vie éternelle des Karamazov.


A cette absence de finalité et d'espoir (qui n'est pas le désespoir), répondent cependant une conscience cherchant sa direction, des intentions au coeur d'un présent, un mouvement, un devoir d'intelligence, des échanges humains et pour ne pas "ruminer", l'imagination, source de créations, fussent-elles éphémères.
Choisir entre "la croix ou l'épée", la contemplation ou l'action, bien que les sachant inutiles mais, dans dans une certaine mise à distance de l'événement, "faire comme si" et devant un hasard toujours "roi",savoir user de l'esquive...
Préférer encore la mutilation d'Oedipe, résistant ainsi au désespoir et à la tentation du suicide ; cette résistance devenant l'affirmation que "tout est bien".
C'est donc précisément l'absence de sens de l'existence qui en fait son intérêt.
Ainsi, pour Camus comme pour les stoïciens, l'homme peut et doit affronter le destin, enrichissement vers une certaine liberté intérieure :
"Il faut traiter le destin par le mépris"


Sauf que...
Peut-être ne convient-il pas de trop taquiner l'absurde ni provoquer
le fatum, les concepts ont parfois la susceptibilité exacerbée.
Le quatre janvier mille neuf cent soixante, la Facel Vega dans laquelle Albert Camus avait pris place s'est heurtée à l'épaisseur du réel ("ce qui résiste" - Serge Leclaire) et l'absurde, ainsi dépossédé de son objet s'est naturellement dissout.
L'écrivain a rejoint le minéral, tant chanté dans Noces et l'eté, avec lequel il aspirait parfois à se confondre.
La pierre délaissée a cessé son mouvement.
"Ce monde n'a plus son reflet dans un univers supérieur, mais le ciel des formes se figure dans le peuple des images de cette terre."
A noter que quelques mois plus tard, Sagan de justesse fut épargnée mais pourtant prévenus, Nimier ( "Il n'y a que les routes pour calmer la vie") et Huguenin abandonnèrent à l'asphalte beaucoup de leur superbe.


Bon voilà, j'ai terminé mon devoir de vacances, m'en vais sagement reprendre ma petite auto, puis maintenant que sont posées partout des limites et même aux vitesses, j'aurai l'absurde modeste, le destin besogneux ; pas de désir de suicide excepté peut-être une pendaison à un cou.
D'ailleurs, je n'intéresse guère les dieux, impassibles et somnolents dans la torpeur estivale.


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