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L'Age d'Homme (01/01/1900)
4.09/5   16 notes
Résumé :
Litanie inspirée, poème en prose d'une apocalypse imprévue, le Bréviaire du Chaos n'est, au fond, qu'une énumération d'évidences que, trop frivoles et trop lâches, nous n'osons plus regarder en face.
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
"A quoi bon nous leurrer ? Nous deviendrons atroces, nous manquerons de sol et d'eau, peut-être manquerons nous d'air et nous nous exterminerons pour subsister, nous finirons par nous manger les uns les autres et nos spirituels nous accompagneront dans cette barbarie, nous fûmes théophages et nous serons anthropophages, ce ne sera qu'un accomplissement de plus."

Le Bréviaire du chaos est un texte rageusement visionnaire et concentré. Un seul credo pour Albert Caraco : furieusement haïr le monde contemporain mais avec une écriture érudite d'un classicisme virtuose, héritière passionnée du Siècle d'Or, et d'une densité ébouriffante. L'imprécateur Albert Caraco, prophète apocalyptique obsessionnel, dandy nihiliste absolu, nous gifle de toutes ces sombres évidences qui nous cernent et nous ratatinent tant nous sommes bouffis de nos certitudes comme de nos servitudes. Personne n'a mieux que lui abordé le désabusement universel et le fatal chaos final.
"L'humanité veut pleinement ce qu'elle doit subir, ce qu'elle avait elle l'abdique et nous ne l'obligerons à se démentir, elle refuse de comprendre le peu qu'elle démêle, elle abomine ceux qui l'avertissent et d'un commun accord ils seront réduits au silence par le pouvoir civil et le pouvoir religieux, les rares qui détrompent les aveugles en émouvant les sourds.
[...]
…nos révolutions sont purement verbales et nous changeons les mots pour nous donner l'illusion de réformer les choses, nous avons peur de tout et de nous-mêmes, nous trouvons le moyen d'évacuer l'audace en enchérissant sur l'audace et d'embesogner la folie en outrant la folie, nous ne nous opposons à rien et nous faisons tout avorter, c'est le triomphe de la démesure inféodée à l'impuissance."

D'un pessimisme sublime tant il est martial, presque orgueilleux, le despote Caraco déteste toutes les races, les enfants, les religions, la justice, la démocratie libérale… "On punit les faux monnayeurs et l'on épargnerait ceux qui ne vivent qu'en accréditant les idées fausses ? La tolérance est une duperie et le respect n'est qu'un délire, nous sommes payés pour l'entendre et nous payerons. Avant que de sombrer dans la fournaise, nous enverrons ceux qui nous mènent à la mort, nous aplanir les chemins qu'ils ne nous évitent, puis ce sera la consommation".
Tout lui est insupportable, et, en ennemi de la bien-pensance progressiste, dissèque ce tout avec une lucidité décoiffante. Froidement objective, parfois paradoxale, ennemie de la sensibilité (cette traitresse), d'une humilité terriblement aristocratique, la pensée de Caraco est un iceberg aussi étincelant que totalitaire.

"Le retour à la source est le premier devoir ou c'en est fait de l'homme. Aussi les rares penseurs dignes de ce nom s'occupent-ils d'ontologie et d'étymologie, afin de rétablir une métaphysique, alors que les petits esprits, soucieux d'être avec la mode, s'abîment dans la contemplation du social, ce détail subalterne.
[...]
L'ordre moral, qui domina sur nous depuis vingt siècles, a fait son temps et nous en mesurons la barbarie, il se survit et nous en mourrons, innombrables, il réclame à présent la tolérance, qu'il a toujours refusée à ses victimes, il prêche la fraternité, dont il n'eut jamais cure, il parle de se métamorphoser, lui qui se prévalut d'être immuable, il voudrait confisquer le renouveau pour en emplir ses vieilles outres, il abomine ce qui vient et ne pouvant rien empêcher, il se donne en spectacle et nous promet monts et merveilles."

Délicieusement subversif, Caraco le Réprouvé est odieusement méchant, totalement détestable et magnifiquement dangereux. D'un radicalisme inouï, penser ou philosopher selon lui est prendre conscience de son propre néant, c'est tout. Et c'est déjà pas mal. Aucune porte de sortie, pas d'échappatoire, point de salut : le vivant, repu d'illusions et de faux-semblants, n'a pas d'issue autre que la mort.

"C'est pour la mort que nous vivons, c'est pour la mort que nous aimons et c'est pour elle que nous engendrons et que nous besognons, nos travaux et nos jours se suivent désormais à l'ombre de la mort, la discipline que nous observons, les valeurs que nous maintenons et les projets que nous formons répondent tous dans une seule issue : la mort.
La mort nous moissonnera mûrs, nous mûrissons pour elle et nos petits neveux, qui ne seront plus qu'une poignée d'hommes à la surface de cet oecumène en cendres, n'arrêteront de nous maudire, en achevant de brûler tout ce que nous adorons. Nous adorons la mort sous des figures empruntées et nous ne savons que c'est elle, nos guerres sont des sacrifices de louange où nous nous immolons en l'honneur de la mort, notre morale est une école de la mort et les vertus, dont nous faisons estime, n'auront jamais été que des vertus de mort."

La rage de mordre de Caraco n'a d'égal que son noir cynisme. C'est noir mais d'un noir profond. Parce que sa philosophie est terrifiante, rigoureuse et glaciale. Parce que Caraco est aussi désespéré que désespérant. "Le monde s'est fermé, comme il l'était avant les Grandes Découvertes, l'an 1914 marque l'avènement du second Moyen Age et nous nous retrouvons dans ce que les Gnostiques appelaient la prison de l'espèce, en l'univers fini, dont nous ne sortirons jamais."
C'est pourquoi j'adore haïr Caraco : parce que je me déteste finalement de l'aimer.

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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
Le monde, que nous habitons, est dur, froid, sombre,
injuste et méthodique, ses gouvernants sont ou des
imbéciles pathétiques ou de profonds scélérats, aucun
n'est plus à la mesure de cet âge, nous sommes dépassés,
que nous soyons petits ou grands, la légitimité paraît
inconcevable et le pouvoir n'est qu'un pouvoir de fait.
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Videos de Albert Caraco (6) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Albert Caraco
*INTRODUCTION* : _« […] le mal ? le bien ? fracas de mots, simplicité barbare et faux mystère : on passera de l'un à l'autre selon la mesure et la convenance, selon les temps, les lieux, les idées, les moyens, le but et les lauriers que l'on moissonne, le dernier point décide quelquefois du reste […] »_ (« Prologue dans les limbes », _in_ Albert Caraco, _Huit essais sur le mal,_ Neuchâtel (Suisse), la Baconnière, 1963, p. 13.)
*RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE* : « I : de l'Homme », _in_ Albert Caraco, _Huit essais sur le mal,_ Neuchâtel (Suisse), la Baconnière, 1963, pp. 22-23.
#Pessimisme #Pensée #Philosophie
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