Yslaire s'éclate dans la cour des plus grands, il a du souffle le garçon. Je dirais même qu'il est complet, un peu comme la galette bretonne jambon, oeuf, fromage. Miam. Oui, les bédés moi je les mange !
Mais que ne sait-il pas faire ?
- Dessin : check
- Scénario : check
- Couleurs : check
- Visuel et mise en page : check
- Qualité littéraire : check
- Poésie : check
- Dialogues : check
- Style : ben check !
J'ai découvert cet ovni de compet' grâce à Nowowak, tout d'abord avec Mademoiselle
Baudelaire que j'ai eu la chance de feuilleter et de commencer (à suivre en saison 2), puis avec
le Ciel au-dessus du Louvre (ici même, présentement).
Pour en revenir à mes petits moutons, j'ai adoré les détails dans les dessins, les images et les métaphores. Je m'explique.
Dessine-moi l'invisible, allez step' !
« - L'Être suprême par définition n'a pas d'apparence, pas d'image...
- C'est le génie de tout grand peintre que de donner forme à l'invisible ! »
Trop fastoche, tu prends un être suprême. Ça court les forêts, ça peut voler aussi. Pour ne froisser aucun sexe, tu l'imagines androgyne, naviguant dans un univers de faux noir et blanc, baigné de beige, saumon et gris… Vous ajoutez un soupçon de rouge… stop c'est déjà trop ! Humm c'est ça le truc, des couleurs en trompe l'oeil !
Jules Stern, angélique, tel que la nature l'a conçu, sera le fil conducteur de l'histoire. Il tournera vos pages, vous n'aurez rien à faire… Chut, laissez-vous guider, c'est comme au cinéma…
Maintenant ouvrez-vous grand les yeux.
« Tout culte a besoin d'images. Même l'invisible a besoin d'être incarné. »
Jules fait son entrée au musée de la Nation, habillé de la coiffe de Napoléon. La perspective est parfaite, les tableaux accrochés au mur sont d'un réalisme photographique stupéfiant. Jules est accompagné de délicates courbes blanches contournant sa silhouette. Un ange vous dis-je !
Sur chaque vignette, ses cheveux dansent et donnent vie à ses mèches finement argentées. La virginité incarnée.
Quelle précision !
« - Je ne mettrai rien derrière. Pas une pierre, pas même une herbe. Il faut qu'il soit nu, et que la terre soit vide.
- Vide comme le ciel ?
- Vide. L'image de l'innocence tuée. Jeune, nu et seul au monde. »
Jules chante un accent en inversant la lettre e (va falloir lire l'ouvrage pour comprendre). Ce petit être vient de Khazarie, déjà ce n'est pas le pays de tout le monde j'ai envie de dire.
Jules n'est pas venu seul.
Témoins de l'histoire et à l'orée de plusieurs planches, papillons gambillent et corbeaux explorent. La vie et la mort.
Voyez cette scène où une corneille observe
Robespierre à travers une vitre. de quel droit cet homme décide de la vie et de la mort… La corneille accuse,
Puis une autre, tout en échappée de papillons au-dessus des corps guillotinés. Des âmes s'envolant au pays des merveilles… Les papillons excusent.
Jules devine et comprend tout.
«
Robespierre ne m'aime pas. Je le devine. LÊtre suprême ne peut être un autre que lui. Il a une ambition d'idole... »
L'image de l'animal est très forte, Jules semble dénué de toute trace corrompue par l'humain. Jules est animal. Mon esprit imaginatif souhaite qu'il prenne possession de corps animal pour voyager à travers les planches. Les corbeaux et corneilles, les papillons… C'est lui.
Et ce chien errant qui suit la promenade de David et
Robespierre, en pleine nuit, pour une balade en compagnie. Et si c'était Jules qui écoute la discussion sur l'être suprême, alors que
Robespierre demande à
David D incarner l'image de la pureté en peinture ?
L'être suprême ne peut définitivement pas être de chair humaine. Les animaux le savent.
L'humain, du haut de sa puissance illégitime, s'égare, il se fourvoie.
La mère-patrie, rouge-sang…
Ces teintes de rouge dissimulées, ça et là.
Ici les lèvres cerises de Jules, délicatement teintées de pourpre. On en mangerait !
Une coupe remplie de pommes rouges, une pomme épluchée dans une assiette, la pelure rouge écarlate tourbillonnante.
Les rubans érubescents ornant les chapeaux des dames et bonnets phrygiens des messieurs.
Le revers carminé de la veste de David.
Le rideau en arrière plan du peintre, rouge vif. À sang...
Cette scène effrayante où Madame Trudaine se fait figurante pendant que David peint son portrait commandé par son époux. Cette planche ô combien inquiétante avec ce rideau flamboyant. Madame Trudaine sera guillotinée quelques jours après et elle baigne déjà dans son sang.
« Qui sait si demain on pourra encore me peindre ?
Qui sait si je pourrai encore venir avec ma tête sur mes épaules ? ... »
Les yeux de Jules brillent. Tour à tour modèle, observateur, témoin. La pureté de ses treize ans rivalise avec sa maturité et son humilité.
Les papillons s'envolent en pleurant…
« Ma mère ne m'a pas reconnu. Pas encore. Elle est trop occupée à dévorer ses propres enfants... »
Ce livre est un petit bijou esthétique.
Lu le 14 mai 2021