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Aragon (Traducteur)
EAN : 9782232147234
96 pages
Editions Seghers (09/11/2023)
4.1/5   61 notes
Résumé :
Il y a les amoureux d'Alice, ceux qui veulent passer de l'autre côté du miroir, et il y a ceux qui sont partis à la chasse au Snark. Les inconditionnels de Lewis Carroll aiment présenter La Chasse au Snark comme l'épure sublime de l’œuvre du maître. Fantaisiste, satirique, ludique et profond, La chasse au Snarkest un petit joyau de récit. Imaginez les bons Anglais partis un jour à la recherche du Snark. Mais qu'est-ce que le Snark ? Là est toute la question. Il para... >Voir plus
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Prendriez-vous un appétissant «snark» entre deux lectures plus consistantes? Cela vous dirait de gouter le célèbre menu-valise concocté par chef Gros Oeuf en personne, brouillé lui-même à cette tâche délicatement insensée ?**
**Tout en sachant, bien-sûr, qu'aux fins de cette collation littéraire, y compris même le roi de tous les hommes, voire de tous les chevaux, ne pourra ensuite recoller ce coquin de Gros Coco parlant: pour faire une bonne «omne-lettre», voyez-vous, il faut non seulement pouvoir le retourner dans tous les sens, mais aussi en conserver précieusement les coquilles!
Cela choquerait peut-être votre esprit puriste et rationnel?
Qu'à cela ne tienne, car je vous annonce, et de ma propre veine :

Y'aura aussi du lard et du cochon, ainsi que d'autres réjouissances,
Des mots plein les cartons, quoique la pièce de résistance,
C'est bien le «Snark», une créature bien foutraque!
Pas une «knack»! Surtout pas une saucisse!
Mi-escargot : «snail», mi-requin : «shark»,
ça se mange avec du rosbif, si tant est qu'on le chasse..!

«The hunting of the Snark » – «An Agony in eight fits» (je ne comprends pas pourquoi le sous-titre «Une Agonie en huit crises» ne figure pas dans la page de garde de l'édition française-?-) est composé de 141 quatrains disposés en huit «chants», huit parties dénommées «fits» (dont la traduction «crise» personnellement ne me plaît pas des masses, j'aurais préféré par exemple, toujours dans le sens médical du terme – de «fièvre», de «folie» - le mot pourtant moins connoté d'«accès»).
Le poème décrit le voyage en mer de l'Homme à la Cloche (Bellman) et de son drôle d'équipage, tous en «B» ludiquement habillés ! - un Cireur de souliers (Bootblack), un Avocat (Barrister), un Banquier (Banker), un Castor (Beaver), un Boucher (Butcher), un Boulanger (Baker), etc..- partis donc chasser le Snark, en compagnie et sous les ordres du premier. Exploit, comme on le comprendra vite, non destitué de risques, car la partie est semée d'embûches et ne peut pas être menée d'une manière banale. Tous les moyens y sont d'ailleurs permis :

Chassez-le avec un dé à coudre
chassez-le avec passion
Poursuivez-le avec des fourchettes et de l'espoir
Menacez-le dans sa vie
avec une action de chemin de fer
Charmez-le avec des sourires et du savon !

Les quatrains de l'original ont été remplacés, dans cette traduction-adaptation de l'oulipien Jacques Roubaud publiée par Gallimard en 2010, par des sizains dont la disposition graphique «centrée», en milieu de page, recrée en même temps des espacements plus importants entre certains groupes de mots (et que je n'arrive pas à reproduire avec la strophe ci-dessus: la Nature chez Babelio déteste apparemment le vide!!!) ) , invitant, me semble-t-il, à pratiquer une lecture à haute-voix et sur un rythme proche des «limericks» britanniques, c'est-à-dire avec cette scansion si typique, so british, et son accentuation marquée sur certaines syllabes à l'intérieur de chaque vers. Ou pour dire les choses autrement, comme si ceux-ci étaient lus avec cette élocution saccadée, particulière, au charme tout à fait exquis, propre à la délicieuse Fanny Ardant…

Faut-il chercher un sens ou pas au nonsense? Aragon, l'un des plus fervents admirateurs de l'oeuvre de Lewis Carroll, auteur également d'une des nombreuses versions françaises du poème, rappelait «la nécessité de traduire même le non-sens». Elémentaire, cher Aragonson! Car, autant pour les traducteurs que pour ses lecteurs, pratiquer le chasse au Snark devrait relever, avant tout essai moche et simplificateur de compréhension, d'un cheminement glissoire, d'un effort d'élision volontaire et d'illusion nécessaire : le sens ultime de cette fable n'est surtout pas à figer, à tirer par les cornes, mais plutôt à laisser courir, à juste affleurer, sans s'exgraber, sans galumpher d'impatience et, complètement exaspéré, finir par s'écrier : «Fudge!».
Sens of humour, humeur des sens… ! La raison pure, cette vieille mémé tyrannique à binocles, n'a rien à y faire !! Il faut d'ailleurs bien la prévenir à l'avance qu'à force de vouloir à tout prix s'y mêler, et à tout y démêler, elle risque une bonne déculottée et, qui plus est, à l'image du Boulanger, de «s'évanouir» complètement en fin de partie. Car à force de vouloir capturer coûte que coûte le snark, c'est au dangereux boojum auquel on devra peut-être faire face. Circonscrivez et ligotez le snark…voici le boojum qui revient au galop!

Le rapport entre les mots et le sens auquel ces derniers renvoient pose bien de questions: de Platon à Saussure, la justesse et la rationalité du langage semblent difficiles à établir de manière catégorique par la pensée, elle-même par ailleurs, selon Snark Lacan, «structurée comme un langage»! On ne s'en sort pas. On dirait qu'on tourne tout le temps en boucle ! Avec le langage - bon sang !, nous ne ferions en fin de compte que danser la Capucine : il faut toujours aller en chercher chez la voisine…Circulez!
Les mots ne seraient alors rien d'autre que des conventions aléatoires ? Quoi qu'il en soit, et n'en déplaise à la logique courante, le nonsense dont M. Carroll, malgré son talent naturel pour les mathématiques (ou grâce à dernier..?!), fut l'un des plus émérites précurseurs, a de tous temps exercé une fascination inébranlable sur l'esprit humain : des incantations primitives par l'intervention de formules et de mots étrangers à la langue ordinaire, aux «nursery-rhymes» et autres comptines, où le rythme sautillant prime sur le sens, la conscience éprouve un plaisir particulier à se dépouiller des faux habits et de la fausse rationalité du langage, de son impuissance à pénétrer le mystère insondable des choses: le roi est nu !On s'en réjouit en dansant autour de l'immense puits sans fond du réel!
Chasser le Snark, serait-il ainsi une image de cette quête impossible, d'un sens à la vie et à tout ce qui existe, que la combinatoire arbitraire du langage se révèle incapable d'arrêter d'une fois pour toutes ? À l'aide de ce dernier, en tout et pour tout, on ne peut que l'entrevoir, ce sens , «le poursuivre avec des fourchettes et de l'espoir, «le charmer avec des sourires et du savon» : le sens se faufile, nous échappe sans cesse et…c'est peut-être tant mieux ! Parce qu'au bout du compte, dès qu'on estime l'avoir enfin cerné, figé, c'est face à face avec l'innommable boojum de la folie qu'on risque de se retrouver, le jugement secoué d'un spasme, la raison elle-même capturée, «évanouie» telle le Boulanger sur son tertre échu. Certains mystiques, et les fous connaissent bien cette chanson!

Au milieu du mot
qu'il essayait de dire
Entre sa joie et son rire fou
Il s'était doucement
et soudainement évanoui
Car ce Snark était un boojum voyez-vous


Enfin, si jamais, au terme de ce copieux snack, on se sent encore d'appétit, il ne faudrait surtout pas manquer les savoureuses mignardises proposées en dessert : onze mots-valise provenant de la première strophe du Jabberwocky, dans huit traductions françaises différentes, commentées ici par le linguiste Bernard Cerquiglini. Cet exercice ludique, brillant d'érudition, proposé autour d'un texte qui constitue «le rêve et le cauchemar» absolus de tout traducteur digne de ce nom, permettra entre autres, et si l'on veut bien, de composer une version, sa version «customisée» de la célèbre strophe, à partir des différentes propositions de traduction répertoriées (un peu comme dans ces vieux jeux d'habillage de poupée en carton, comportant des accessoires multiples et au choix, que j'avoue, en l'occurrence, avoir un tout petit peu redécoupés sur les bords) . Voici ma version :

Il brilgue, et lubricilleux les toves *
Gyraient et sur la plade gamblaient **
Tout chétristes étaient les borogoves ***
Les verchons fourgus bourniflaient ****

*(F. Warrin, 1935)
** (A. Bay, 1975)
*** (J. Brunius, 1944)
**** (H. Parisot, 1946)

Plein d'étoiles donc, et avec le sourire, pour cette salutaire cure de désintoxication langagière, à renouveler régulièrement chaque hiver..!
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« The Hunting of the Snark » (en français : La chasse au Snark) est un récit plutôt court (56 pages), sous forme de poème en huit épisodes, écrit en 1876 par Lewis Carroll. C'est l'histoire d'une chasse au Snark, un animal imaginaire, mi-serpent (en anglais : Snake), mi requin (en anglais : Shark). Dès les premières lignes du poème, vous êtes plongé dans un univers absurde où le non-sens est roi, où la logique n'a plus cours.

La chasse ayant lieu sur l'océan, le Snark est un animal des profondeurs ; il a la réputation d'être dangereux et difficile à localiser. L'Homme à la Cloche (en anglais : The Bellman) pilote cette chasse : personnage « déjanté », il interdit à son timonier, en vertu de l'article 42 du Code Naval, de parler à quiconque … comme il interdit à quiconque d'adresser la parole à son timonier. Résultat ? le bateau vogue au gré des vents et des flots sans direction aucune ; quant à la carte maritime, fournie dans sa grande sagesse (page 19) par l'Homme à la Cloche, elle n'aide pas réellement le timonier puisqu'il s'agit d'une feuille blanche, sans dessins et sans symboles conventionnels ; quant aux instructions aboyées par l'Homme à la Cloche, elles sont aussi peu compréhensibles (« Avant, bâbord toute, arrière, tribord toute ») que celles du Code de l'Amirauté. Bon, à en croire l'Homme à la Cloche, pour traverser les mers point n'est besoin de carte : la cloche suffit. Et puis, il y a l'équipage, et quel équipage : un boucher qui n'a qu'une idée fixe : chasser le Snark ; un castor apprivoisé qui se soucie aucunement de la chasse (page 33) et ne songe qu'à deux choses : ne pas s'approcher du boucher et faire de la dentelle ; un banquier qui propose à tous les membres de l'équipage une assurance à tarif réduit contre le feu et contre la grêle ; un avocat qui tente de démontrer que c'est un délit que de faire de la dentelle à bord et deux matelots plus ou moins analphabètes. La chasse s'avère nerveusement éprouvante mais … l'Homme à la Cloche veille : il demande au boulanger, qui - pour se sécuriser - n'en finit pas de raconter sa vie devant tout l'équipage (page 25), de « zapper » les 40 dernières années de son histoire personnelle ; il annonce au boucher, qui sanglote de peur (page 34), que le Snark est moins dangereux que le JubJub (animal imaginaire que le boucher et le castor croiront avoir aperçu) ; et, à tous, il annonce que le Snark est reconnaissable par son goût en bouche, par son habitude de se lever tard (il prend son petit-déjeuner à 5 heures de l'après-midi et dine le lendemain), par sa façon qu'il a d'apprécier les bonnes plaisanteries, par son adoration pour les cabines de bains et par son ambition sans bornes. On comprendra aisément que, dans ces conditions, loufoques et délirantes, personne ne puisse trouver le Snark ! Et pourtant, sur l'océan, à en croire Lewis Carroll, il y a plein de créatures dangereuses : le Bandersnatch, volatile au long cou et pourvu de mâchoires, que le banquier (page 51) affrontera en un combat inégal, le Thingumbob (un machin) dont l'équipage entendra le cri, le Boo (un fantôme) et bien d'autres. le récit se termine dramatiquement par la disparition du boulanger, probablement happé par un Boojum.

Au moment où Lewis Carroll écrit ce récit, Edward Lear jouit d'une très grande vogue, notamment grâce à son « Book of nonsense » : cet ouvrage, dans lequel l'auteur mettait en scène des créatures singulières, a probablement suggéré à Lewis Carroll son idée du Snark. « The Hunting of the Snark » est truffé de mots inventés et de mots-valises (le Snark étant lui-même un mot-valise) ; le bégaiement de Lewis Carroll pourrait être à l'origine de ces mots-valises, la hâte à s'exprimer, combinée au défaut d'élocution, ayant conduit l'auteur alors qu'il n'était encore qu'un enfant à aimer « fondre » deux mots en un seul. Les chapitres sont courts et font référence à chaque personnage du poème. Les situations sont délicieusement cocasses et absurdes (lisez en page 45 l'épisode du cochon qui est jugé pour avoir quitter illégalement son étable).

Et pourtant, il ne s'agit pas d'un poème gai. Lewis Carroll disait, citant une admiratrice qui y voyait une allégorie représentant la recherche du bonheur « Cela tient admirablement à bien des égards – en particulier pour ce qui concerne les cabines de bains : quand les gens sont las de la vie et ne peuvent trouver le bonheur ni dans les villes ni dans les livres, alors ils se ruent vers les plages, afin de voir ce que les cabines de bains pourront faire pour eux ». le lecteur pourra même ressentir ici ou là une impression de malaise : dans cette parodie du réel, dans cette quête désespérée du bonheur, la chasse tourne mal (puisque le boulanger disparait) et les personnages, frustrés, rentrent bredouilles. Ils ont tous échoué (et l'éducation comme l'origine sociale n'y auront rien fait) car ils n'ont pas réussi à se débarrasser de leurs propres peurs. Ancré dans la tradition populaire britannique, dans un style se situant à mi-chemin entre la berceuse et la comptine pour enfant, maniant habilement l'humour, mixant le réel et la fiction, Lewis Carroll nous conte une odyssée fantastique qui ravira les petits et les grands. Si vous y ajoutez la finesse et la précision des dessins croqués par Tove Jansson, vous avez entre les mains une petite merveille : certes, il faut aimer le non-sens et le fantastique. « The Hunting of the Snark » est l'une des meilleures réussites en vers de Lewis Carroll et l'une de ses oeuvres capitales. Lewis Carroll a ouvert la route qu'emprunteront, en France, Roussel, Artaud, Leiris, puis Queneau puis les oulipiens comme Roubaud, Salon, Fournel ou le Tellier.

A lire ou à relire.
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Abordons la comptine arithmétique de Lewis Caroll. 8 Fits, 8 “Crises” traverse-t-on pour apercevoir le Snark. Mais qu'est-ce que le Snark ? Carroll crée des personnages comme il crée des mots, des mots-valises qu'il utilise pour nous faire voyager à bord de son bateau. Des mots qui en apparence n'ont aucun sens comme dans le poème du Jabberwocky : ““Words whose utter inanity proved his insanity” (p.84) Mais Carroll est loin d'être fou lui qui se joue des mots comme d'autres se jouent des chiffres pour créer ou décrypter des algorithmes. Il propose une poésie structurée, suivant un schéma bien défini. Tentons de trouver une solution à la devinette du logicien qu'il est même si la langue qu'il emploie n'est pas nécessairement celle qu'on entend. En effet, on ne parle peut-être pas la même langue :

I said it in Hebrew - I said it in Dutch -
I said it in German and Greek :
But I wholly forgot (and it vexes me much)
That English is what you speak !”

Lire la Chasse au Snark m'a rappelé mes cours d'Anglais, de Linguistique et de Mathématiques. Lewis Carroll se rappelle aussi je crois de son enfance ou de ses heures passées à l'école en tant qu'enseignant lorsqu'il écrit Fit the Fifth : The Beaver's lesson, la leçon du Castor, introduite avec le chant du JubJub, avec toute la malice de Carroll :

“Then a scream, shrill and high, rent the shuddering sky
And they knew that some danger was near :
The Beaver turned pale to the tip of its tail,
And even the Butcher felt queer.

He thought of his childhood, left far far behind -
That blissful and innocent state -
The sound so exactly recalled to his mind
A pencil that squeaks on a slate !”
[Un cri qui sur l'ardoise grince]

“‘Tis the song of the Jubjub”

Ainsi donc, le Chant du Jubjub n'est autre que le cri qu'on entend lorsque grince un tableau noir ! Il s'ensuit la leçon d'arithmétique du Boucher qui demande au Castor de compter jusqu'à trois mais le Castor perd le fil même lorsqu'il essaie de compter avec ses doigts. “Il n'avait plus qu'à torturer sa pauvre cervelle pour reconstituer le total”. La leçon d'arithmétique est posée comme un devinette, bref, un véritable casse-tête ! Pauvre Castor ! le Boucher demande alors du papier et de l'encre et se fait à la fois professeur de mathématiques et écrivain, comme Lewis Carroll en somme. Il part de 3 et revient à 3 tout en usant d'additions, de soustractions, de multiplications, de divisions. La fin de son exercice est le point de départ : trois et c'est le même processus d'écriture qu'emploie Lewis Carroll dans la Chasse au Snark puisqu'il nous apprend dans la préface que le dernier vers de la Chasse au Snark est justement le premier vers de son invention. Pourquoi 3 dans la leçon ? Je cite ici un article d'Alice Develey lu dans Le Figaro :
“On peut [faire] une lecture linguistique du Snark, dont le récit confirme et met en acte ce que dit l'Homme à la cloche au début du récit, lorsqu'il lance: «Ce que je vous dis trois fois est vrai.» Tout le poème tourne autour de cela. Il suffit de dire une chose trois fois pour qu'elle devienne réalité: c'est l'action performative du langage, qui créé le réel alors qu'il s'énonce linéairement dans le temps. le Snark est ainsi un poème réflexif et métalittéraire qui traite de la capacité créatrice de la langue.” Si on part du principe que la leçon d'arithmétique est un miroir du processus d'écriture, et que dans la leçon le 3 se reflète puisqu'il est la fin et l'aboutissement, on ne peut que remarquer que le chiffre 3 se trace de haut en bas comme dans un miroir. Pourquoi 8 fits, 8 crises ? de même, le chiffre 8 se reflète de haut en bas. Pourquoi la lettre B caractérise-t-elle tous les membres de l'équipage ? de même parce qu'elle se trace en miroir de haut en bas, ainsi la surface reflète ce qui est de l'ordre du souterrain. Anecdote : Il paraît que Lewis Carroll signait parfois ses textes BB. Plus loin, l'écrivain se représente d'une drôle de manière puisque le Boucher écrit avec une plume dans chaque main comme s'il écrivait deux choses à la fois ( n'est-ce pas le principe du mot-valise d'écrire deux choses en une ?)

“As he wrote with a pen in each hand,
And explained all the while in a popular style
Which the Beaver could well understand”

Ainsi il s'adresse au Castor comme à un enfant, et il écrit, même s'il écrit de manière incompréhensible, d'une manière à se faire comprendre de lui. le Boucher ou Le Professeur passe de la leçon d'arithmétique à une leçon d'Histoire naturelle, oubliant toutes les convenances. Il décrit alors le Jubjub dans un portrait aussi pourvu de nonsense que tout autre portrait de Carroll. le Jubjub est tout aussi merveilleux “wonderful “ qu'horrifiant, monstrueux mais il est surtout drôle qu'on le fasse bouillir dans la sciure , qu'on le sale dans la colle, qu'on le concentre avec du ruban et des sauterelles, avec une recette de cuisine assez similaire à celle du Snark mais “sans jamais oublier c'est le but principal de préserver la symétrie de sa forme”. Cependant, la symétrie ne s'accomplit que dans l'asymétrie chez Carroll bien qu'Horace dans l'Art Poétique ou Epitre aux Pisons écrive :

“Qu'un peintre aille, un beau jour, poser tant bien que mal
La tête d'un humain sur le cou d'un cheval;
A des membres divers, monstrueux assemblage,
Que son caprice ajoute un bizarre plumage;
Qu'il termine en poisson le buste noble et beau
D'une femme: en voyant cet étrange tableau,
Chers Pisons, vous rirez, n'est-ce pas — Tel me semble
Un livre, amas confus d'objets mêlés ensemble
Sans principe ni fin, partant sans unité,
Rêves creux d'un cerveau par la fièvre agité.
Le peintre et le poète ont l'heureux privilège
De tout oser; ce droit qui toujours les protège,
Je l'accorde, bien plus, j'en réclame ma part,
Mais qu'il reste interdit par la nature et l'art
D'unir dans la même oeuvre, accouplant les contraires,
Aux tigres les brebis, aux oiseaux les vipères.
Un début est pompeux et nous promet beaucoup:
Pour éblouir les yeux soudain l'auteur y coud
Quelques lambeaux de pourpre... Une forêt sacrée,
Un autel de Diane, ou bien l'onde nacrée
D'un ruisseau qui gaîment parcourt des prés fleuris,
Ou le Rhin mugissant, ou l'écharpe d'Iris:
Magnifiques morceaux, s'ils étaient à leur place!
Tu sais peindre un cyprès: que veux-tu qu'il en fasse,
Ce pauvre naufragé, s'il te paie un tableau
Qui le montre, au milieu des débris d'un vaisseau,
Se sauvant à la nage? — Un tour de roue encore
Pour façonner l'objet... Quoi! j'attends une amphore.
Tu m'offres une tasse! — Un sujet bien traité
Doit apparaître à tous simple en son unité.”

Mais Carroll a un principe et une fin : son vers final ! “For a Snark was a Boojum, you see”. le Snark c'est une affaire absurde ou disons plutôt du nonsense pur, parce qu'il est monstrueux, à la foi snail, escargot, snake, serpent, shark, requin mais cet assemblage chaotique, informe en apparence, de trois animaux réel, le crée, le rend réel et en même temps irréel. Et il s'avère à la fois terrifiant, surprenant, parce qu'on sursaute en le voyant, et il est en même temps et surtout amusant, parce qu'enfantin : “It's a Snark [...] It's a Boo…”
Ainsi Carroll réserve-t-il son vers final, qui est dans son esprit le vers initial car son inspiration première, il réserve donc la surprise, pour la fin, bien qu'il annonce ce principe dès la préface. Ainsi fait-il du Snark quelque chose d'uni(que).
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Petit conte absurde et plein de gaité
N'ayant pas plus de raison que n'en a
L'homme à la cloche de sans cesse l'agiter
Ou le boucher d'affuter son coutelas.

Un sage professeur de mathématiques
Qui n'aimait fréquenter que les enfants
Et inventait des mondes fantastiques
L'écrivit un beau jour en chantonnant.

Ces Snarks si mystérieux, que sont-ils
Où donc se cache leur lointaine île
Lecteur trop curieux, tu ne le sauras

Qu'en cherchant dans ton imagination
Mais prend garde dans ton exploration
Ou jamais, jamais l'on ne te reverra !
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LA CHASSE AU SNARK de Lewis CARROLL (1856) traduit par Louis ARAGON (1929)

@editionsseghers
Édition bilingue

Celui qui rencontrera le Snark, cette créature imaginaire et mystérieuse, disparaîtra instantanément !

Notre équipage hétéroclite le savait-il avant de partir à sa poursuite dans la mer ?

Sous les ordres du Bellman, l'homme à la cloche, nos chasseurs de Snark :

Butcher, Baker, Bootblack, Beaver, Banker, Barrister etc… n'ont pas oublié d'être courageux.

"De le traquer avec des gobelets de le traquer avec soin.

De le poursuivre avec des fourches et de l'espoir.

De menacer sa vie avec une action de chemin de fer.

De le charmer avec des sourires et du savon. "

Personne n'est agacé lorsque la carte est dévoilée, elle représente la mer sans le moindre vestige de terre.

Le capitaine donne des ordres contradictoires: " barre à bâbord, piquez à tribord."

Dans ce poème épique en huit crises tout est absurde, drôle, le sens nous échappe et notre logique n'a plus court.

En attendant comment l'équipage va pouvoir reconnaître le Snark ?

Facile, au goût maigre, creux mais rissolé.

Il se lève tard, il prend son petit déjeuner à l'heure du thé et dîne le jour suivant. 

Il met du temps à saisir la plaisanterie, devant un calembour il a toujours l'air grave. Il trimballe avec lui son appareil à douche et enfin son ambition. 

Il y aurait plusieurs espèces de Snark, celui dont il faut se méfier est le Boojum.

Ou alors est-ce un mélange de serpent et de requin ?

Je n'ai pas lu d'autres traductions en français du Snark avant celle d'Aragon, je le ferai, je le ferai, je le ferai (cette pensée est vraie puisque je l'ai dite trois fois, comme le capitaine du poème).

Aragon dans ses traductions valorise le "mot à mot", il privilégie le rythme originel et non le mètre français ou l'ordre syntaxique courant, sa traduction ici est poétique et sensible, l'esprit ludique et fantastique de Carroll est conservé tout comme l'humour et le nonsense.

Un carré Seghers original, à savourer, un délice... pour retrouver le temps de la lecture du poème de 141 quatrains, l'émerveillement que nous avons tous connu en découvrant Alice, l'univers incroyable, si mystérieux, drôle et absurde de Lewis CARROLL

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Citations et extraits (25) Voir plus Ajouter une citation
VI. Le Rêve de l’Avocat

Il rêva qu’il était
dans un tribunal plein d’ombre
Où le Snark un monocle sur l’œil mis
En robe rabat et perruque
défendait un cochon
Accusé d’avoir déserté la porcherie.

( ...)

Travaux forcés à vie
Fut la sentence qu’il écrivit
Et ensuite une amende de quarante livres
Le jury applaudit
bien que le juge craignît
Que la phrase ne fût pas légalement solide.

Mais leur exultation farouche
reçut soudain une douche
Quand en larmes les informa le gardien de la prison
Que la sentence resterait
sans le moindre effet
Il était mort depuis des années le cochon.


VI. The Barrister’s dream

He dreamed that he stood in a shadowy Court,
Where the Snark, with a glass in its eye,
Dressed in gown, bands, and wig, was defending a pig
On the charge of deserting its sty.

(...)

«Transportation for life» was the sentence it gave,
«And then to be fined forty pounds.»
The Jury all cheered, though the Judge said he feared
That the phrase was not legally sound.

But their wild exultation was suddenly checked
When the jailer informed them, with tears,
Such a sentence would have not the slightest effect,
As the pig had been dead for some years.
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'As to temper the Jubjub's a desperate bird,
Since it lives in perpetual passion:
Its taste in costume is entirely absurd -
It is ages ahead of the fashion:

'But it knows any friend it has met once before:
It never will look at bride:
And in charity-meetings it stands at the door,
And collects - though it does not subscribe.

Its flavour when cooked is more exquisite far
Than mutton, or oysters, or eggs:
(Some think it keeps best in any ivory jar,
And some, in mahogany kegs:)

'You boil it in sawdust: you salt it in glue:
You condense it with locusts and tape:
Still keeping one principal object in view -
To preserve its symmetrical shape.' (page 40 & 41)
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page 26
[...]
He remarked to me then, 'said that mildest of men,
"If your Snark be a Snark, that is right:
Fetch it home by all means - you may serve it with greens,
And it's handy for striking a light.

You may seek it with thimbles - and seek it with care;
You may hunt it with forks and hope;
You may threaten its life with a railway-share;
You may charm it with smiles and soap -"

(That's exactly the method, 'the Bellman bold
In a hasty parenthesis cried,
That's exactly the way I have always been told
That the capture of Snarks should be tried!)
[...]
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Ils le chassèrent avec des dés à coudre
ils le chassèrent avec passion
Ils le poursuivirent avec des fourchettes et de l'espoir
Ils menacèrent sa vie
avec une action de chemin de fer
Ils le charmèrent avec des sourires et du savon.
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When at length he sat up and was able to speak,
His sad story he offered to tell;
And the Bellman cried “Silence! Not even a shriek!”
And excitedly tingled his bell.
There was silence supreme! Not a shriek, not a scream,
Scarcely even a howl or a groan,
As the man they called “Ho!” told his story of woe
In an antediluvian tone.
“My father and mother were honest, though poor—”
“Skip all that!” cried the Bellman in haste.
“If it once becomes dark, there’s no chance of a Snark—
We have hardly a minute to waste!”
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