Depuis qu'il publie, Benjamin a fait rentrer chez nous nombre d'auteurs... Emballements, agacements : Benjamin écoute les avis sans sourciller; la littérature doit finir au milieu de l'arène, c'est sa vocation.
Je crains de ne pas devenir celui que vous voulez.
Je crains de ne pas avoir été celui que vous vouliez.
Je crains d'être méconnu (peut-être est- ce pour cela que je ne veux pas rester inconnu).
Arrêter ce journal. Je crains d’y consigner tout ce qui pourrait forger la matière de mes prochains livres. Ne vaut-il pas mieux vivre dans la rétention ? Ainsi naissent les romans. Quand on ne peut plus se taire.
Comme un certain nombre de maladies mortelles qui ne manifestent leurs symptômes que lorsqu'il est trop tard, Benjamin connaissait sans doute l'évidence et pas si rare difficulté à vivre qui forge les êtres les plus résistants et coriaces, de ceux qui bataillent comme personne, font le plus proprement illusion et qu'on décrète par suite invincibles. A tort, bien sûr.
Benjamin cultivait les dernières paroles. C’était là un vice un peu morbide qu’il cultivait en forme de conjuration. Solennel et ironique, il me les citait avant d’entrer en scène. Il affectionnait tout particulièrement les derniers mots d’Henri Calet dans Peau d’Ours :
C’est sur la peau de mon cœur que l’on trouverait des rides.
Je suis déjà un peu parti, absent.
Faites comme si je n’étais pas là.
Ma voix ne porte plus très loin.
Mourir sans savoir ce qu’est la mort, ni la vie.
Il faut se quitter déjà ?
Ne me secouez pas. Je suis plein de larmes.
Solitaire, méfiant sitôt que le début d'un groupe pointait son nombre suspect, mais féru de tandem, déjà, recevant chaque mercredi après-midi un ou une camarade, jamais plus, volontiers autoritaire, vampirisant.
Emballements, agacements : Benjamin écoute les avis sans sourciller ; la littérature doit finir au milieu de l’arène, c’est sa vocation.
Aux autres, Benjamin s’arrangeait pour donner l’impression qu’il se livrait sans compter. Il avait fabriqué un second masque à celui, incompréhensible, de la pudeur. Il savait que la réserve et la discrétion, paradoxalement, le mettaient à nu ou, tout du moins, ne rendaient que plus visible son absence d’épanchement. Alors il était prolixe, comme pour mieux garder par-devers lui ce qu’il n’aurait souhaité brader sur le trottoir pour rien au monde. De même écrivait-il des fictions qui constituaient le compromis le plus confortable pour se livrer sans se deshabiller ni jeter son intimité en pâture. Je ne pouvais que l’y encourager: il ne faut pas faire confiance à ce que les autres feront de vous.
A nous, en revanche, Benjamin parlait beaucoup. Mais il ne nous disait pas la même chose à tous. Non pas qu’il bâtit des versions contradictoires de sa vie, il en distribuait plutôt les pans en fonction de ce que chacun lui inspirait.
Benjamin disait souvent qu'il s'était mis à écrire parce qu'il ne savait pas suffisamment faire entendre sa voix. Il venait du silence.
Que jamais les livres ne me soient une passion. Juste une nécessité. Qu'ils ne m'enlèvent jamais du monde et restent le prétexte à notre rencontre ou le moyen de ma solitude.