AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782710322061
158 pages
La Table ronde (14/01/1970)
4/5   1 notes
Résumé :
«Si j'avais écrit ce livre en espagnol, je l'aurais appelé : "Llanto por la Democratia"... sanglot pour la Démocratie. C'est une veillée funèbre. Je suis au chevet de l'agonisante et, dans le silence et la pénombre de la chambre, assis sur une chaise de paille, j'assiste aux derniers moments de notre bonne vieille Démocratie en train de casser sa pipe. Nous l'aimions. Je l'aimais. Ce n'était pas un amour fou mais raisonnable avec ce que cela supposait de routine, d'... >Voir plus
Que lire après L'agonie de la vieilleVoir plus
Citations et extraits (1) Ajouter une citation
O adolescents, ô étudiants de tous les Mai du monde, vous vous avancez aussi, bruissants et empanachés de mots et de slogans mystérieux. « Le fascisme ne passera pas ! » « Pouvoir-Étudiant ! » etc., ABRACADABRA ! Ça marche ! Ça déchaîne la colère, les coups, les commentaires et même les analyses des sociologues et des psychanalystes ! Provoquer cette rage ? Ah ! C'était trop beau pour être vrai. Or, c,est vrai et, partout, les grenades lacrymogènes fument, les policiers chargent, les voitures flambent... Et voici que le Roi des Adultes, lui-même, à la télévision, est obligé de prendre au sérieux vos incantations et vos danses.
Toute société est primitive et je me demande si vos danses et vos cris ne sont pas, en vérité, d'appel et d'invocation. Cette violence que vous dénoncez, je me demande en caressant rêveusement ma barbe si vous ne la souhaitez pas et ne l'appelez pas à coups de formules et de magies. Au père trop faible l'enfant lance : « Merde ! Tu es un con ! » et, enfin, l'Auguste gronde et, enfin, l'enfant s'émerveille de sourde joie et de terreur. Le chien qui dormait dans sa niche et chassait les mouches à coups de patte sans interrompre son rêve retrousse enfin lentement ses babines sur ses crocs, le poil de son échine se dresse et il tend ses jarrets pour bondir. O joie de le provoquer et de s'enfuir ! La chaîne est encore solide et le monstre réveillé ne vous sautera pas à la gorge. Pas encore. Vous le savez.
Car vous ne me ferez pas croire – à moi – que l'« injustice » vous morfond et que la « démocratie » parfaite est votre souci. Comme ça, en surface, oui. En mousse et en bulles irisées de mots, oui. Parce que pour l'heure, le vent de la fête souffle de ce côté-là et parce que ce sont des airs que l'orchestre joue, en pot-pourri, sous les charmilles.
Vous n'êtes pas démocrates. Aucune jeunesse ne l'est. La Démocratie est une invention d'adultes qui se ménagent et s'effraient des déchaînements du sexe, du sang et de la mort. Et de la vie. Vous rêvez de cartouchières, de commandos, de tribunaux, de torches et de fusillades, de cris et de chants, de drapeaux (rouges, pour l'heure) et de barricades, de complots, d'attentats, d'assauts, de discours enflammés et de fièvre aux joues. Votre jeu d,absolu, je vous apprendrai d'abord qu'il est un jeu et ensuite qu'il relève d'une mentalité et d'une idéologie que vous faites mine d'abominer mais dont vous retrouvez, spontanément, les gestes et les mots et les mythes. Vous rêvez d'être les soldats d'une cause qui vous ferait chanter. Dans le désordre. Mais l'excès de celui-ci précède et provoque toujours l'ordre. Avec des chants, des poignards à la ceinture et des insignes-grisgris, il est très facile de vous y convertir. Il suffit de donner à son exercice l'allure d'un jeu, les formules d'un sacré et – anges – de vous désigner le Diable. Gavroche se retrouve embrigadé et en train de crier : « Vive Staline, Hitler, Mussolini, Castro ou Mao Tsé-toung ! » Vive (un) Dieu, en somme.
Un libéral, un démocrate, un modéré, un parlementaire... pouah ! Des hommes politiques en veston... pouah ! Vous lorgnez du côté du boubou Lumumba, de la vareuse de Mao Tsé-toung, du béret de Che Guevara frappé d'une étoile ou des demi-bottes lacées de Castro. Je vous comprends très bien. Vous lorgnez du côté des Dieux. Si vous saviez comme je vous comprends ! Moi aussi (à mon âge ! J'ai mille ans !) je lace mes bottes, me coiffe d'une chapska, frappe mes revers de veston d'insigne, barre ma poitrine d'une cartouchière, arrime un poignard à mon flanc ! Moi aussi, les libéraux, les démocrates, les modérés, les parlementaires et les vestons m'emmerdent.
[…]
Ainsi, peut-être, ce qu'il y eut de plus déchirant, en France, au mois de mai 1968, fut-il l'appel de votre immense troupeau qui réclamait un berger. Dans les cours de vos facultés et de vos lycées, vous placardiez sur les murs des portraits de chefs politiques. Portraits-incantatoires. Portraits-appels. Voici nos Dieux ! Qui leur ressemble ?
Commenter  J’apprécie          140

Videos de Jean Cau (5) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Jean Cau
Radioscopie : Jacques Chancel reçoit Jean Cau
autres livres classés : politiqueVoir plus
Les plus populaires : Non-fiction Voir plus


Lecteurs (3) Voir plus




{* *}