Ce livre puise dans "l'intime" d'une femme en panne d'écriture.
La vie de Marie Chaix est jalonnée de deuils et d'abandons, et du lourd héritage d'être la fille d'un collabo condamné à la prison à perpétuité au sortir de la guerre ( et amnistié au bout de 8 ans)
L'écriture est ce qui l'a sauvée au début de sa vie d'adulte, une écriture autobiographique, exploratrice, explicative, peut-être réparatrice, en tout cas, nécessaire pour mettre à distance tout ce vécu douloureux.
La quête de cette femme est celle d'une sorte de vérité intérieure, c'est aussi, je pense, un moyen pour "s'unifier" et se réapproprier son histoire.
La panne d'écriture est arrivée au moment où l'éditeur qui vient de l'accompagner dans l'écriture d'un roman douloureux meurt brutalement.
Le manque de sa confiance, de son accompagnement patient et encourageant va assécher sa plume pendant plusieurs années jusqu'à ce qu'un nouveau deuil indirect
( séparation de sa fille d'avec son mari qui est pour elle une sorte de " frère" de plume) vienne réactiver des plaies mal cicatrisées.
Comment faire de toute cette matière intime une oeuvre littéraire? Au delà d'une vraie qualité d'écriture, je pense qu'il faut être touché par le questionnement de cette femme à plusieurs niveaux , ce qui a été le cas pour moi.
D'où vient le désir d'écriture, comment l'entretenir? Quelle place lui assigne-t-on,, quelles souffrances vient-il réparer?
J'ai aimé la voix sincère et pudique de l'auteure, l'exploration du lien mère/fille, et le chemin qu'elle nous permet de parcourir à ses côtés.
Je quitte le livre en ayant l'impression de confidences faites par une amie.
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Marie Chaix n'en finit pas d'essayer de regarder son passé depuis 1974 et les lauriers du lac de Constance qui racontait son enfance, la honte, elle l'enfant de la collaboration née en 1942 d'un père haut responsable du PPF, le parti de Jacques Doriot. Ce récit est aussi un travail sur la mémoire, sur sa mémoire même si paru en 2005, il fait suite à quinze ans de silence. Anéantie par la mort brutale de son ami et éditeur Alain Oulman, elle ne peut plus écrire. Ce décès n'est que la longue suite des morts ou départs des hommes de sa vie : son père, ses frères, son premier mari (qu'elle a pourtant quitté) et son gendre que sa fille quitte à son tour. le divorce de sa fille la bouleverse, elle cherche à comprendre pourquoi. Il n'est que la continuité des séparations et déchirures de son existence. L'auteur revient avec pudeur sur son enfance, sa jeunesse, sa vie d'adulte et sur le début de sa vieillesse (relative puisqu'elle a soixante ans lorsqu'elle achève l'écriture de ce récit, sur le déclin inéluctable du corps tout au moins).
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Quand on part, je m'en souviens, on voudrait que l'autre évolue en même temps que soi, qu'il ait envie de fuir lui aussi, dans le sens opposé si possible, qu'il change de décor, d'hémisphère... on voudrait poser des pansements magiques sur ses douleurs, sur sa bouche, qu'il se taise enfin et n'aille pas réveiller par ses lamentations la honte que l'on a de l'abandonner. (p.134)
(...) je crois que nous nous sommes blotties l'une contre l'autre à l'intérieur d'un amour vital, énorme et bizarre dont nous n'avions aucune idée. Un amour indispensable pour remplacer le corps de la mère devenu demeure dévastée.
Aujourd'hui je me dis que ce doit être terrible d'être l'enfant de quelqu'un dont on a honte sans savoir pourquoi ; et pourtant de l'aimer ; sans savoir pourquoi non plus. Sinon qu'il est le père.
Les pierres qui vous pèsent sur le cœur, il ne faut pas les lancer comme des pierres, ça fait trop mal et peut tuer. Il faut les transformer en mots et se les échanger. Parler, manier le langage. Les silences sont des pierres qui tuent. (p.78)
Plus tard j'allais comprendre que l'on n'est pas forcément esclave des ressemblances, du moment où l'on veut bien les identifier et s'en dégager. Cela demande un certain travail, c'est bien le moins.
Harry Mathews invité de la librairie Les Cahiers de Colette à Paris le 18 juin 1991 à l'occasion de la parution de "Cuisine de pays" aux éditions P.O.L avec dans la librairie notamment Harry Mathews, Marie Chaix, Colette Kerber, Paul Otchakovsky-Laurens, Jean Echenoz, Carine Toly...
Cuisine de pays, de Harry Mathews traduit de l?américain par Marie Chaix, Martin Winckler et Jean-Noël Vuarnet; Cuisine de pays est un recueil de treize nouvelles, où les techniques ludiques de l?Oulipo jouent un grand rôle. L?humour et la gravité s?y disputent la prééminence. On y apprendra non seulement la recette de la succulente (?) farce double, mais encore les raisons de la supériorité généralement admise des violonistes russes, ou encore les étonnants procédés de traduction du Pagolak. On ressentira aussi, à la lecture de ces textes qui vont de l?érudition joueuse au désespoir tranquille, un très réel vertige."
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