Enfant de salaud

Sorj Chalandon est un écrivain qui fait du bel ouvrage. Enfant de salaud n'est sans doute pas son roman le plus fort (Retour à Killybegs et le Quatrième mur demeurent incomparables), sans doute parce qu'il est l'un de ses plus intimes. Véritable oeuvre romanesque qui s'ancre dans l'histoire de l'auteur et de sa famille. Une fiction qui aurait pu être la réalité et qui est le cheminement des hantises d'une vie. Il est insupportable d'aimer un homme, un père tout en le sachant peu digne de respect. Il est une torture de devoir faire le départ entre l'amour et l'admiration. Pire, peut-être encore est de devoir constater qu'un homme qui s'est trompé au moment où nul n'en a le droit, qui a eu des réflexes opportunistes, qui s'est sauvé in extremis, a conservé en lui par la suite des convictions nauséabondes et n'a jamais fait le chemin à l'envers. Un chemin de la prise de conscience et de la rédemption, un chemin qui serait de réconciliation avec les valeurs et avec les siens. Enfant de salaud est l'histoire d'une incommunication, d'un dialogue impossible, de cette tentative désespérée de sauver l'amour filial quand l'admiration fera indéfectiblement défaut. le procès Barbie est le révélateur de cela, de la rédemption d'un fils pour le compte d'un père. Et les pages les plus fortes du roman sont celles où l'auteur, chroniqueur judicaire au moment du procès, donne une voix, une vie, de la chair aux témoins, aux survivants et aux enfants d'Isieu. Un mot enfin pour une confirmation. Une parole d'avocat… Il m'a toujours paru évident que Jacques Vergès salissait sa robe dans la manière dont il faisait son métier, confondant son ego et ses objectifs politiques avec la défense de ses clients. Même Barbie méritait lieux comme avocat. Sorj Chalandon le démontre magnifiquement.