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EAN : 9782358720052
150 pages
La Fabrique éditions (25/02/2010)
4.39/5   14 notes
Résumé :

Chasse aux esclaves fugitifs, aux Peaux-Rouges, aux peaux noires; chasse aux pauvres, aux exilés, aux apatrides, aux Juifs, aux sans-papiers: l'histoire des chasses à l'homme est une grille de lecture de la longue histoire de la violence des dominants. Ces chasses ne se résument pas à des techniques de traque et de capture : elles nécessitent de tracer des lignes de démarcation parmi les êtres humains pour savoir qui est... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
L'auteur, agrégé de philosophie et chercheur à l'Institut Marx Planck à Berlin, s'intéresse à ce phénomène particulier, dit cynégétique : l'homme qui chasse l'homme.

En commençant aux origines bibliques (avec Nemrod, roi de Babel et grand chasseur d'homme), il brosse un tableau des différentes chasses à l'homme, leurs réels mobiles (oui, mobile comme dans un crime), jusqu'au 21e siècle. Faisons simple, répertorions les différents type de chasse : chasses aux esclaves (dans l'Antiquité), chasse aux hommes-loups (quand un homme est banni de sa communauté), chasse d'acquisition (aller capturer des esclaves), chasse d'exclusion (chasser un homme de la communauté), chasse de domination (rappeler aux dominés qui est le dominant), chasse d'éradication (éliminer la proie). Tous ces éléments se recoupent, et selon lui ils ont tous joué dans les chasses aux Indiens en Amérique.
La chasse est une question de pouvoir, le dominant chasse le dominé, souvent en utilisant un intermédiaire, comme le chien, évidemment, ou des dominés élevés au grade de valet de chasse (métis chassant des Africains, des Indiens).

Historiquement, la Bible distingue la souveraineté cynégétique (Nemrod, roi chasseur capture des hommes dans un espace pour les enfermer dans Babel et les obliger à construire la cité, leur prison) de la souveraineté pastorale (Abraham le berger soigne les siens, protège son troupeau).
Du coup, le christianisme, pour se débarrasser de l'hérétique, de celui qui menace de contaminer le troupeau, pratique la chasse d'exclusion en excommuniant l'indésirable.
Or, cette chasse ne concerne pas seulement la proie, mais comme dans beaucoup de cas, interdit est fait à la communauté d'aider la proie. Notons que le bannissement, la condamnation par contumace, ce genre de choses, révèlent une faiblesse du pouvoir, incapable de capture le « criminel », et déléguant finalement à tout le monde le pouvoir de la violence légitime. L'auteur le précise, le développement de la police étatique au 19e siècle puis au 20e va rendre le bannissement de moins en moins courant, le supprimer : nul ne s'échappe d'un monde fini.

Il évoque très bien comment la chasse aux Africains, pour alimenter le commerce d'esclave, est d'abord une initiative européenne (Portugaise pour être précis), au service du commerce européen, et que très vite va s'instituer un système pervers où les Africains, pour le profit, vont entretenir eux-mêmes la chasse.
Le développement du capitalisme engendre ce type de comportement, et tout est fait pour dénier aux Nègres, puisque c'est le mot, toute humanité, ou d'une moins toute égalité avec les autres hommes, entretenant le paradoxe de préciser qu'ils ont mérité leur sort puisqu'ils s'exploitent eux-mêmes, mais en même temps on les déteste et les massacre quand ils se révoltent ou s'enfuient.
Paradoxe, relevé depuis le début de la chasse à l'homme et de la volonté de la justifier : la proie, que l'on méprise et rabaisse le plus possible, que l'on estime être proie par nature pour pouvoir la chasser en toute légitimité, cette proie se refuse souvent à être considérée comme tel, un comble n'est-ce pas ?
En plus, comme tout bon chasseur doit penser comme sa proie, on préfère recourir à des dominés pour chasser leurs frères, car c'est bien connu, un Nègre pense comme un Nègre, comme cela on ne s'abaisse pas au niveau de la proie.
Le problème, c'est qu'une proie résistant activement, si elle veut vivre, raisonne comme un chasseur et devient dangereuse. En somme, plus les esclavagistes clament qu'il faut avoir des esclaves car il est dans la nature des Indiens et des Nègres d'être esclaves, plus, inversement, ils s'arment pour prévenir la révolte d'être censés être incapables de vivre libre. D'ailleurs, toute révolte d'esclave, même d'ampleur, est symboliquement traitée comme une chasse, car l'envisager comme une guerre, serait reconnaître un statut d'ennemi, et non de proie, aux révoltés.

Quittant le cas spécifique de l'esclavage, l'auteur développe la chasse aux pauvres qui va naître au seizième siècle puis s'intensifier, au fur et à mesure que le statut du pauvre, figure du Christ, régresse, et que l'on préfère les enfermer pour leur donner du travail obligatoire. C'est bien connu, le riche à l'oisiveté productive, le pauvre à l'oisiveté malsaine.
Pour l'auteur, l'enfermement dans les Hôpitaux, c'est le terme, va permettre la naissance du salariat : une masse de travailleurs, corvéables, vulnérables.

Cette chasse, plus institutionnelle, est différente de la meute et du lynchage : si le lynchage semble spontané, l'analyse des émeutes et des lynchages montre toujours un fort contexte social (sudiste américains élevés dans la haine et la peur des anciens esclaves, ouvrier nationaux méfiants face aux ouvriers étrangers, peuple contre les Juifs).
Généralement, le pouvoir en place laisse faire, car c'est un dérivatif à la contestation sociale : le Juif prélève l'argent au profit de l'état, l'ouvrier étranger fait baisser le coût du travail, il est plus facile de faire un pogrom en Russie tsariste que d'attaquer l'état, le Noir doit être « remis à sa place », etc.

Nos sociétés modernes développent avec entrain la chasse à l'homme illégal : sans papier, sans patrie, cet homme a beau se tenir devant vous, il n'existe pas. La proie est déshumanisée, c'est un animal, et déclassé sur « la chaîne alimentaire », vit dans la peur d'être « dévorée » par un autre homme : dénoncée, traquée, arrêtée.
Avec la fiction administrative, dans une même ville cohabite des hommes légaux et des hommes illégaux, comme du temps des chasses d'exclusion, tout leur devient impossible (compte en banque, location, etc.). Étant illégaux, c'est la caution morale de la société, ils ont pourtant un intérêt économique dont les dominants légaux tirent profit : on les exploite. Comme du temps de l'excommunication, il est interdit à la communauté d'aider ces hommes là.
Et là où les anciennes sociétés apposaient des marques sur le corps pour distinguer la proie, avec les nouvelles technologies, tout notre corps est notre marque (empreinte digitale, ADN).

Les chasses à l'homme, c'est d'abord l'histoire du pouvoir, des dominants et des dominés, et au lieu de retourner le rapport de prédation entre les hommes (où le chassé devient le chasseur), il faudrait l'abolir. Tout comme on a aboli l'esclavage, avec tout le mal que l'on sait et sa perpétuation sous d'autres formes. C'est d'abord une lutte politique, que des intérêts économiques s'efforcent d'empêcher au nom de leurs profits.
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Grégoire Chamayou met en perspective différentes périodes, de chasse à l'homme, dans la longue histoire de la violence des dominants.

L'auteur nous rappelle, dans un premier chapitre « La chasse aux boeufs bipèdes » que la chasse à l'homme « ne fabrique pas son objet mais l'obtient par prélèvement sur une extériorité. » Technique de pouvoir, la chasse ne figure cependant pas parmi les arts politiques à part entière dans la cité grecque.

L'auteur aborde son sujet par son véritable coeur « L'histoire des chasses à l'homme se fera donc par celles des techniques de traque et de capture mais aussi par celle des procédés d'exclusion, des lignes de démarcation tracée au sein de la communauté humaine afin d'y définir les hommes chassables »

Une rupture est introduite avec le christianisme. La « chasse pastorale » se déploie au nom de la protection du troupeau. C'est l'objet d'un chapitre « Brebis galeuses et hommes loups. »

Puis l'auteur analysera successivement « La chasse aux indiens », « La chasse aux peaux noires », « La chasse aux pauvres », « Les chasses policières », « La chasses aux étrangers » (en fait, chasse aux travailleurs étrangers), « La chasse aux Juifs » et « La chasse aux hommes illégaux ».

Dans ce dernier chapitre l'auteur rejoint les analyses des auteurs de Douce France. Rafles Rétentions Expulsion (Sous la direction d'Olivier le Cour Grandmaison, Editions Seuil-RESF, Paris 2009). « Si l'apatride est exclu du régime de la protection légale, ce n'est pas pour avoir commis une infraction : au contraire, il est lui-même cette infraction, du seul fait de son existence, par sa seule présence sur le territoire de l'État-nation. » L'exclusion légale des travailleurs sans papiers permet leur inclusion dans des conditions salariales d'extrême vulnérabilité et concoure à la dérégulation de l'ensemble du rapport salarial.

Dans le chapitre sur « La dialectique du chasseur et du chassé », Grégoire Chamayou souligne « la chasse suppose une forme d'empathie avec la proie : pour traquer efficacement, il faut se mettre à sa place. Or cette opération mentale impliquait de nier la distance sociale absolue que le rapport de chasse visait précisément à réinstaurer entre les maîtres et leurs esclaves »

L'auteur pense les contradictions de la civilisation, du contemporain « En posant l'extériorité de la barbarie à la civilisation sur le mode d'un évolutionnisme horloger, on s'empêche en fait de saisir ce que la barbarie peut avoir de contemporain, la façon dont elle peut continuer d'habiter la »civilisation » même comme sa condition cachée. » Et en tire des conclusions en terme d'émancipation « Sortir de l'ornière passe par réactivation de catégories non-judiciaires de l'identification politique, par la reconnaissance d'une subjectivité active parce que déjà engagée dans un processus d'auto-émancipation. »

Il conviendrait aussi de prendre en compte les rapports sociaux de sexe (de genre) pour mieux comprendre ces politiques de chasses qui ne se limitent pas aux hommes.

Lectures complémentaires possibles : Nathan Wachtel : La logique des bûchers (Éditions du Seuil, Paris 2009) ; Olivier le Cour Grandmaison : Coloniser Exterminer. Sur la guerre et l'Etat colonial.( Fayard, Paris 2005)
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L'histoire des chasses à l'homme comme fragment de la longue histoire de la violence des dominants.

Sur mon blog : https://charybde2.wordpress.com/2017/06/20/note-de-lecture-les-chasses-a-lhomme-gregoire-chamayou/
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Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
Une chasse bien singulière eut lieu en France, au XVe siècle, dans le parc d’Amboise. Le roi Louis XI, à qui l’on avait fait « l’affreux plaisir d’une chasse d’homme », se lança à la poursuite d’un condamné couvert d’une « peau de cerf fraîchement tué ». Lâché dans le domaine et bientôt rattrapé par la meute royale, celui-ci périt « déchiré par les chiens ».
Faire l’histoire des chasses à l’homme, c’est écrire un fragment de la longue histoire de la violence des dominants. C’est faire l’histoire de technologies de prédation indispensables à l’instauration et la reproduction des rapports de domination.
La chasse à l’homme n’est pas à entendre ici comme une métaphore. Elle désigne des phénomènes historiques concrets, où des êtres humains furent traqués, poursuivis, capturés ou tués dans les formes de la chasse ; des pratiques régulières et parfois massives, dont les premières formes furent théorisées dans l’Antiquité grecque avant de connaître un formidable essor à la période moderne, à l’unisson du développement d’un capitalisme transatlantique.
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L’histoire des chasses à l’homme se fera donc par celles des techniques de traque et de capture mais aussi par celle des procédés d’exclusion, des lignes de démarcation tracée au sein de la communauté humaine afin d’y définir les hommes chassables
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Aujourd’hui, la xénophobie d’État, si elle rompt avec les chasses d’extermination du racisme biologique, réactive et reconfigure certains traits fondamentaux des anciennes chasses de proscription. Les politiques d’illégalisation des migrants se fondent paradoxalement sur une conception territoriale de la souveraineté que sa pratique aboutit de fait à nier. Une politique mortifère qui, par l’exclusion légale, assure l’inclusion paradoxale des nouveaux dépossédés juridiques dans les rapports d’exploitation en même temps qu’elle les vulnérabilise par des politiques actives de traque et d’insécurisation.
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La chasse se définit comme l’ « action de chasser, de poursuivre », ce qui « se dit particulièrement de la poursuite des bêtes », mais chasser signifie aussi « mettre dehors avec violence, contraindre, forcer de sortir de quelque lieu ». Il y a la chasse poursuite et la chasse expulsion. La chasse qui capture et la chasse qui exclut. Deux opérations distinctes, mais qui peuvent s’articuler dans un rapport de complémentarité : chasser des hommes, les traquer, suppose souvent de les avoir au préalable chassés, expulsés ou exclus d’un ordre commun. Toute chasse s’accompagne d’une théorie de sa proie, qui dit pourquoi, en vertu de quelle différence, de quelle distinction, certains peuvent être chassés et d’autres pas. L’histoire des chasses à l’homme se fera donc par celle des techniques de traque et de capture, mais aussi par celle des procédés d’exclusion, des lignes de démarcation tracées au sein de la communauté humaine afin d’y définir les hommes chassables.
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Hier comme aujourd’hui, à défaut d'éradiquer la pauvreté, il fallait rendre les pauvres invisibles.

p121
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Videos de Grégoire Chamayou (4) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Grégoire Chamayou
Une collection d'entretiens et de débats sur l'écologie à travers les livres, par la rédaction de Mediapart et la revue Terrestres. Première émission: "Comment agir dans un monde qu'on effondre? A propos de Devant l'effondrement (Yves Cochet), le champignon de la fin du monde (Anna Tsing), La société ingouvernable (Grégoire Chamayou).
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