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EAN : 9782070136186
272 pages
Gallimard (01/03/2012)
3.38/5   72 notes
Résumé :
Robinson Crusoé vient de passer vingt ans de solitude dans son île déserte. Il a dû reconstruire son équilibre. C'est avec fierté, celle d'avoir soumis l'île à sa domination, qu'il entame ce matin-là une promenade rituelle sur la plage où il avait mystérieusement échoué il y a tant d'années. C'est alors qu'il découvre l'inconcevable : dans le sable, une empreinte. Celle d'un homme. Passé l'affolement, puis la posture agressive et guerrière, le solitaire s'élance à l... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (25) Voir plus Ajouter une critique
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Depuis vingt ans déjà, Robinson habite son île déserte. Il se présente comme un homme au-delà des peurs et de la solitude, un être apaisé et en harmonie avec lui-même et son univers : « l'idée de mourir là ne m'effrayait plus ; » (p. 21) le naufragé s'est créé une civilisation pour lui seul : « j'étais de fait la seule survivance capable d'assumer le nom d'homme ; » (p. 25) Mais voilà qu'un jour, à l'occasion d'une promenade commémorative, Robinson découvre une empreinte d'homme sur le sable. Pour Robinson, la stupeur se mêle de terreur : « quelqu'un d'autre que moi-même était maintenant sur l'île ! » (p. 45)

Passée la première prostration, Robinson décide de se mettre en chasse et de débusquer l'intrus. Il refuse de partager l'île et veut s'affirmer seul maître du territoire qu'il a lentement apprivoisé. « j'attendais cet autre pour le combattre ; j'attendais pour le tuer, et pour rester vivant ; » (p. 57) Ne plus être le centre, ne plus être unique, c'est inimaginable pour Robinson. L'Autre, impensable pendant des années, est une irréalité qui a pris corps. Au cours de sa traque, Robinson redécouvre l'île et se redécouvre humain. Et si cette empreinte n'était pas une menace, mais une promesse ? Robinson se découvre « une soif inapaisable pour une goutte d'humanité » (p. 86) : il ne peut plus se suffire en tant qu'homme, il a besoin de sortir de lui-même.

L'empreinte est permanente, à jamais figée dans le sable de la plage originelle. Elle représente la folie et l'obsession du naufragé. Cette empreinte dans le sable, signe ô combien fugace, c'est la signature de l'humain et la preuve que l'île est devenue le tableau d'un homme. Toutefois, même si cette marque ne disparaît pas, elle est un paraphe dérisoire, la preuve ridicule d'une existence particulière au sein d'un univers qui ne cesse pas de s'épanouir, avec ou sans l'homme.

Ce nouveau Robinson parle sans majuscule, ni point. Son récit est un continuum de pensées et de paroles, un discours débité sans reprendre haleine. le point-virgule n'y est pas respiration, ce n'est que la marque d'une pensée effilochée qui se livre par bribes impatientes. Par un surprenant effet de mimétisme, la parole se fait jungle comme celle de l'île. Dans les notes en fin d'ouvrage, Patrick Chamoiseau justifie son choix du point-virgule : « le point-virgule s'est imposé, je ne sais pas pourquoi, peut-être l'idée du flux de conscience, de l'instabilité mentale, de la saisie qui ne raconte pas. Ce n'est pas le point-virgule de Flaubert. » (p. 239)

Patrick Chamoiseau offre un roman riche d'une grande intertextualité. J'avais préféré le Robinson de Michel Tournier à celui de Daniel Defoe. le premier m'était plus sympathique et plus humain, car plus sensuel. le Robinson Crusoé de Patrick Chamoiseau est, selon moi, plus proche de Tournier que de Defoe. Cette nouvelle robinsonnade explore des thèmes classiques comme la solitude, l'humanité, l'altérité, la folie, la culture face à la nature. Mais l'auteur les traite avec une plume nouvelle et une audace littéraire très marquée. Surtout, lisez bien les quelques pages du Journal du capitaine. Ne vous précipitez pas, lisez-les comme elles se présentent afin de découvrir l'histoire de ce Robinson, l'histoire de tous les Robinson. Patrick Chamoiseau se place au bout d'une longue lignée d'écrivains, mais son texte se veut celui des origines. C'est surprenant, époustouflant et superbement convaincant !
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A la croisée des chemins entre le Robinson Crusoé historique de Daniel Defoe et le Vendredi ou les limbes du Pacifique de Tournier, Patrick Chamoiseau nous propose sa propre réécriture du mythe littéraire énorme qu'est Robinson.

En ce qui concerne la narration, le choix est porté sur un récit-fleuve par “Robinson” lui-même, avec l'utilisation presque exclusive du point-virgule pour toute ponctuation (avec la virgule) : “étrange, le point-virgule, il n'arrête pas mais précipite, quelquefois il suspend légérement, mais précipite quand même.” (L'atelier de l'empreinte. Chutes et note). Un point-virgule qui impacte le rythme et le sens du texte, comme on le verra par la suite.

Robinson s'est installé sur son île. Bizarrement, il ne se rappelle pas comment il est arrivé là, attaché à un baudrier qui porte ce seul nom : Robinson Crusoé. Sans identité, il décide de l'adopter.

“j'avais conscience que ma perte de mémoire avait effacé tout rapport à ma propre personne, mais cette altérité si radicale, qui surgissait dans ce que mon moi-même avait de plus fondamental, m'était très difficile à vivre ; j'habitais un étranger;”

Cependant, la vie s'organise, les années passent et il remplit toutes les tâches décrites dans les deux Robinson précédents : occupant l'île comme un seigneur, il domestique, fabrique, cuisine. C'est la première partie, celle du constructeur. Et puis un jour, il découvre une empreinte de pas humain. Et c'est la frénésie. Après quelques mois où il perd la tête car il n'est plus habitué à la compagnie humaine, il décide de chercher cet être. Mais il est seul : “J'étais entré dans un douloureux rapport à moi-même.” C'est le début d'une lente évolution, qui fait écho ici davantage au texte de Tournier.

Je ne veux pas dévoiler plus du cheminement du personnage, de la peur de la mort à l'accomplissement de la beauté et de l'art.

Le roman se décline en plusieurs phases bien distinctes qui toutes représentent une facette de l'humanité : l'idiot dans sa caverne, puis sa sortie, sa redécouverte de l'île qu'il n'avait jamais vraiment vu, aveuglé par sa frénésie de maîtrise de la nature. C'est l'allégorie de la caverne de Platon. D'ailleurs Chamoiseau fait le choix de lui laisser Héraclite et Parménide entre les mains, alors que le Robinson de Defoe n'a que la Bible. Une différence de lectures qui éclaire le décalage entre les deux oeuvres.

La réécriture de Chamoiseau est intéressante car elle examine le rapport du naufragé avec lui-même. On voit comment il se perd, se reprend en main, reprend conscience de lui-même, de son attitude, de son physique. On suit comment il tend à plusieurs reprises à la limite extrême de la raison. le débit saccadé du texte rend le risque de la folie encore plus présent.

Petit à petit, il décortique tout ce qui fait l'homme : le désir de possession, la parole, la pensée, la nécessité de nommer les choses, et puis l'art, dont “Robinson” s'aperçoit qu'il est l'acte ultime et que tout le reste est vain. Son regard s'affirme, induit de la lumière dans tout ce qu'il voit, observe : “je n'éprouvais aucune envie de construire, de chasser, de régenter ce lieu, seulement le désir immense de percevoir ce Quoi que le faste naturel de l'île me laissait supposer, et qui était en elle, tout comme il était en moi.”

*

“Au bout de tout cela, seigneur, j'étais tombé en connaissance, c'est-à-dire dans ce questionnement angoissé sur ce que j'étais dans cette île, avec la certitude de garder cette question comme un inatteignable soleil tout autant qu'un mapian, comme disent les nègres de plantation à propos de ces blessures qui ne guérissent jamais …;”

Servi par une langue magnifique, le texte de Patrick Chamoiseau nous transporte sur cette île, aussi bien dans cette nature luxuriante et bienveillante, qu'en plein coeur d'une réflexion philosophique sur la condition humaine, sur l'individu, par le parcours fin et sensible d'un personnage mythique revisité.
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"seigneur, je naquis de nouveau en cette année dont je ne savais rien, en cette heure d'équinoxe sur mon île oubliée, sans doute à l'instant même où j'éprouvais le sentiment de m'insinuer entre deux masses de lumière". Chamoiseau propose une relecture époustouflante de Robinson Crusoé, ce livre "resté ouvert comme une lumière dans [sa] mémoire."

"après toutes ces années, je peux dire que là j'étais heureux, sans espérantouille vaine, sans la gale d'un regret, juste impeccable dans mon ordonnance souveraine de cette rognure de terre". Robinson est naufragé depuis fort longtemps, et il survit en son île grâce à une foule de rituels qui lui permettent de sauvegarder sa raison. Tantôt aux abords de la folie, tantôt bien au-delà, sauvé par la lecture d'Héraclite et Parménide, Robinson poursuit son monologue intérieur au sein d'une très longue phrase, porté par un seul long souffle comme un courant de conscience, mais un souffle rythmé par le ressac, comme une longue respiration, sous-tendue par la langue succulente de Chamoiseau.


"cette obsession modifia le rapport que j'entretenais avec l'île alors que j'avais passé ces vingt dernières années à la mettre à distance, à la tenir pour ainsi dire en respect, je commençais à mieux accepter d'être en elle, d'être à elle, et qu'elle soit en moi-même ; l'idée seule de la perdre - pauvreté de la nature humaine ! - me la rendait désirable et précieuse". Tour à tour piège mortel ou jardin d'Eden, l'île est un personnage à part entière ... sinon LE personnage du récit, si on la considère dans son lien intrinsèque avec l'homme-île qui l'habite et l'aménage. du désespoir terrifié des débuts jusqu'à la fierté du bâtisseur, d'ennemie l'île devient accueil et support d'une renaissance à soi-même dans une dilatation extrême du temps.


Tout le récit s'organise autour de la découverte d'une empreinte sur la plage qui fait vaciller la raison de Robinson et donne son titre à l'ouvrage "... et chaque orteil ruait dedans mon entendement comme autant d'alarmes, de haines, de colères, de menaces, le tout pourtant mêlé à la bouffée inexplicable d'un enthousiasme terrifiant : c'était une empreinte d'homme"

La "tempête mentale ininterrompue, proche du délire" est rendue superbement par une syntaxe déroutante, sans point mais émaillée de points-virgules. Dans ce très beau texte construit à la première personne dans un subtil réseau d'échos, Chamoiseau cherche et trouve "l'essence même de l'homme vrai". Avec une fin surprenante en forme de chute réaffirmant l'universalité de la condition humaine au travers de la "situation Robinson", et un ouvrage qui se referme sur de magnifiques fragments offrant un autre point de vue sur la lecture et l'écriture de cette Empreinte à Crusoé. Empreint d'un humanisme et d'une humanité profonde, L'Empreinte à Crusoé est définitivement porteur d'un universel. En bref, un grand livre.

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Chamoiseau réinvente le mythe de Robinson, quelque part entre celui de Defoe et celui de Tournier, dans un roman multicolore à la langue foisonnante et extrêmement inventive.
Robinson vient de passer les vingt dernières années de sa vie sur une île déserte mais sa solitude est toute relative, peuplée des chants d'oiseaux, du bruit du vent dans les feuilles, d'odeurs de frangipane, de rose, de papaye… et surtout de cet Autre qu'il ne voit pas plus que nous mais qu'il imagine partout, derrière chaque bruit provenant d'un buisson, chaque mouvement qu'il croit détecter depuis qu'il a découvert une empreinte dans le sable.
Le lecteur suit les pensées de cet étrange Robinson qui évolue au coeur d'une nature luxuriante extraordinaire qui l'oblige à trouver d'autres mots, à les assembler différemment, à réinventer un vocabulaire adapté à l'île.

« L'empreinte à Crusoé » est un très beau roman de Patrick Chamoiseau, plein de sensualité et de magie (on y croise elfes et korrigans), une ode à l'imagination du romancier, un hommage à la langue française nourrie d'autres cultures (créoles notamment mais pas seulement).
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" Je craignais qu'une tempête ne dévaste la plage et n'emporte l'empreinte à tout jamais; sa disparition me renverrait à une solitude que j'étais désormais inapte à supporter."

Le narrateur vit seul depuis plus de vingt sur une île déserte. Après avoir établi des règles d'organisation, la solitude et les errements lui font découvrir une empreinte sur la plage. Cette marque va susciter énormément d'émotions : la peur puis l'espoir mais aussi la déception, l'imagination. L'auteur excelle dans les descriptions de tous ces états d'âme.

Le style est très (peut-être trop) descriptif, ce qui fait à la fois la force mais aussi la lourdeur du récit

Bien évidemment, je me suis délectée des descriptions de lieux (notamment l'invasion des tortues), des divagations du narrateur. Il y a notamment un passage où la description aiguise tous les sens. On passe de la vue pour la contemplation du lieu à l'ouïe avec les bruits des animaux, au toucher avec le souffle du vent, à l'odorat avec les parfums de la foret et au goût avec la viande des proies.

Mais même si les émotions du héros sont très changeantes, le style se révèle vite assez lourd et ennuyeux.

J'avais lu, il y a quelques temps Vendredi ou la vie sauvage de Michel Tournier et cela m'a paru plus vivant. Peut-être parce qu'il y a un réel Dimanche mais aussi parce que les évolutions humaines sont progressives et empreintes de plus d'humanité (tristesse, rire, tendresse).

Le dernier chapitre, L'atelier de l'empreinte, éclaire le lecteur sur l'objectif de l'auteur, celui d'être à mi chemin entre Defoe et Tournier, d'interpréter différemment les mêmes évènements, de se centrer davantage sur l'individuation. Il faudrait peut-être lire ce dernier chapitre avant de lire le roman.

J'ai apprécié la chute de l'histoire qui donne une réelle différence au récit et qui témoigne d'une volonté de s'approprier un livre très connu avec une réelle identité.
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critiques presse (2)
Lexpress
07 mars 2012
Fascinant et déroutant à la fois
Lire la critique sur le site : Lexpress
Lhumanite
05 mars 2012
Le roman de Patrick Chamoiseau, moment rare d’intertextualité, s’élève alors au niveau d’un conte philosophique de notre temps.
Lire la critique sur le site : Lhumanite
Citations et extraits (53) Voir plus Ajouter une citation
"j'avais conscience que ma perte de mémoire avait effacé tout rapport à ma propre personne, mais cette altérité si radicale, qui surgissait dans ce que mon moi-même avait de plus fondamental, m'était très difficile à vivre ; j'habitais un étranger;"
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cela pour vous dire, seigneur, que je fus à peine émotionné de voir l'immense voilure de votre navire apparaître au bout du promontoire ; j'y allais chaque matin m'ouvrir et le corps et l'esprit dans le mouvement du vent ; des papillons m'accompagnaient, mais aussi des ramiers, et un couple de poules d'eau, comme aimantés par ma présence ; les perroquets suivaient le même rituel ainsi que quelques cabris et deux-trois boucs qui avaient rejoint mon bouc à mauvaise tête ; il y avait une tortue de terre qui se tenait toujours à ma gauche, et dont le rythme s'accommodait sans encombre à mon pas lent et à ma démarche tranquille ; du haut de cette falaise de rocaille vive, couverte de milliers de petits crabes, je découvris les voiles de votre brick qui avançait paisiblement, à bonne distance de la barrière des cayes ; je sus ainsi que vous connaissiez déjà cet endroit ; cela aurait dû être un spectacle féérique pour mon pauvre esprit ; il avait tant désiré voir cela !... l'avait tant invoqué dans tellement de délires et de fiévreuses chimères !... 
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« Le point-virgule s’est imposé, je ne sais pas pourquoi, peut-être l’idée du flux de conscience, de l’instabilité mentale, de la saisie qui ne raconte pas. Ce n’est pas le point-virgule de Flaubert. » (p. 239)
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A force de vivre seul, j'étais devenu d'une sensibilité semblable à un champ de ruines;
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ce fut sans doute la période la plus heureuse de mon existence, un bonheur où j'allais sans dieu, sans diable, sans une quelconque croyance capable d'expédier mon esprit dans un vieux labyrinthe ; rien d'autre que de temps en temps le surgissement de l'angoisse, l'aigu passage d'une nausée, le faste d'un beau malaise, mais ils ne me procuraient plus aucun affolement, juste la sensation d'un immense commencement : un lieu inaugural où je pourrais enfin dans une conscience dénudée, très rêche, solitaire à l'extrême et solidaire autant, bâtir tout ce que je pouvais être.
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