Le risque est grand de lire l'intégralité de l'oeuvre du dieu Char. Et, de fait, la réputation, le mythe du grand homme, héros de la Résistance, quasi canonisé et qui a pu séduire le lecteur par quelques poèmes ou recueils, ne suffit à cacher faiblesses, facilités, tics, gongorismes et autres coquetteries. le poète qui, lui-même, s'employa (fort habilement) à construire son piédestal, prenant une hauteur bien présomptueuse sur tous les autres poètes français de sa génération, joua souvent le donneur de leçons; ainsi eut-il le culot d'écrire : "Le poète se remarque à la quantité de pages insignifiantes qu'il n'écrit pas." Une sentence qui ne peut que se retourner contre lui quand son lecteur atteint la 1 230e page. Faites ce que je dis, ne dites pas ce que je fais...
Écrivant cet avis, je me sens fichtrement coupable de crime de lèse-majesté tant il semble que nul n'ait le droit d'égratigner le Maître...
Commenter  J’apprécie         60
poète ,marcheur sur les chemins de Provence, et, engagé pour la liberté. Amoureux des oiseaux et surtout des femmes, ébloui de soleil mais toujours en éveil.
Commenter  J’apprécie         20
On se laisse séduire doucement, émerveillé.
Commenter  J’apprécie         40
Commune présence
[...]
II.
Tu es pressé d’écrire
Comme si tu étais en retard sur la vie.
S’il en est ainsi fais cortège à tes sources.
Hâte-toi
Hâte-toi de transmettre
Ta part de merveilleux de rébellion de bienfaisance.
Effectivement tu es en retard sur la vie
La vie inexprimable
La seule en fin de compte à laquelle tu acceptes de t’unir.
Celle qui t’est refusée chaque jour par les êtres et par les choses
Dont tu obtiens péniblement de-ci de-là quelques fragments décharnés
Au bout de combats sans merci.
Hors d’elle tout n’est qu’agonie soumise fin grossière.
Si tu rencontres la mort durant ton labeur
Reçois-la comme la nuque en sueur trouve bon le mouchoir aride
En t’inclinant.
Si tu veux rire
Offre ta soumission
Jamais tes armes.
Tu as été créé pour des moments peu communs.
Modifie-toi, disparais sans regret
Au gré de la rigueur suave.
Quartier suivant quartier la liquidation du monde se poursuit
Sans interruption
Sans égarement.
Essaime la poussière
Nul ne décèlera votre union.
[Moulin premier, 1936]
(p. 80)
Faction du muet
Les pierres se serrèrent dans le rempart et les hommes vécurent de la mousse des pierres. La pleine nuit portait fusil et les femmes n’accouchaient plus. L’ignominie avait l’aspect d’un verre d’eau.
Je me suis uni au courage de quelques êtres, j’ai vécu violemment, sans vieillir, mon mystère au milieu d’eux, j’ai frissonné de l’existence de tous les autres, comme une barque incontinente au-dessus des fonds cloisonnés.
(p. 429)
La Parole en archipel
POURQUOI LA JOURNÉE VOLE
Le poète s’appuie, durant le temps de sa vie, à quelque
arbre, ou mer, ou talus, ou nuage d’une certaine teinte,
un moment, si la circonstance le veut. Il n’est pas soudé
à l’égarement d’autrui. Son amour, son saisir, son
bonheur ont leur équivalent dans tous les lieux où il
n’est pas allé, où jamais il n’ira, chez les étrangers qu’il
ne connaîtra pas. Lorsqu’on élève la voix devant lui,
qu’on le presse d’accepter des égards qui retiennent,
si l’on invoque à son propos les astres, il répond qu’il est
du pays d’à côté, du ciel qui vient d’être englouti.
Le poète vivifie puis court au dénouement.
Au soir, malgré sur sa joue plusieurs fossettes d’ap-
prenti, c’est un passant courtois qui brusque les adieux
pour être là quand le pain sort du four.
p.374
Recherche de la base et du sommet
II. Alliés substantiels
VISAGE DE SEMENCE
Victor Brauner
Visage sous vos traits la terre se regroupe,
Votre appétit répond pour l'éclair questionné.
Hauteur et profondeur
Ne sauront vous glacer.
Sur le sceptre d'amour
Le froid croise l'ardeur.
Nuage et sable d'homme
Frondent l'humidité.
Figure, recueillez la folle voix errante,
Seul un vœu en révolte modèle le soleil.
Volumes qui se mêlent
Et surfaces qui s'aiment,
Triton vêtu de boue
Ou poussière chanceuse :
Beaux sangs juxtaposés.
Figure, recueillez la Sibylle naissante.
Visage sous vos traits la terre se regroupe.
1938.
p. 682
Mille planches de salut
Grâce à Picasso dans le département le plus éprouvé de la peinture, celui de la foliation des objets par l'ajustement rigoureux des visages et des formes affrontés, la lumière et sa servante la main auront accompli leur destin temporel : déborder l'économie de la création, agrandir la sensibilité des gestes de l'homme, le pousser à plus d'exigence, de connaissance et d'invention. Ceci est en cours d'exécution, universellement. Mais... la terreur nous cerne et une antivie artistique, la nazisme, peu à peu s'empare de tous les leviers de l'activité et du loisir ; il se prépare à gouverner en absolu équarrisseur. L'oeuvre de Picasso, consciemment ou involontairement prévoyante, a su dresser pour l'esprit, bien avant qu'existât cette terreur, une contre-terreur dont nous devons nous saisir et dont nous devrons user au mieux des situations infernales au sein desquelles nous serons bientôt plongés. Face au pouvoir totalitaire, Picasso est le maître-charpentier de mille planches de salut.
Sans apparaître déclinable, son apport semble procéder par lunaison. Perceur d'immunité, chiromancien de l'estocade, il faut avoir vu l'artiste, au demeurant plein d'effroi, faucher de son épée dessinatrice ou coloriste le trop de réalité de ses modèles, afin de nous indemniser par l'offrande de leur essence. De l'espiègle Minotaure aux jeunes femmes de Mougins, des têtes criblées de mots d'évasion à la grisaille sublime de Guernica, partout retenti le cri : "Debout les loups, on se bat !" Le cinabre s'allume, l'écarlate lui cède, mais à distance du tableau.
Au mois de juillet 1939, dans l'hypnose de Paris, capitale parjure, se dégager sans faiblir des sommations et reprendre un moment la vie commune avec nos Mélusines et nos ustensiles de jeunesse... O cher Picasso, Don Giovanni !
1939.
(p. 700)
II. Alliés substantiels
Les grands classiques du répertoire N°1 : René Char. “Claire”, suivi de “Fêtes des Arbres et du Chasseur” - Première diffusion sur la Radiodiffusion-Télévision Française : 14/05/1955. Réalisation : Alain Trutat. Musique originale : Pierick Houdy. Chef d'orchestre : Pierre Michel Le Conte. Avec Jacqueline Pagnol, Pierre Vaneck, Roger Blin, Madeleine Sylvain, Jean Mauvais, Pierre Leproux, Gaetan Jor, Jean-Jacques Morvan, Jean Péméja, Roger Pigaut, Jean Topart, Paul Emile Deiber, Lucienne Bogaert, Pierre Larquey, Michel Dumur, Catherine Goetgheluck. Et Cyril Dives à la guitare et l’Orchestre National de la RTF.
“Claire”
Dans cette suite, René Char suit le cours d’une rivière à laquelle il donne le nom familier de Claire. Il imagine que dans les villages et les lieux qu’elle traverse vivent, participant de l’existence de tous, des jeunes filles et des jeunes femmes appelées également Claire. Mais elles ne sont que des personnifications vivantes de la rivière elle-même.
Claire est celle que le poète attend, la “Rencontrée” qui seule lui permet de chasser ses fantômes et de continuer à vivre. Claire est une et plusieurs, toutes celles qui “aiment, rêvent, attendent, souffrent, questionnent, espèrent, travaillent”. À travers les personnages d’un chef d’opérations dans le maquis puis d’un chargé de mission de la Résistance, ce sont ses propres contradictions qu’interroge le poète des “Feuillets d’Hypnos”.
Dans “Claire”, il poursuit sous une forme dramatique son analyse à la fois poétique et politique du réel, avoue ses déceptions face à l’hostilité d’un monde qui aurait dû changer et s’est reconstruit, étranger à cette espérance.
“Fêtes des Arbres et du chasseur”
Poème pour voix et guitare.
Deux joueurs de guitare sont assis en plein air dans l’attente du chasseur. Ils échangent des poèmes.
Thèmes : Création Radiophonique| Radiodiffusion-Télévision Française| Grands Classiques| Poésie| France Culture| René Char
Source : France Culture
+ Lire la suite