Qui connaît Albert Châtelet ? C'est sans doute comme cela que PF
Charpentier aurait du sous titrer son livre de science politique. L'auteur a un profil original; certes, il a toutes les pré-requis nécessaires à l'écriture d'un tel livre (docteur en histoire et professeur à l'IEP de Toulouse) mais, outre que ce type d'ouvrages est souvent de l'apanage des milieux parisiens, PF
Charpentier a écrit plusieurs livres sur…la musique rock (
The Clash et Joy Division, déjà un grand écart au sein même de l'univers Rock car on est rarement fan de l'un et de l'autre). Bref, un profil iconoclaste.
Et le sujet est incroyablement génial, à la fois d'une simplicité étonnante et sans doute inédit : quel est le profil des hommes et femmes parvenus à la troisième place des élections présidentielles depuis 1958 ?
L'auteur part d'un constat simple : les 10 élections présidentielles ont vu se succéder 10 « troisième homme » différents. Et si, dans un addendum, on y ajoutait 2022, la tradition n'est pas démentie puisque le troisième homme de 2022 est encore différent des 10 précédents (JL Mélanchon). Il y a déjà là matière à réflexion. On pourrait rajouter un autre constat, que, sauf erreur, l'auteur ne fait pas : à l'exception de
Jacques Chirac (dont le profil est atypique car c'est aussi le seul à avoir été
Premier Ministre deux fois sous deux Présidents différents et c'est le seul
Premier Ministre avec Pompidou dans des circonstances particulières, qui arrivera à devenir ensuite Président de la République), aucun troisième homme n'a jamais accédé au poste de Président. Comme si un plafond de verre se mettait en travers de la route; de quoi faire réfléchir
Marine le Pen et Jean-Luc Mélanchon…
L'ouvrage est très documenté et, de manière très intéressante, et rare dans le domaine de la science politique, plutôt à travers les sources orales qu'écrites. L'auteur a eu recours à de nombreux entretiens avec les acteurs les plus en pointes et la qualité de ses entretiens est incroyable.
Sur la forme, le style est clair et passionnera les amateurs de la science politique comme les « professionnels » même si, sur le fond on peut regretter la vision strictement chronologique (Élections par élections) alors qu'une vision thématique (les différents types de communication, le profil des candidats, les forces en présence, l'analyse des ralliements, les troisièmes hommes de « circonstance » et « booster » (Chirac en 1981, Mélanchon en 2022 ?), et ceux de « surprise » (Lecanuet en 1965), comme ceux qui marquent un échec (Fillon en 2017) et une fin de carrière (Jospin, Barre, Balladur, Chaban), tout cela aurait été intéressant à analyser comme tel. La vision chronologique en fait finalement un livre d'histoire politique plus que de science politique avec le risque, quand on s'approche de l'histoire récente, de faire du journalisme plus que de l'histoire.
Alors ces troisièmes hommes, quels sont-ils ? Si l'on prend la chronologie inverse, et l'élection de 2022, JL Mélanchon a tenté quelque chose d'inédit en transformant sa position de 3ème en en faisant un booster pour Matignon. Et cela avec un certain succès. On imagine l'auteur saliver en voyant cette prouesse, son livre est peut être sorti un peu trop tôt car 2022 valorise plus que jamais la place du 3ème homme, lui donnant raison, mais en laissant un goût d'inachevé à ne pas l'évoquer…
Auparavant en 2017, François Fillon n'était pas programmé (contrairement à Lecanuet ou Chirac par exemple) à être le troisième homme. Évidemment, ce sont les affaires qui l'ont placé dans cette circonstance.
En 2012, la place de 3ème revient à
Marine le Pen ce qui modifie la nature de cette place en une mise en orbite potentielle pour l'avenir. En effet, contrairement à son père en 2002, personne n'évoque une « déflagration » dans ce fait politique. Si le livre avait été thématique, une telle analyse aurait sans doute été pertinente à faire, en le rapprochant de la place de 3ème de Chirac en 1981 par exemple.
En 2007, c'est
François Bayrou qui joue ce rôle. La encore, les ambitions de
Bayrou était claires, celles d'accéder à la Présidence. On le voit, comme pour Lecanuet en 1965, à la difficulté ensuite à se positionner pour le second tour.
En 2002, le troisième homme est une surprise totale et c'est sans doute la première fois (avant et après cette élection) :
Lionel Jospin aurait dû être 2ème mais la division de la gauche en a décidé autrement. le pauvre le Pen n'en espérait pas tant et restera empêtré de sa seconde place ! La plupart du temps les 3ème sont prévisibles ou attendus soit du fait du positionnement de départ (Lecanuet, Chirac), soit du fait de circonstances extérieures au scrutin (Fillon). Mais là Jospin tombe et met fin à sa carrière politique alors qu'il aurait pu en faire un tremplin pour la suite.
En 1995, c'est Édouard Balladur qui est le 3ème homme. En fait cette élection est un duel fratricide à droite qui verra la victoire de Chirac et la fin politique de Balladur même si il a continué la politique mais de manière totalement confidentielle.
En 1988,
Raymond Barre devient le 3e derrière Chirac et Mitterrand. Il a voulu rééditer le résultat de Giscard en 1974 mais sans parti et sans le caractère « neuf » de sa candidature. Ce sera un échec qui marque la fin de ses ambitions.
En 1981, le troisième homme attendu c'est Chirac. Aucune surprise à cette position car il savait qu'il jouerait les Monsieur Loyal entre Giscard et Mitterrand dans la revanche de 1974.
Plus intéressant justement, c'est 1974 où, à la suite de la mort subite de Pompidou, les ambitions s'aiguisent et voit de manière assez traditionnelle finalement un duel fratricide entre Chaban et Giscard, au profit du second. Une histoire des duels serait intéressante à écrire et surtout comment au final le parti adverse peut en profiter. Même si là ce sera en 1981 dans l'autre duel fratricide Chirac - Giscard que Mitterrand en profitera.
En 1969, c'est, une fois n'est pas coutume, un duel à gauche entre Jacques Duclos et
Gaston Defferre qui permettra au premier, communiste, de finir 3ème. Mais Pompidou est à 44% et ne laisse que des miettes aux autres, y compris à Poher, dans le duel fratricide de droite.
En 1965, même si l'élection de
De Gaulle semble évidente, la campagne de Jean Lecanuet, finalement 3ème homme, a marqué les esprits, même si, au final, il n'en fera rien et laissera place à Giscard très rapidement.
Et nous voici en 1958 et le fameux Albert Châtelet. Notons que le 2ème de cette élection qui n'est pas au suffrage universel contrairement aux suivantes est…Georges Marrane…bref cette élection était un peu « pour de faux » il faut bien le dire.
Au total ce livre est intéressant pour qui s'intéresse à la politique. Son procédé, par recoupement d'entretiens plus que par culture livresque, en fait un livre vivant, proche du journalisme. Il est écrit de manière simple et imagée même si plus d'analyses et moins de chiffres auraient été encore mieux.