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EAN : 9782020985659
304 pages
Seuil (16/04/2009)
2/5   1 notes
Résumé :
Les sciences ne peuvent échapper à la culture. C'est pourquoi la fiction, mieux souvent que l'histoire des sciences, montre comment elles changent nos perceptions du monde. La littérature puise dans l'activité scientifique des modèles, des formes, des métaphores. Les romans, mais aussi le théâtre, la BD, le cinéma, s'inspirent, de plus en plus souvent, de figures canoniques du monde scientifique. Sept d'entre elles, parmi les plus marquantes : Giordano Bruno, Galilé... >Voir plus
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Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation
Les cerveau d'Einstein, (...), s'impose de manière bien singulière, passive disons, chez Michael Paterniti dans Driving Mr. Albert, livre résumé par son sous-titre: "Un voyage à travers l'Amérique avec le cerveau d'Einstein". Etonnant road book, ce récit s'inspire du New Journalism américain, tel que Truman Capote et Tom Wolfe ont pu l'incarner. Le narrateur, le journaliste Michael Paterniti, contacte Thomas Harvey, l'homme (âgé de quatre-vingt-quatre ans au moment du récit) qui a retiré, quarante-cinq ans plus tôt, le cerveau du crâne d'Einstein et l'a toujours en sa possession. Fasciné par cette histoire, il veut comprendre ses motivations. Il décide de se proposer comme chauffeur pour accomplir le voyage dont rêve Harvey: se rendre du Maine en Californie pour remettre à Evelyn Einstein les pièces détachées du cerveau de son grand-père.
Mort en 1955, Einstein voyage encore à la fin des années 1990 à travers l'Amérique, grâce aux bons soins d'Harvey. Le cerveau ne "vit" peut-être plus, mais l'esprit du savant continue d'exister grâce à celui-ci et stimule la réflexion. Le narrateur ne se rend-il pas compte que le seul fait de voyager avec l'encéphale d'Einstein à proximité teinte tout ce qui voit et éclaire singulièrement sa vision de l'Amérique? Surréaliste, ce périple voit survenir des épisodes comiques. Le narrateur est soudain pris, frénétiquement, d'une envie de toucher le cerveau: "Je l'admet. Je veux le tenir [...], prendre la mesure de son poids dans ma paume |...] Est-ce que ça rappelle le tofu? Un oursin, le saucisson de Bologne? Et qu'est-ce qu'un pareil désir fait de moi? Un membre de cette légion de délirants amateurs de reliques? ou pire encore?" [42]. Parfois, il ne peut s'empêcher de mentionner aux gens ce qui traîne dans leur voiture, provoquant un spectre de réactions très large. A une extrémité, il y a cet employé d'un motel hurlant qu'il est sacrilège de comparer Einstein à un dieu. "Einstein, un dieu? Ha ha ha! Je ne pourrai pas dormir pendant quelques nuits. Arrêtez de m'insulter! Jésus est un dieu! Einstein ne peut sauver la vie à personne! [...] Si pendant trois minutes votre bouche et votre nez sont fermés, vous allez mourir sur place et Einstein ne pourra rien pour vous!"[169]
Mais ce récit n'est pas que drôle. Traversant le territoire américain, Paterniti propose un portrait culturel des États-Unis. D'abord en instruisant le lecteur des réactions qu'Einstein suscite chez les gens. Ensuite, en rappelant quelques épisodes importants de la vie du physicien qui se superposent à l'époque contemporaine et colorent le monde d'aujourd'hui. Les réflexions métaphysiques et philosophiques alternent avec des explications précises: comment Harvey a-t-il retiré et conservé le cerveau d'Einstein? Comment a-t-il pu en garder la possession? A ce sujet, il existe beaucoup de confusion, les interprétations varient, et comme le mentionne le narrateur: "Il n'y a pas de précédent en cours pour la récupération d'un cerveau dans une pareille situation" [24].
L'intérêt premier du livre, qui en fait un vrai récit n'ayant rien d'une enquête sociologique, tient à la perspective subjective du narrateur. C'est à partir d'une quête existentielle qui lui est propre, marquée par des propos sur son enfance, sa familles, ses amours, que s'effectue ce parcours à travers le pays. En essayant de comprendre sa fascination pour Einstein, le narrateur en vient à comprendre se rapport problématique à son propre pays et les raisons pour lesquelles le physicien, même s'il n'est devenu citoyen américain qu'à soixante et un ans, à eu une influence profonde sur sa terre d'adoption.
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Pierre Boulle va pousser loin l'idée de [la] valeur esthétique [de la formule E=mc²] dans une novella intitulée "E=mc² ou le Roman d'une idée".
Après des considérations (hyperboliques) sur la beauté de la formule, le texte relate un voyage effectué par Einstein dans une ville japonaise. L'homme est chaleureusement accueilli: "Sa simplicité, sa bonté, son humanité avaient provoqué la sympathie enthousiaste des humbles, autant que sa sagesse l'admiration des lettrés et de la jeune génération studieuse, avide de culture et de progrès". [148]. C'est moins à une description d'Einstein ("la tête auréolée de sa chevelure légendaire" [149]) à laquelle le lecteur a droit qu'au discours hagiographique sur le personnage, une image mentale surdéterminée par les éléments du mythe. Avant de prononcer son discours de remerciements, il demande discrètement à un des dignitaires de lui rappeler le nom de cette ville qui l'accueille si gentiment. Il s'agit, on s'en doutait, d'Hiroshima. Associé à la bombe, on verra cependant comment Einstein participe à une nouvelle forme de désastre.
Malgré sa présence, le récit est centré sur un autre physicien. Dans cette histoire allégorique qui prend l'allure d'une face macabre, E=mc² devient une religion. Sous le fascisme, adhérer à la formule se révèle aussi lourd de sens que devenir chrétien au début de notre ère. Cette religion aura son martyr: Enricho Luchesi, physicien italien (double imaginaire d'Enrico Fermi) qui gagne le Nobel et fuit le fascisme au moment où la théorie de la relativité, et formule damnée, provoque des réactions haineuses. "Tous ceux qui avaient umprudemment laissé percer quelque sympathie pour E=mc² avaient été emprisonnés, déportés, suppliciés, parfois mis en pièces par la foule" [187].
Luchesi devient physicien après un choc esthétique ressenti dans une librairie devant la célèbre équation, qui est l'ordre de l'expérience religieuse. A travers E=mc², il entrevoit "une source inépuisable de justice et de bonheur, d'entreprises hardies et généreuses, réalisées dans un monde purifié par la science" [163]. Devenu apôtre de la non-violence, il parle de son chemin de Damas et la flamme illumine pour les visages des apôtres: "E=mc² n'est-elle pas une formule d'amour et de justice?" [170].
La meilleure façon de prouver son importance consiste à démonter, concrètement, son pouvoir magique. C'est pourquoi Luchesi décide de s'en servir pour créer de la matière. Il la trouvera dans les étoiles. L'énergie des vibrations cosmiques provient d'une destruction de la matière, elle "représente une désintégration, une dilapidation de notre capital matériel. Eh bien, cette énergie aujourd'hui diffuse, rendue inutilisable à la suite de catastrophes cosmiques, je me propose de la condenser, de la métamorphoser de nouveau suivant la formule d'Einstein, pour la ramener à son état premier" [185-186]. Il s'attelle à cette tâche, avec l'appui des scientifiques du monde libre. Einstein, enthousiaste, convainc le président américain de financer ces recherches. Ce dernier est d'abord sceptique: promouvoir la paix à partir de la condensation du rayonnement cosmique pour créer un métal plus lourd que l'uranium? Il signale au physicien une remarque du chef de l'état-major de l'armée qui voit immédiatement le potentiel destructeur d'une telle invention ("Demandez-leur de détruire la matière en provoquant le déchainement de la puissance en un temps très court, ce qui doit être encore moins difficile que l'opération inverse, et ils auront doté ce pays d'une arme capitale" [195]. Einstein avoue que les scientifiques n'ont pas envisagé toutes les conséquences de leurs théories, alors que l'armée a immédiatement considéré le pire. Mais il décide de mentir, certifiant que l'idée de créer une arme destructrice et impossible du point de vue de la physique. Les scientifiques, avec une touchante unanimité, font consensus pour appuyer le mensonge de leur maître.
Le narrateur insiste sur le bonheur badin des hommes enfermés dans leur laboratoire de Los Alamos, sur leurs gamineries, comme s'il s'agissait aussi de signifier leur inconscience. Les expériences réussissent et les résultats signifient pour le preuve que le monde a un sens: "Le bon dieu joue pas aux dés, comme dit le grand Einstein. [...] Il procède toujours selon un plan créateur" [216].
La première expérience de création de la matière a lieu au Japon, dernier pays en guerre, pour faire naître un choc à travers une manifestation de paix. Le choix s'arrête sur Hiroshima. L'avion qui survole la ville est peint en vert pour signifier l'espérance et des dessins de colombes sont placardés sous les ailes; on espère la présence de tous les citadins pour assister à la réussite constructive provoquée par E=mc². "Comme autrefois, sans doute, les trompettes célestes saluèrent l'explosion subite de l'atome primitif, marquant d'un signal auguste l'origine de l'Univers" [226], et cet atome prend la forme d'un pétale, descendant lentement vers la terre, hypnotisant la population au sol.
La réaction en chaîne ne se fait pas attendre, les copeaux se multiplient et, à l'ébahissement des scientifiques, se matérialisent en fleurs. Puis le miracle prend sa pleine signification: "Voyez: les paralytiques marchent; les aveugles voient; les sourds entendent; les plaies se ferment; les chairs mortes ressuscitent" [234]. On sourit en lisant que, "devant ce spectacle, l'enthousiasme d'Hiroshima explose" [234]. Ce rappel de ce qui se produisit le 6 août 1945 dans la ville marque le glissement du bonheur à la catastrophe. En effet, les fleurs se multiplient, "suivant la même loi fatidique que les grains de blé dont on double la quantité à chaque case d'une jeu d'échec" [236]. Peu à peu, la population est étouffée sous les fleurs synthétiques, cette couche "d'uranium positif", et meurt sous ce nuage qui cache le soleil de manière aussi nette que le feront, dans la réalité, les effets du champignon nucléaire.
Le constat d'ironie est sans appel. Ceux qui ont participé à la création de la bombe ne rêvaient pas non plus aux catastrophes d'Hiroshima et de Nagask - du moins ose-t-on le croire. La pureté de leurs intentions était à la hauteur de celles des savants du récit ("Nos intentions étaient pures. Notre idéal était de créer" [238]). Cela ne change rien aux résultats, dans la fiction comme dans la réalité. Einstein est le plus traumatisé puisque, comme il le dit en gémissant, "c'est moi qui ai pressé le bouton" [238]. Mais les autres le rassurent: il s'agit bien d'une erreur collective. Que la dernière phrase s'ouvre avec le nom de DIeu ne manque pas de sel. Luchesi affirme: "Dieu est témoin que je n'ai pas voulu cela" [238].
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Dans "Einstein et Sherlock Holmes", Alexis Lecaye met en scène le héros de Conan Doyle et une jeune Einstein - nous sommes en1905, l'année où naît sa réputation. Dans ce roman, un groupe de savants, qui forme une espèce de secte, travaille depuis des années à l'invention d'une machine pouvant créer un mouvement perpétuel - ils se sont donne le nom de "Perpetuum Mobile". Deux d'entre eux sont assassinés d'une manière sadique qu dénote de sérieuses connaissances scientifiques de la part du meurtrier. Par qui, pourquoi? Holmes sort de sa retraite pour résoudre cette affaire. Fouillant au Bureau des brevets pour trouver des pistes à partir d'éventuels projets déposés par les membres du Perpetuum Mobile, il rencontre le jeunes Einstein. Le lieu lui inspire ces réflexions:

"Je m'attendais à une sorte de temple laïque, peuplé d'hommes graves et barbus, couverts de craie, discutant avec componction du mérite de telle ou telle invention sous le regard impassible de portaient ou de bustes vénérables [...] Je n'ai rencontré dans les bureaux qu'une petite bande de joyeux lurons en costumes à carreaux, apparemment désœuvrés, avec pour unique souci celui de déguster un excellent café turc, qu'ils ont d'ailleurs tenu à me faire goûter, [...] L'un d'eux - le mentor de la bande à ce qu'il m'a semblé -, un bonhomme rondouillard aux cheveux frisés, s'est présenté à moi sous le titre d'"inspecteur de deuxième classe Albert Einstein" [80]"

Est ainsi évacuée l'image stéréotypée du scientifique: vieil homme austère à la poursuite d'une Vérité qui suit une tradition respectable. On peut supposer que la description d'une bande de facétieux jeunes gens, menée par le rondouillard et dynamique Einstein, n'est pas plus conforme à la réalité. Admettons qu'il s'agit de la perception d'Holmes - peu porté pourtant aux dichotomies faciles, lui qui est reconnu pour sa découverte des détails que personne ne perçoit. Il reste qu'en refusant de représenter le scientifique en vieil homme silencieux, Lecaye rappelle que le science, contrairement à une (autre) idée reçue, est de l'ordre du discours. Ce qui signifie, à un niveau élémentaire, que les scientifiques se parlent.
On ne s'étonne pas que ce soit le scientifique le plus entendu du XXe siècle qui fasse les frais de la démonstration. Les nombreux dialogues entre Holmes et Einstein rappellent également que, de tout temps, le dialogue, de Bruno et Galilée à Feyerabend, a marqué les œuvres de science ou de réflexion philosophique sur les sciences.
L'auteur met aussi en scène l'insatiable curiosité d'Einstein, qui s'exprime d'abord face aux méthodes d'Holmes: "Ce qui m'intéresse, docteur Watson, ce n'est le crime en lui-même, mais d'observer votre mai, de suivre le processus par lequel il construit la théorie par partir de faits qu'il sélectionne..." [143]. Le développement de théories scientifiques, pour le physicien, ne naît pas seulement de ce qui s'acquiert en laboratoire, mais plus largement d'une compréhension rationnelle du monde, à partir de l'ensemble de la connaissance, incluant ce qui a priori ne parait pas à strictement parler d'ordre scientifique. Holmes dira d'Einstein et de ses collèges: "J'avais, pour la première fois, le bonheur de rencontrer des êtres plus intéressés par les principes et l'enchaînement du raisonnement que par les résultats proprement dits et les détail spectaculaires" [98]. Bien qu'il ne participa qu'indirectement à l'enquête, Einstein permettra de résoudre l'énigme en donnant à Holmes l'occasion de développer certains de ses intuitions. En revanche, ce sont les préceptes méthodologiques d'Holmes qui le conduiront à penser la théorie de la relativité. . "N'est-ce pas vous dit-il à Holmes, qui avez dit que lorsque vous avez éliminé tout ce qui est impossible, il reste plus que la vérité, quelque improbable qu'elle apparaisse?" [222-223].
Un duel amical sur le plan de la logique oppose Holmes à Einstein, décrit comme un personnage sympathique, plein d'humour, d'une intelligence remarquable et complète le travail déductif du détective, travail présenté par Watson d'une manière qui rappelle justement les méthodes qu'on attribue au physicien: "Comment lui expliquer que Holmes, contrairement aux autres hommes [...], avançait par bonds, que sa pensée brûlait les étapes, qu'il se souciait peu de nous laisser en chemin, nous autres qui ne disposions pas pas de ses dons?" [144].
Tout naturellement le physicien est associé à Sherlock Holmes, le détective symbolisant le roman policier dit "à énigme". C'est bien la résolution d'une énigme à partir d'une réflexion objective, reposant sur des faits empiriques, qui caractérise ce type de roman, qu'on peut lier naturellement à la pensée scientifique telle qu'elle est traditionnellement perçue. Mais l'originalité d'un détective comme Homes, comme d'un physicien de la trempe d'Einstein, ne peut se limiter à une subtile compréhension des faits: l faut aussi une imagination qui permette de poser des hypothèses ne venant à l'esprit d'aucun autre enquêteur. "Depuis que je suis enfant, je me suis toujours demandé ce que verrait un observateur qui se déplacerait le long d'un rayon lumineux, et à la même vitesse que ce rayon. Comment le verrait-il?" [223]. Cette question, célèbre dans la mythologie einsteinienne, le physicien se l'est réellement posée dès l'âge de seize ans. Bien des réflexions qui conduiront à ses découvertes futures partent de là.
Parmi les phénomènes récurrents de l'histoire des sciences, il y a celui des faux savants affirmant que les académies scientifiques sont trop conservatrices pour comprendre la dimension révolutionnaire de leurs recherches. Lecaye démontre au contraire avec Einstein que les véritables révoltions scientifiques, les ruptures, malgré ce qu'elles remettent en cause, finissent par transformer l'institution. Dans ce roman où les bolchéviques sont omniprésents à Berne, Einstein apparaît plus subversif que quiconque, comme le note Holmes: "Et vous soutenez toujours que vous n'êtes pas un révolutionnaire nihiliste? SI par extraordinaire vous avez raison, ce que vous faites est sans doute beaucoup plus dangereux que toutes les théories [des terroristes]" [257]
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La pièce de l'Allemand Heinar Kipphardt, "En cause: J. Robert Oppenheimer", inspirée du procès-verbal de la commission qui compte un millier de pages, aura un immense succès en 1964, d'abord en Allemagne puis ailleurs en Europe. Elle sera adaptée (plutôt que traduite) l'année suivante par Jean Vilar (" Le Dossier Oppenheimer ") dans une version largement modifiée, au point que l'on peut parler de deux pièces différentes. Vilar a refusé de traduire la pièce de Kipphardt en premier lieu à cause de la réaction négative d'Oppenheimer. Mais cette réaction du physicien aux libertés que se permet l'auteur est aussi liée à des faiblesses dramatiques qui culminent avec le monologue qui conclut la pièce. Un monologue fictif d'Oppenheimer, envolée judéo-chrétienne monolithique mêlant pathos et didactisme: "Ce monde où des hommes se penchent avec effroi sur nos découvertes, où chaque découverte aggrave le poids de l'angoisse, c'est nous qui l'avons fait..."; "Et sans liberté il n'est pas de bonheur"; "Nous avons passé les meilleurs années de notre vie dans des laboratoires de mort et de destruction"; "Nous avons fait le travail du diable" [extraits tirés des pages 161-163, L'Arche, 1967]. Cette auto-culpabilisation pleurnicharde où Faust s'accuse à la face de l'humanité est une simplification outrancière. la scène finale veut transcender les événements factuels de la commission pour les dépasser, mais ce monologue mélodramatique oriente le débat en évacuant ses intrications pour le ramener à une question morales simpliste.
Face à ces débordements, nombreux dans ce texte de 150 pages, on apprécie l'austérité de l'adaptation de Vilar, moins longue du tiers, qui resserre les débats et dont les enjeux et la complexité ressortent plus clairement. Dans cette pièce qui s'ouvre abruptement ("Je vous rappelle donc que nos propos, questions, réponses et dépositions sont et seront tout au long de nos séances notés par ds sténographes" [9]), il n'existe pas de temps morts. Des discussions paraîtront elliptiques au lecteur qui connaît mal le cadre historique de la commission, mais c'est aussi une manière de rendre compte de le perte des repères, de la confusion idéologique et morale qui y règne.
A deux exceptions près, Vilar met en scène les mêmes protagonistes que Kipphardt: les trois juges de la commission, les avocates de la Commission de l'énergie atomique et l'avocat d'Oppenheimer; quelques-uns des témoins, soit deux militaires qui se trouvaient à Los Alamos pendant la Seconde Guerre mondiale, ainsi que trois scientifiques. Des positions contrastées, certaines nuancées et relativement objectives, d'autres très subjectives, éclairent la complexité de la personnalité de l'accusé. Au-delà du responsable de Los Alamos, ces témoignages mettent en scène les enjeux de la guerre froide et le climat de paranoïa qui règne aux États-Unis.
Comme l'affirme un acteur de manière brechtienne: "Ceci n'est pas une fiction" [99]. En effet: ce huit clos a une valeur en tant que document historique. Paradoxalement, la dimension monacale de la pièce, sans artifices, produit un effet dramatique intense. Froidement, avec rigueur, elle offre le canevas d'une histoire vieille comme l'humanité: un individu empêtré dans ses contradiction, soudain mises en lumières par un pouvoir désirant détruire celui qui s'oppose à ses désirs. Oppenheimer a affirmé, dégoûté, que cette histoire n'est qu'une sinistre farce. Pourtant, rien de plus tragique que cet individu sur scène, isolé face à ses juges qui lui demandent pourquoi il a inventé une histoire et qui répond: "Parce que je suis un imbécile." La cruauté de cette autocritique, cet aveu de faiblesse auquel il ne peut échapper, a plus de poids dramatique que la longue tirade inventée par Kipphardt.
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Alan Lightman, lui-même physicien, propose dans "Quand Einstein rêvait" une série de courtes fables autour du temps. Nous sommes à Berne, en 1905, et un jeune homme réfléchit à une question qui l'intéresse depuis longtemps. Il rêve de plus en plus à des mondes dans lesquels des temporalités étranges se multiplient.
Ce jeune homme est bien sûr Einstein. L'intérêt du livre ne portes cependant sur sa vie. Mis à part le prologue, la conclusion et trois intermèdes au cours desquels il se trouve avec son ami Michael Besso (qu'il remercie pour leurs discussion à la fin de son article de 1905 sur l'électrodynamique des corps en mouvement), le livre présente de courts textes décriant des rêves, présentés dans l'ordre chronologique, du 14 avril au 28 juin 1905.
Le jeune physicien constate que, "parmi les multiples natures du temps, imaginées en autant de nuits, l'une semble s'imposer. Non que les autres soient impossibles. Les autres pourraient exister dans d'autres mondes" [9] Le lecteur découvre ces "autres mondes", dans des textes qui commencent souvent par "ans ce monde-là", "Imaginez un monde", "Considérez un monde" qui sonnent comme autant de "Il était une fois"; Les différentes narrations posent le sujet du rêve dans les première lignes et invitent à constater comment vivent les gens dans cet univers temporel singulier, présentant à chaque fois des avantages et des inconvénients particuliers: "Supposez que le temps soit un cercle, qui se replie sur lui-même. Le monde se répète exactement, indéfiniment" [10]; "Considérez un monde où cause et effet sont erratiques. Tantôt la première précède le second, tantôt c'est l'inverse" [30]; "Imaginez un monde où le temps n'existe pas. Où il n'y a que des images" [55]; "Un homme ou une femme brusquement projetés ce monde-là devront s'abstenir de longer les maison et les immeubles. Car tout est en mouvement" [65]; "Supposez que le temps ne soit pas une quantité, mais une qualité, comme la luminescence nocturne au-dessus des arbres au moment où la lune qui qui se lève touche leurs cimes" [86].
Qu'il apparaisse dans les interludes avec Besso ou seul dans son bureau, Einstein semble "flottant": figure onirique, il navigue à vue dans un rêve continuel, plongé dans un nouveau projet et n'entendant pas les questions qu'on lui pose, "oublieux de son corps et du monde" [70]. Dans ce livre, Einstein absorbe, à lui seul une représentation (et le dépositaire). En ouvrant les portes du temps, il permet à la fiction de s'attaquer à un espace chaque fois original; Dans ce livre magnifique associant imagination débordante et pensée scientifique, Alan Lightman propose un large spectre de temps de temporalités et c'est comme s'il disait: "voyez ce qu'Einstein nous a permis d'imaginer".
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Vidéo de Jean-François Chassay
Professeur depuis 20 ans au département d'études littéraires de l'UQAM, Jean-François Chassay scrute l'influence de la science dans la littérature. Même si on omet systématiquement de l'envisager sous cet angle, la science a tous les traits d'une culture. Les nombreuses déclinaisons de la science (physique, chimie, mathématique, génétique) s'insèrent même profondément dans les formes de la culture : en littérature, au théâtre comme au cinéma. Pour le professeur romancier, les découvertes scientifiques comme la bombe nucléaire ou l'évolution des espèces ont bouleversé la trajectoire de plusieurs auteurs et ont produit des représentations parfois complètement déformées des grands visages du monde savant comme Einstein et Darwin; parfois en les glorifiants, d'autres fois en les diabolisant. En d'autres mots, la littérature ressemble au laboratoire où s'incarnent tous les espoirs et les craintes d'une humanité qui apprivoise petit à petit l'accumulation du savoir qu'elle rassemble sur la réalité.
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