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Critique de Ys


Ys
28 janvier 2017
Si l'Histoire a bien retenu la longue stérilité du mariage de Louis XVI et Marie-Antoinette, elle connait beaucoup moins bien les assez nombreux enfants que la reine adopta avant de concevoir - enfants inconnus, orphelins de ses anciens serviteurs... évidemment pas destinés à un quelconque avenir politique mais dont elle assura la subsistance jusqu'au bout.
Par la fantaisie du romancier, le cas de Martin Sourire est quelque peu différent. Un gamin sans nom ni parents attrapé au hasard d'un chemin, coup de foudre ou caprise devant une bouille aux beaux yeux noirs, au sourire étrange, un sourire comme gravé dans la chair, que les malheurs peuvent tordre et troubler mais jamais effacer. Voilà alors le petit paysan propulsé sous les ors de Versailles, nommé, lavé, habillé, poudré, instruit. Mais il ne parle presque pas, sa sauvagerie détone, rebute, la reine commencerait-elle à regretter son élan irréfléchi ? Il n'a clairement pas sa place dans les décors éblouissants du palais, en tout cas - à la rigueur, plutôt dans le parc, là-bas, où la nature reprend un peu ses droits malgré les mises en scène, où l'on peut se cacher à loisir ou engager une vie qui ressemble assez au bonheur, loin de la faim et de la misère, bien à l'abri du reste du monde.
Sauf que le reste du monde, on le sait, ne va pas tarder à cogner à la porte. Et Martin, devenu adolescent, peut-il résister à ce qui l'appelle au-dehors ?

Après l'excellent l'Affaire des vivants, je retrouve avec beaucoup de plaisir la belle plume de Christian Chavassieux. Les personnages, ici, sont peut-être moins puissants, moins complexes que dans son précédent roman - mais avec son éternel sourire figé, ses manières sauvages, taiseuses, qui dissimulent une intelligence bien réelle, Martin n'en est pas moins un personnage attachant, moins simple qu'il n'y paraît d'abord et porteur, qui plus est, d'une valeur symbolique intéressante.
Martin, au fond, c'est un peu le peuple français, entraîné d'abord dans les bras d'une royauté à la fois maternelle et égoïste, protectrice et décevante, enthousiasmé ensuite par les idéaux de 1789 puis cruellement trahi par cette révolution qui l'avait révélé à lui-même, en laquelle il plaçait tant d'espoirs, cette révolution qui tourne au combat de bêtes fauves, finit par éveiller le pire en l'homme au nom d'un idéal déjà perdu en route.
L'habileté de l'auteur est là : ignorer l'histoire, déjà tant évoquée, de ceux qui ont fait la Révolution, pesé sur ses grands retournements, pour mettre en scène le quotidien de ceux qui l'ont vécue au jour le jour, informés par les gazettes, les rumeurs, les faits évidents, convaincus, entraînés sans doute par un élan général, mais sans influence aucune sur le cours des choses, perplexes, au fond, sur le sens exact à donner à tout ça. Il en tire une belle chronique de ces années de bouleversements, qui restitue avec beaucoup de vie, de précision et de charme, le petit monde à part de Trianon puis le Paris de la Révolution. Et puis... et puis le récit, jusqu'alors relativement souriant malgré ses ombres, bascule : la guerre entre en scène, et la pire de toutes, la guerre civile, qui prétend écraser, nettoyer, se nourrit d'idéologies tendues jusqu'à la haine, de discours maladroits mal compris, ou trop bien, exacerbés jusqu'à la pure folie. Ce sont les colonnes infernales de Vendée, au sein desquelles Martin découvre bien malgré lui quel monstre sommeille en chaque humain, prêt à bondir pourvu qu'on sache le réveiller. L'évocation en est admirable, d'une cruauté terrible, hallucinée. Plus dérangeante, plus trouble, l'histoire devient alors bien plus puissante, et le personnage de Martin avec elle, jamais plus touchant que lorsque son impérissable sourire s'est figé en rictus.

Un excellent roman historique, en somme, que je recommande chaudement ! La langue, de plus, en est belle, sait emprunter au passé juste ce qu'il faut pour prendre un ton d'époque sans paraître jamais artificielle. Petit plus appréciable : le livre se termine par une très intéressante annexe historique, bien mieux qu'une simple bibliographie, où l'auteur détaille ses recherches, explique ses choix, approfondit quelques éléments de vocabulaire et offre quelques éléments biographiques aux nombreux personnages méconnus mais bien réels qu'on a croisé dans le roman. J'ai d'ailleurs été ravie de découvrir parmi eux l'architecte utopiste Etienne Louis Boullée, dont je trouve les projets assez fascinants
Lien : http://ys-melmoth.livejourna..
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