"Le sens du destin continuait de lui échapper ; mais rien, rien ne la faisait regretter d'être venue au monde. "
«
La femme de Job », c'est d'abord un roman d'amour, d'un formidable amour (« La femme regarde son vieil homme. Elle ne se lasse pas de le regarder ; de mesurer leur tenace, leur impérissable amour. »). Un amour qui est admiration, soutien (« Job lui toucha la main et la fixa longuement. Il ne proféra aucune plainte, mais reste planté devant elle ses yeux dans les siens. Elle s'y ancra, évitant ainsi de s'écrouler. ») et résiste aux disputes et au temps (« La femme contemple Job si intensément qu'elle finit par se refléter en lui. Non pas comme une réplique, mais plutôt comme une image inversée, frottée aux mêmes années, réduite par la même usure, frappée par les mêmes malheurs. »).
C'est aussi un très beau roman sur la vieillesse (« La vieillesse lui offrait parfois la même image : écorces semées, aspérités dissoutes, abandon des formes transitoires face à la résistance du noyau. Impalpable, éternelle substance, éclipsant le temps et qui se réfugie souvent dans le regard. »), une vieillesse qui n'est pas que ruines.
Et enfin, bien sûr, on y parle aussi de Dieu. Ou plutôt des Dieux, car le Dieu de Job est bien différent du Dieu de sa femme, qui, « gardait, en dépit de ces réalités, le goût et la certitude de l'espoir. Délaissant les psalmodies, rétive aux génuflexions, elle saluait à chaque aube l'éveil de la lumière. Dieu en était-il la source ? Un Dieu insondable que les vivants tentaient, en vain, de réduire. ». Jusqu'à ce que la conception de Job se rapproche de celle de sa femme, et que « ses paroles s'éparpillèrent, chutèrent autour de lui, comme des écailles. Elles lui parurent soudain illusoires et vaines. de la cendre. Une lame de fond le parcourut de la tête aux pieds. Il eut l'impression que ses vêtements, comme ses sentences, tombaient en lambeaux. ». le moment où « Dieu se défaisait de son masque vengeur. le Dieu sans mesure, plus vaste que l'horizon ; le Dieu qui disparait et renait dans toutes les langues, s'exprimait, enfin, d'une autre voix. Ce Dieu infini qui lange le ciel de nuées, qui borde et maitrise l'océan, qui fait pousser le gazon jusque dans les steppes, se dévoilait soudain en mots attentifs. Ce Dieu insaisissable, cible des désirs et d'appels, se mettait subitement à l'écoute des humains. »
C'est magnifiquement écrit, et il ne faut pas avoir la foi pour en apprécier les images, la musique et les idées. Juste être sensible à la poésie. Un excellent livre.