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Dominique Mainard (Traducteur)
EAN : 9782842611828
347 pages
Le Serpent à plumes (14/03/2000)
4/5   32 notes
Résumé :

Les nouvelles de John Cheever, ce médecin de l'âme américaine qui enchanta pendant des décennies les lecteurs du prestigieux New Yorker, sont la clef de voûte de la littérature américaine de la seconde moitié du XXè siècle.

Les tourments, les névroses et les défaites de l'Américain moyen y sont auscultés comme autant de signes et de symptômes d'une société se désagrégeant et se renouvelant tout à la fois.

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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Tel «Ned Merrill», personnage de sa nouvelle peut-être la plus célèbre, «The Swimmer», (et incarné à l'écran par Burt Lancaster dans un film-culte éponyme réalisé par Frank Perry en 1968), lequel ayant décidé de rentrer à la maison à la nage, partage, le temps d'une soirée, de piscine en piscine, la vie et les drames intimes de son voisinage dans une banlieue aisée de New York, John Cheever semble lui-aussi s'être donné pour challenge de parcourir, au travers de plus de deux-cents nouvelles courtes, d'une brasse menée à un rythme aussi régulier et élancé que celle de Ned, les bassins imaginaires où voguent à la dérive les pulsions inassouvies et les frustrations personnelles d'une middle-class emportée dans le grand courant du rêve américain d'après-guerre .

Sous les flots en apparence bien canalisés par les instincts grégaires et les rites collectifs chers à la mentalité de ses compatriotes, rythmés par des horaires de bureau et des trains de banlieue, des sorties au square après l'école, la pelouse à tondre, des parties de golf, le comité d'organisation de la quadrille annuelle des débutantes, les barbecues du soir ou les cocktails chez les voisins..; sous le rocher des impératifs catégoriques de réussite sociale et matérielle, d'adéquation à un way-of-life où chacun est prié de bien vouloir prendre sa place, au sein de sa famille, dans son genre et dans son rang, Cheever traque les moindres remous d'insatisfaction et de révolte dans les eaux dormantes du conformisme social, les plus petites anguilles désirantes et impulsives qui, échappant au contrôle de qualité de l'eau du bain moral collectif, risquent de remonter à la surface et de mettre potentiellement en danger l'équilibre environnemental...

Quelques martinis de trop, un été solitaire à New York, une mauvaise passe financière et professionnelle, une aventure extra-conjugale aux conséquences imprévues…suffiront parfois pour que la pelouse du voisin devienne tout à coup insupportablement plus verte que la vôtre, que la saison des divorces menace sérieusement de s'ouvrir trop tôt dans l'année, que la petite dernière fasse une tentative de fugue après avoir vidé toutes vos bouteilles de whisky dans l'évier de la cuisine, voire qu'un citoyen bien sous tous rapports se mette subitement à piquer dans les portefeuilles de ses voisins mieux lotis…
Quoique solidement ancrées dans la réalité quotidienne de la société américaine de son époque, les «short stories» de John Cheever, incontestablement l'un des plus grands maîtres modernes du genre, seront quelquefois teintées d'un caractère plus ou moins insolite, voire pour certaines carrément surréaliste! Dosées par moments d'un non-sens savamment instillé sous leur réalisme apparent, leurs chutes très affutées sont assez souvent surprenantes, ouvrant en même temps au lecteur différentes perspectives d'interprétation et la possibilité, s'il le souhaite, d'imaginer une suite éventuelle aux évènements (d'ailleurs, un de ses plus fervents disciples, Raymond Carver, s'est amusé à imaginer un prolongement - publié dans «Les Vitamines du Bonheur»- à l'une des seize nouvelles de ce recueil, «Le 17h48»). Ainsi, par exemple, la nouvelle intitulée «L'Incroyable Radio», dans laquelle le dysfonctionnement inexplicable d'un poste de radio moderne, aux multiples boutons et fonctionnalités nouvelles que vient d'acquérir un couple new-yorkais, ravira complètement l'épouse au foyer, sidérée par la possibilité de passer ses journées à capter les conversations privées provenant des tous les autres logements de l'immeuble, ce qui finirait par faire émerger des fréquences intimes jusque-là subliminales et brouiller violemment la communication interne au sein d'un couple situé pourtant «dans la moyenne satisfaisante de revenus, d'ambitions et de respectabilité apparaissant dans les statistiques des bulletins d'anciens élèves de lycée».
Dans tous les cas, l' «absurde» chez l'écrivain ne constituerait pas un postulat de départ à sa démarche littéraire, mais correspondrait davantage aux retombées psychologiques de ses personnages en perte de repères, face à leurs vaines tentatives de concilier les injonctions d'une société standardisée et foncièrement tributaire de son héritage puritain d'un côté, et une croyance par ailleurs imparable, pas forcément compatible avec leur quotidien, au mythe américain triomphant de la «liberté individuelle» et de «la poursuite du bonheur»… Crises quelquefois passagères et provisoirement, providentiellement rédemptrices, entraînant par exemple chez les protagonistes une certaine prise de distance par rapport aux pressions externes qu'ils subissaient passivement, d'autres fois, par contre, aux conséquences dramatiquement irréversibles, comme par exemple pour cet ancien sportif entre deux âges, en quête de popularité sociale et qui, dans des soirées organisées chez les voisins, carburant désormais à fond au gin insiste à maintenir le rituel qu'il avait instauré de sauter en fin de soirée des haies improvisées avec le mobilier des salons..!

Surnommé à juste titre le «Tchekhov des faubourgs», le style de Cheever aura fait école depuis, et suscité l'admiration entre autres de gabarits littéraires tels un Hemingway, un Nabokov ou un Philip Roth. Son génie littéraire, à l'image de celui du maître auquel on l'avait souvent comparé, abolit naturellement toute hiérarchie de valeurs entre la surface en apparence triviale de la vie et la profondeur et l'universalité portées par le propos. Comme lui, Cheever réussit pleinement à donner parfois une force d'évocation à des détails qui pourraient d'emblée paraitre insignifiants, mais qui se révéleront très efficaces à évoquer symboliquement une réalité et un microcosme souvent en train de se déliter. Enfin, toujours comme chez son homologue russe, ses personnages ne sont au fond «ni bons ni mauvais», ont souvent la conviction intime de donner le meilleur d'eux-mêmes, tentent désespérément, tant que cela peut se faire, de sauver les meubles et se montrer sous leur meilleur jour…Derrière l'ironie et une critique acérée des moeurs, se profile invariablement chez l'auteur un leçon de générosité et d'humanité, dépourvue cependant de tous bons sentiments et de toute mièvrerie : là encore, me semble-t-il, comme l'immense Tchekhov, John Cheever aime les individus en particulier et montre de l'empathie envers ses créatures la plupart du temps en perdition.

Je vous conseillerais vivement, avant de prendre éventuellement un jour la décision de clore définitivement vos carrières de lecteur, de gouter - si ce n'est pas déjà fait - les atmosphères singulières et subtiles créées par cet entomologiste et miniaturiste hors pair.
De plus, n'est-ce pas, leur format ne dépassant que rarement la petite vingtaine de pages, cela ne mange vraiment pas de pain de l'essayer au moins une fois!
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Très bon recueil de seize nouvelles, à travers desquelles Cheever nous fait découvrir l'Amérique des années 40 à 70, celle de la classe moyenne aisée mais en même temps frustrée.
Il nous montre leurs appartements, les compartiments de train dans lesquels ils voyagent pour se rendre au travail, tout le monde a son tailleur, son parapluie, son costume un peu cheap.
Les cocktail du samedi après midi où tout le monde s'observe et s'envie, les trains de banlieue où chacun a sa place, les couples qui, une fois dans leur stricte intimité, doivent se pencher sur le carnet de notes afin de juger de leur capacité à soutenir financièrement cette vie bourgeoise. Pour certains, celle-ci s'apparente au jeu de l'Oie, avançant case par case, parfois par plusieurs, mais où sur un coup de dés, on risque de repartir à zéro...
C'est le grand coup d'accélérateur donné au rêve américain de l'après-guerre. L'Amérique commençait à nous asséner son mode socio-économique, il fallait bien que sa population propre soit la première à y adhérer et à en bénéficier... ou pas. Certains, pour maintenir un train de vie, vont jusqu'à piller le portefeuille d'amis ou de voisins peu vigilants (La Soupière d'Or)..
Chacun obéit aux lois somptuaires, c'est ainsi que vit l'Amérique des villes. Cheever nous décrit cette Amérique-là, aussi désaxée et névrosée que celle des plaines et des montagnes.
Qualitativement, ces nouvelles sont très proches, je retiens particulièrement La Saison des Divorces, La Soupière d'Or, L'Océan, La Chimère ..

Toutes sont traitées avec humour, parfois une bonne dose d'excentricité ou de surréalisme. Très souvent, les personnages nous surprennent par leur pensée tortueuse ou leur indolence. La plupart m'ont donné l'impression de vivre une existence dictée par des lois non-écrites qui les dépassent ou les écrasent. Il y a du Aldous Huxley là-dedans...

Bonne lecture, plaisante et sans prétentions.
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INSOMNIES de JOHN CHEEVER
Seize nouvelles d'un des maîtres du genre. Je ne saurai trop en extraire une en particulier tant elles sont toutes excellentes au point que le grand Raymond Carver a fait une suite pour l'une d'entre elles, 17.48. Cheever explore cette classe moyenne plutôt riche mais pas suffisamment pour ne plus penser à l'argent. Alors souvent monsieur bosse, madame s'occupe des enfants et socialise avec les voisins sans réaliser combien la famille vit sur la corde raide financièrement. Analyse au scalpel de l'américain moyen vivant un peu en dehors de la grande ville, rêvant d'accéder au niveau supérieur, lorgnant sur son voisin supposé plus riche mais finalement affrontant les mêmes problèmes. Les nouvelles peuvent être tendres, amères voire macabres, certains protagonistes ne pouvant plus supporter leur quotidien, femme, mari, enfants.
Une des plus beaux écrivains de nouvelles que je regrettte d'avoir découvert si tardivement.
Insomnies fait partie du recueil de nouvelles de Cheever qui lui ont valu le Pulitzer 1978. À lire et à relire, superbe.
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Des moments très réjouissants dans ce recueil. Cela dit, certaines histoires sont un peu longues et comportent de trop nombreux personnages. Cela enlève parfois de la spontanéité aux nouvelles.
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
S'il y a une chose que je déteste, ce sont les hommes sentimentaux dotés d'une faible personnalité; tous les individus mélancoliques qu'un excès de compassion pour autrui rend insensibles au plaisir de leur propre essence et qui mènent leur existence de façon anonyme, tel un brouillard humain, s'apitoyant sur le sort de chacun. Le cul-de-jatte de Times Square et son pauvre étalage de stylos, la vieille dame soigneusement maquillée qui parle toute seule dans le métro (…). La nuit, étendus dans leur lit, ils songent avec tendresse au grand gagnant du tiercé qui a perdu son ticket, à l'illustre romancier dont l'œuvre maîtresse a été brûlée par erreur avec les ordures, à Samuel Tilden, à qui les manigances de son collège électoral ont coûté la présidence des États-Unis. Parce que je détestais leur compagnie, il me fut doublement douloureux de me retrouver parmi eux. Et, apercevant un cornouiller nu à la lumière des étoiles, je songeai: Comme tout cela est donc triste!
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À l'âge de trente-deux ans, ma mère s'est inscrite à l'université de droit et a décroché son diplôme. Elle n'a jamais pratiqué. Elle prétendait être allée à l'université pour avoir plus de choses en commun avec mon père; mais en fait, elle a détruit le peu de tendresse qui restait entre eux. Elle n'était presque jamais là, et quand elle se trouvait à la maison, elle était toujours en train de réviser pour ses examens. C'était toujours: "Chut! Ta mère est en train d'étudier son droit.." Mon père était un homme solitaire, mais il est loin d'être le seul. Personne ne le dit, bien sûr. Qui dit la vérité? On rencontre un vieil ami dans la rue, il a une mine épouvantable, c'est effrayant, son visage est gris, ses cheveux tombent et il est secoué de tremblements. Alors, on s'exclame: "Charlie, Charlie, tu as l'air en pleine forme". Et, tremblant de tous ses membres, il répond: "Je ne me suis jamais senti aussi bien, jamais!" Puis l'on suit son chemin, et il suit le sien.
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-- Mon pauvre chéri...
-- C'est d'observer les mourants qui te donne l'impression d'être jeune ? cria-t-il. C'est cette luxure qui te permet de rester jeune ? C'est pour cela que tu t'habilles comme un corbeau ? Oh, je sais que rien de ce que je peux dire ne te blessera. Je sais qu'il n'est rien d'immonde, de corrompu, de dépravé, de brutal ou d'abject que les autres n'aient déjà essayé, mais cette fois-ci, tu te trompes. Je ne suis pas prêt. Ma vie ne touche pas à sa fin. Ma vie n'en est encore qu'à ses débuts. J'ai de merveilleuses années devant moi. J'ai... j'ai de merveilleuses, merveilleuses, merveilleuses années devant moi, et quand elles seront écoulées, quand l'heure sera venue, alors je t'appellerai, puisque tu es une vieille amie, et je t'offrirai le plaisir obscène, quel qu'il soit, que tu éprouves à observer les mourants, mais d'ici là, toi et ta figure laide et informe allez me laisser en paix."
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La présence de l'évêque emplissait Mrs Pastern de nervosité. Elle aurait voulu que sa visite ait un air plus naturel; elle aurait voulu, au moins, que sa propre présence dans son salon semble bien réelle. Elle souffrait de l'intense malaise qui s'emparait parfois d'elle au cours des réunions de son comité, quand l'atmosphère parlementaire exerçait un effet désintégrant sur sa personne. Alors qu'elle était assise sur sa chaise pliante, il lui semblait déambuler dans la pièce à quatre pattes, rassemblant des fragments d'elle-même et les cimentant grâce à quelque vertu telle que "je suis une bonne mère" ou "je suis une épouse patiente".
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On rencontre un vieil ami dans la rue; il a une mine épouvantable, c'est effrayant, son visage est gris, ses cheveux tombent et il est secoué de tremblements. Alors on s'exclame: «Charlie, Charlie, tu as l'air en pleine forme.» Et, tremblant de tous ses membres, il répond: «Je ne me suis jamais senti aussi bien, jamais!» Puis l'on suit son chemin, et il suit le sien.
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Video de John Cheever (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de John Cheever
Richard Ford - Transfuge magazine .Entretien avec l'écrivain américain Richard Ford pour le magazine Transfuge à l'occasion de la parution de son roman: L'Etat des lieux (L'Olivier, 2008). Il n'écrit ni des récits d'aventures ni des romans d'espionnage. Richar Ford préfère nous raconter des histoires quotidiennes: celles qui se déroulent derrière les fenêtres closes des pavillons de banlieus aisées, aux Etats-Unis. Avec le talent d'un Raymond Carver ou d'un John Cheever, il nous d'écrit le désespoir Tranquille des classes moyennes.
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