Dès les premières lignes de lecture, j'ai été saisie par un sentiment d'apaisement, la sensation de basculer dans une autre dimension, au XVIIème siècle, à la fin de la Dynastie Ming.
L'histoire en elle-même n'a rien d'exceptionnel, elle a été racontée par de nombreux auteurs à travers des couples célèbres à l'image de Tristan et Iseult mais écrite par
François Cheng, la narration atteint des sommets d'une grande poésie où se reconstitue sous nos yeux tout un paysage qui se modifie au gré des saisons et où évoluent des moines, des paysans, des seigneurs. L'écriture est d'un esthétisme à couper le souffle.
Cet amour éternel va naître d'un simple regard entre Lan-Ying et Dao-Sheng et c'est à partir de cet instant que cet amour, entravé par leur environnement, va grandir au fil des séparations et des retrouvailles jusqu'à être sublimé.
Il y a des instants de grâce, d'une grande sensualité, lorsque Dao-Sheng, médecin itinérant et devin, est au chevet de dame Lan-Ying, étendue sur son lit, derrière un rideau (page 86) :
« Lan-Ying ne voit pas ; Dao-Sheng lui voit. Il voit sa propre main jadis fine et rendue rude par les labeurs, superposée à celle de Lan-Ying, blanche et lisse et qui, à cause de sa maigreur, laisse transparaître les os. Indéniablement, il y là contraste et pourtant quelle harmonie provenant sans doute du fait que chacune est dans l'élan de consoler l'autre. Lan-Ying ne se lasse pas de caresser la peau passablement rugueuse de l'homme. Dao-sheng, de son côté, se dit que la main si tendre, offerte là, redeviendra pleine et charnue. Car la voie du devin, plus que celle du médecin, lui chuchote à l'oreille « Maintenant que les deux prédestinés se sont véritablement retrouvées, aucun obstacle, aucune maladie, ne pourra plus entraver leur route ». de fait, durant le mois qui suit, ce seront bien les médicaments et la force de l'amour conjugués qui vont agir sur la malade et la tirer de l'abîme. A chaque rencontre, à travers le rideau, la main de Lan-Ying rejoint sans retenue celle de Dao-Sheng. C'est tout ce qu'ils peuvent faire. Ce qu'ils peuvent faire est d'une terrible audace, ils le savent. »
François Cheng abolit les limites matérielles qui pèsent sur l'amour de Lan-Ying et de Dao-Sheng pour mieux créer en eux la vacuité intérieure qui permet de recevoir l'intemporalité de l'amour. Mais c'est un long chemin de souffrance qui les attend avant de parvenir aux épousailles de leur âme respective.
L'écriture est très belle, elle est envoûtante, il en émane une lumière pareille à celle que j'ai ressentie à la lecture de certains passages de la « Nature Exposée d' Erri de Luca ». J'en déduis que cette clarté provient de leur quête spirituelle, d'un questionnement intérieur, de la recherche de l'élévation des sentiments humains.
Je remercie « Kawane » qui m'a conseillée de lire ce livre sublime. Son conseil est arrivé au moment où je venais de visiter le
Musée Guimet de Paris où est particulièrement bien expliquée et retracée l'évolution des périodes bouddhistes à travers l'Asie et une exposition de porcelaine qui s'est développée particulièrement sous la dynastie Ming.